Réussite économique des Arabes israéliens

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Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps

Il s’agit d’un pied de nez à tous ceux qui persistent à dire en Europe qu’Israël est un pays d’apartheid. On parle peu de la réussite économique éclatante d’Arabes israéliens, très souvent en tant qu’investisseurs indépendants. Après leurs hautes études brillantes au Technion, ils n’ont souvent pas le choix car, en n’étant pas astreints au service militaire, ils voient les portes se fermer face à eux étant donné que les sociétés d’État et les grandes industries imposent le livret militaire pour l’embauche. Alors, quand ils ne sont pas médecins ou pharmaciens grâce à une discrimination positive, ils s’essaient dans le monde des affaires. Mais les médias sont très pudiques à leur sujet alors qu’ils sont nombreux à travailler dans le hightech, souvent en tant qu’indépendants pour ne pas être soumis à une quelconque pression. Ils s’intéressent peu à la politique, du moins ouvertement, car en tant que minoritaires ils savent que la politique est un sujet qui divise à ne confier qu’à des professionnels. Nombreux sont les Arabes qui ont réussi et, dans un choix tout à fait arbitraire, nous en avons sélectionné deux exemples significatifs.

Dr Sobhi Basheer est né à Sakhnin, un village arabe israélien de Galilée, situé entre Tibériade et Akko. Il est sorti major de sa promotion en chimie à l’Université Hébraïque de Jérusalem mais, malgré son diplôme et son rang, il n’est pas arrivé à être embauché dans l’industrie chimique en Israël, un secteur stratégique aux exigences sécuritaires importantes. Il n’était pas aigri mais il avait voulu forcer le destin en collectionnant les diplômes qui le rendraient indispensable. Il est parti effectuer un doctorat à l’ETH de Zurich, où a également étudié Albert Einstein. En 1992, il reçoit la récompense du meilleur doctorant européen, pour ses quatre années de recherche sur la dégradation du cyanure par les enzymes. Le fruit de son travail est aujourd’hui utilisé par Novozyme, le plus grand fabricant d’enzymes au monde. Il a ensuite décidé de partir à Tsukuba, «la ville de la Science du Japon» où il obtint un financement pour l’étude des enzymes utilisées dans les huiles.

Mais l’appel du pays natal est plus fort. Il rentre en Israël où on lui fait la faveur d’un poste de recherche non rémunéré au Technion, pendant quatre ans, pour étudier ses précieuses enzymes avec ses propres économies. Il s’est donc trouvé contraint de créer une structure économique personnelle en profitant cependant de l’aide financière du gouvernement israélien et de l’Union Européenne. Il a commencé dans son propre petit centre de recherche dans une caravane près de Tibériade, la Galilée Society. En 2001, avec quatre autres chercheurs arabes israéliens, il s’installa dans la zone de Shefar’arm pour fonder Zeituna, une start-up qui produit de la margarine à partir d’huile d’olive, abondante dans la région.

Les affaires marchent mais il poursuit son véritable but en construisant un deuxième étage pour ses bureaux et son laboratoire, et en créant Enzymotec, une start-up spécialisée dans les enzymes dédiées aux industries pharmaceutiques, alimentaires et cosmétiques. En 2006, plus de 180 personnes travaillent pour son entreprise qui concurrence ouvertement le géant mondial Unilever. Son objectif n’étant pas de «faire de l’argent» mais de faire de la recherche, il décida de vendre sa société pour financer un nouveau projet, TransBioDiesel pour libérer le monde de la dépendance au pétrole arabe.

En une seule année, il a vendu pour 1,5 millions de dollars d’enzymes (molécules biologiques) dont il est l’unique producteur au monde. Cette enzyme révolutionnaire transforme toutes les huiles végétales, même usées, en biodiesel. Avec les problèmes énergétiques actuels, ses recherches sont très utiles face à la demande énergétique mondiale et à l’épuisement des ressources naturelles en pétrole. Le biodiesel (diesel vert), produit à partir d’huiles végétales, représente une piste sérieuse. Les géants pétroliers de ce monde ont dépensé des millions pour produire du biodiesel à bas coût, mais seul le Dr Basheer avec la technologie TransBioDiesel, a su résoudre ce casse-tête.

