Réponse à la tribune parue dans Libération (G. Bensoussan)

Réponse à la tribune parue dans Libération (G. Bensoussan)

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Les “bons sentiments” sont le meilleur chemin de la mauvaise littérature pour paraphraser Gide, comme les “bonnes intentions” sont le meilleur aliment d’une histoire travestie en propagande. A fortiori lorsqu’est utilisé un argument d’autorité qui nous prévient que telle tribune a été signée par “1000 personnalités internationalement reconnues” en oubliant qu’en faisant nombre, les intellectuels sont tout aussi grégaires que n’importe quel individu pris au hasard. Intellectuel se dit au singulier. Au pluriel, il vire rapidement à l’encasernement.

On lit dans cette tribune publiée par Libération qu’il faut dénoncer “l’état d’apartheid dans tout l’espace de la Palestine historique”. Ce qui inclut, on l’imagine, l’État d’Israël dans ses frontières du 4 juin 1967.

Apartheid en Israël ?  Illusion d’optique les députés arabes la Knesset, le président de séance Ahmed Tibi, député arabe, cette fin juillet 2021, illusion d’optique les noms des rues et les pancartes des bus en hébreu et en arabe, illusion d’optique le juge arabe membre de la Cour suprême, illusion d’optique les consuls et ambassadeurs arabes de l’Etat d’Israël dans le monde, illusion d’optique ma vision des fidèles musulmans faisant la prière dans les couloirs de l’hôpital Shaarei Tzedek à Jérusalem, illusion d’optique ces médecins et infirmiers arabes et juifs travaillant ensemble dans les hôpitaux israéliens.

Le mot apartheid comme le mot colonialisme fonctionne ici comme un outil de diabolisation. Il n’a plus aucune consistance historique mais fait seulement figure de repoussoir. C’est sa fonction. À cet étiage de la pensée, on songe au mot de Talleyrand, souvent cité, selon lequel “tout ce qui est exagéré est insignifiant”. Pauvre homme, il avait eu beau tout connaître de l’ancien régime à la restauration, il restait en deçà de ce que nous  endurons aujourd’hui.

La “Palestine historique”? Mais personne ne sait ce dont il s’agit puisque jusqu’aux années 1930, voire jusqu’à l’orée de la Seconde Guerre mondiale, les Arabes palestiniens eux-mêmes disaient, nombreux, appartenir à la “Syrie du sud” (Suriya al Jannubiya). Dans l’entre-deux-guerres, le mot Palestine renvoie majoritairement au Foyer national juif comme le montre la création en France, en 1926, de l’association pro-sioniste “France-Palestine”.

La “Palestine historique”? Personne n’en connaît les limites puisque dans le mandat de la SDN confié au Royaume Uni en juillet 1922, cette Palestine-là inclut la Jordanie actuelle. Peuplée présentement, majoritairement, de Palestiniens.  De quelle “Palestine historique” s’agit-il ? Celle des douze tribus d’Israël qui campaient sur les deux rives du Jourdain ? Celle de l’administration ottomane du XIX° siècle rattachée pour une part à Damas et pour une part à Beyrouth ? On l’ignore.

Cette tribune est un appel au démantèlement de l’État d’Israël, désigné comme le paria de la planète

Qu’on lise attentivement ces lignes et qu’on les relise. On en verra alors le poids des mots : cette tribune est un appel au démantèlement de l’État d’Israël. De cet État désigné comme le paria de la planète, si l’affaire est avérée, le premier effort d’un intellectuel est de se demander pourquoi il est aux marges du monde civilisé. Comment un martèlement continu de haine sur plusieurs générations (“Les Juifs sont nos chiens”, “Égorgez les Juifs”, Itbakh el Yahoud, criés dans les manifestations de 1920 à Jérusalem) a modelé la conscience israélienne et l’a orientée dans le seul souci de sa survie, puisque, à ce jour, cet État demeure le seul sur la planète dont le droit à l’existence est contesté par une partie de l’humanité qui n’entend pas partager le monde avec lui. 73 ans après sa fondation, l’existence de cet Etat est remise en cause par l’utilisation du mot apartheid dont on sait qu’il vaut condamnation et appel à l’éradication.

