Tous les observateurs attentifs ont été témoins de l’ambiguïté macronienne vis-à-vis d’Israël et de la définition de la situation actuelle au Proche Orient et en France. Je ne reviendrais pas là-dessus car les choses sont claires. Je mettrais l’accent sur ce qui a suivi, c’est-à-dire sur la ligne politique que le Président a pensé mettre en œuvre pour faire face au défi que la réalité lance à la France sur le plan intérieur.
Or, ici, je peux dire que c’est le néant car le président n’a trouvé rien de mieux que de relancer le fantomatique “dialogue des religions”, en convoquant les différents cultes à l’Élysée au lendemain de son absence, qu’on peut dire institutionnelle (face aux présidents des deux assemblées et du Conseil constitutionnel), dans une manifestation qui était pourtant définie en premier “pour la République” et en second “contre l’antisémitisme”.
Ce dialogue des religions a une histoire, celle d’une politique faillie qui avait refusé la confrontation de l’Etat avec la réalité. C’est à l’époque de la gauche au pouvoir qu’il fut “inventé” pour gérer la question que posait l’inscription de l’islam dans le cadre de la République et de la laïcité. Je pense notamment à des entreprises (municipales) comme “Marseille- Espérance” du temps de la guerre du Golfe. Tous les dignitaires religieux en habits de scène avaient été réunis par le maire socialiste pour proclamer leur fraternité, à l’époque où la population arabo-musulmane de la ville menaçait de déferler sur le centre-ville pour soutenir Saddam Hussein. Il y eut aussi “Roubaix- Espérance”…
Telle fut la politique que la gauche au pouvoir mit en œuvre. Elle ne put faire plus que donner le change. La dimension “religieuse” lui était de toutes façons étrangère et encore plus le défi que représentait l’insertion de l’islam dans la société française, décolonialisme avant l’heure oblige ! Le dialogue des religions restait de toutes façons paradoxalement sous la dépendance du Ministère de l’intérieur du fait de sa responsabilité pour les “cultes”, alors que, dans la réalité, c’est la sécurité intérieure de la société qui était en question. L’Etat laïque n’est en effet censé ne s’intéresser aux “cultes” que dans la perspective de la sécurité, dans une perspective politique et non théologique. Mais l’Etat n’eut pas la force de cette confrontation quand tout était encore possible car embryonnaire.
Réfléchissons justement aux conséquences de cette stratégie.
Pourquoi convoquer les Juifs et les chrétiens à un dialogue avec l’islam comme moyen de trouver une solution au problème que pose l’islam du fait de sa nouveauté en France où il était absent quand le cadre de l’existence des religions s’est décidé à l’époque de l’empire napoléonien ?
Pourquoi convoquer les Juifs à ce “dialogue” alors que l’immense majorité des cas d’antisémitisme émane de milieux musulmans, ce que, de surcroit, ne reconnaissent pas les autorités officielles de l’islam ?
Pourquoi convier les Juifs, et encore plus les Chrétiens ? Les deux religions n’ont aucun problème relationnel avec les musulmans ni avec la République. Est-ce pour leur faire partager les problèmes de l’islam ? Est-ce pour le “socialiser” dans la société française, en l’encadrant de religions qui avaient dû se réformer pour être admises par l’Etat ? Est-ce pour cacher le véritable problème qui est l’insertion de l’islam en France ?
C’était en tout cas mettre les Juifs en question que de les associer objectivement à un milieu qui leur a montré de l’hostilité. Est-ce pour donner aux musulmans un satisfecit de leur part ? Autant de finalités aberrantes et aux implications négatives pour les Juifs.
A l’occasion de la récente convocation des “cultes” à l’Élysée, nous avons en tout cas appris par la bande quelque chose qui apporte un début de réponse aux questions que nous avons posées. Dans ce “dialogue” il existe en effet une Commission dont la dénomination est tout un programme : “Commission d’adaptation du discours de l’islam en France”. On ne l’apprend que par la démission fracassante d’un de ses membres, le rabbin Moché Lewin, protestant contre le fait que la Mosquée de Paris n’ait pas condamné les atrocités du 7 octobre…
Rien que l’intitulé de cette Commission est farcesque ! Elle avoue par elle-même sa finalité : donner le change, à travers ce qui n’est qu’une opération d’écriture qui a pour finalité de mettre au point un discours qui tracerait un portrait convenable, “adapté” à la culture française, d’un islam inchangé, mais pas de le faire évoluer.
On se perd en conjectures pour comprendre pourquoi les Juifs ont été convoqués à accomplir cette tâche, qui doit apparaître d’autant plus odieuse aux musulmans qui se voient cornaqués dans leur présentation d’eux-mêmes par des représentants d’autres religions, de surcroit des Juifs ! Il y a là à la fois une critique implicite des Juifs, supposés savoir comment donner le change pour cacher ce qu’ils sont, et une incitation à mobiliser contre eux le ressentiment des musulmans, conviés à les imiter.
En un mot, le “dialogue des religions”, tel qu’il s’est manifesté, a visé plutôt à restaurer le visage de l’islam, mais pas à y ouvrir le chantier de sa véritable “adaptation” au cadre républicain.
Si la classe politique française avait eu quelques connaissances de l’histoire politique de la France, elle saurait ce que fut l’intégration du christianisme et du judaïsme dans l’Etat. Évidemment, n’est pas Napoléon qui veut…