En utilisant uniquement des enzymes (non toxiques pour l’homme), il a réussi à produire du biodiesel à partir d’huiles végétales, mais également à partir d’huiles de très mauvaises qualités et non comestibles, comme les huiles usées de cuisine par exemple. Les enzymes du Dr Basheer sont «révolutionnaires» car elles sont modifiées et peuvent produire du biodiesel pendant un an sans être remplacées, tout en transformant des huiles de mauvaise qualité, ce qui rend évidemment le procédé industriel beaucoup plus rentable. Sept unités pilotes utilisant ces enzymes ont été mises en place aux Etats-Unis, en Corée, en Italie, en Thaïlande, en Grèce, aux Pays-Bas et bien évidemment en Israël. Des industriels viennent de signer de gros contrats avec TransBioDiesel pour démarrer des unités de plus grosses capacités.

Il est co-président de Enzymocore Ltd, qu’il a fondé en 2007, aujourd’hui une société cotée au Nasdaq. La demande du marché pour des biocatalyseurs plus écologiques et moins chers a obligé Enzymocore à répondre à une forte demande de l’industrie du biodiesel. Ce concept s’est transformé en un nouveau modèle commercial de coentreprise, qui se reflète désormais dans la devise de base de l’entreprise, la valorisation des déchets.

Le deuxième exemple de réussite se trouve en la personne de Nafea Bshara, arabe israélien qui est derrière la puce Graviton d’Aws. Bshara est né à Haïfa lorsque ses parents vivaient dans les dortoirs étudiants du Technion, Institut israélien de technologie, où son père étudiait pour un doctorat en génie électrique. Ensuite, la famille a déménagé à Ma’alot Tarshiha en Haute Galilée, où il a grandi. Il a été rapidement identifié comme un élève doué et s’est retrouvé dans le programme scientifique d’enrichissement pour les jeunes de l’Institut Weizmann. Lorsqu’il avait terminé ses études secondaires, il avait envisagé d’étudier le génie électrique ou l’informatique à l’université, mais hésitait en raison de l’expérience traumatisante de son père qui n’avait pas trouvé de travail en tant que diplômé universitaire, car la plupart des emplois pertinents à l’époque étaient dans les industries de la défense, fermés à son père en tant qu’Arabe.

Il a été accepté au programme d’excellence Rothschild du Technion où il a rencontré pour la première fois Bilic Hrvoje, un immigrant juif de Bosnie déchirée par la guerre, né en 1971 en Yougoslavie où son père était PDG de Yougoslavie Telecom, la plus grande entreprise de télécommunications du pays. Il avait fui pendant la guerre après l’éclatement de la Yougoslavie et était arrivé en Israël sans un sou en poche, laissant derrière lui ses parents.

En 2011, Bshara et Hrvoje avaient décidé de fonder Annapurna Labs, avec l’aide du gourou technologique israélien Avigdor Willenz, l’un des cofondateurs de Galileo, qui leur avait fourni un financement initial de 20 millions de dollars et avait amené plusieurs anciens dirigeants de Galileo comme Ronen Boneh et Manuel Alba à les rejoindre. Hrvoje était devenu PDG d’Annapurna. Le succès a été tel qu’Amazon, via (AWS) Amazon Web Services, a acquis Annapurna pour 350 millions de dollars.

L’équipe d’Amazon Annapurna Labs, avec ses centres de développement aux États-Unis et en Israël basés à Yokneam, couvre plusieurs disciplines, notamment l’ingénierie du silicium, la conception et la vérification du matériel, les logiciels et les opérations. Le créateur d’Annapurna vendu à AWS, Nafea Bshara, est aujourd’hui vice-président d’AWS et l’un des principaux esprits derrière le développement de sa dernière série de puces. Bshara avait rejoint Galileo, qui a été vendu en 2000 à Marvell Technology pour 2,7 milliards de dollars, et a été nommé vice-président de cette société.

La puce Graviton, développée par Bshara et ses collègues, rapporte à Amazon 5 milliards de dollars par an. Elle a été développée à Haïfa et depuis 2018, trois versions ont été publiées et la puce rivalise avec Intel et le géant taïwanais TSMC. La réussite de l’Arabe israélien Bshara est totale et sert d’exemple à ceux qui veulent prouver que leur intégration est réussie en Israël.

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