Cette tribune aux allures progressistes reprend point par point  les arguments des brûlots racistes-antijuifs de la fin du XIXe siècle

Le “peuple élu de la haine universelle” dont parlait Léon Pinsker en 1882 a glissé sur l’Etat d’Israël aujourd’hui. Cette tribune aux allures progressistes reprend point par point les arguments des brûlots racistes-antijuifs de la fin du XIXe siècle, quand le “signe juif” figurait au centre des péchés du monde. Au nom de la chrétienté, de l’Occident ou de la race, il fallait l’extirper. Aujourd’hui c’est au nom du progrès, de la liberté et de l’égalité entre les peuples qu’il faut démanteler ce régime. Lire : démanteler cet État.

Il n’y a pas de position politique sur ce conflit sans une connaissance impeccable de ses origines.

La solution d’un problème est dans son origine, et la masquer revient à conforter l’oppresseur dans son rôle. Il n’y a pas de position politique sur ce conflit sans une connaissance impeccable de ses origines depuis 140 ans au moins. Et même plus loin en amont tant il faut prendre en compte ce que représente dans l’économie psychique des théodicées du monde chrétien et du monde musulman un signe juif souverain sur la “terre des ancêtres” : un quasi scandale ontologique.

Ce type de tribune condamne quinze millions d’hommes et de femmes, israéliens et palestiniens, à la haine perpétuelle

C’est comprendre une situation qui importe et non de condamner tel ou tel dans des textes suintant le ressentiment et, pour certains des signataires, la cure analytique qui leur aura fait défaut. Une occupation militaire ? C’est vrai et c’est condamnable, parce qu’elle génère de l’oppression. Reste qu’en comprendre l’origine aidera à trouver la solution alors qu’une mise au pilori, quelle qu’en soit la victime, alimente la haine et aggrave le conflit.

Cette tribune fait état de rapports des Nations unies. Certes. Mais ils commenceront d’être pris au sérieux lorsque des Etats criminels cesseront de siéger à la commission des Droits de l’homme. Les dernières lignes de ce texte évoquent la Nakba de 1948, la “loi fondamentale” de 2018, le “régime d’apartheid imposé au peuple palestinien résidant en Israël Palestine”, et pour finir “le droit au retour de tous les exilés depuis la création de l’État d’Israël”.  Cette accumulation ferait sourire s’il ne s’agissait de l’avenir concret de près de quinze millions d’hommes et de femmes, israéliens et palestiniens, condamnés à vivre ensemble et que ce type de tribune condamne à la haine perpétuelle. Les Palestiniens reconnaissent eux-mêmes que les exilés de 1948 (dont l’immense majorité sont aujourd’hui disparus) ne sauraient revenir dans l’État d’Israël. Que nul n’est “exilé de père en fils” (de même qu’on n’est pas “déporté de père en fils”).

Cette proposition “du retour” a un but, et un seul : espérer la fin d’Israël par la submersion démographique.

Cette proposition “du retour” a un but, et un seul, espérer la fin d’Israël par la submersion démographique. Le « retour des exilés » ? Nul n’use de cette formulation à propos des douze millions d’Allemands expulsés en 1945 des Sudètes, de Pologne, des États baltes, de Russie et d’Ukraine. Nul ne la reprend au sujet des dix millions d’Indiens et de Pakistanais de 1947. Nul ne l’évoque à propos des dizaines et des dizaines d’exodes survenus depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale puisqu’on estime à plusieurs centaines de millions le nombre de réfugiés dans le monde. Les 750 000 réfugiés palestiniens de 1948 sont les seuls à disposer depuis 1949 d’une agence spécialisée de l’ONU (UNRWA). Et pourquoi, sinon comme l’exhibition d’un “péché originel” qui empêcherait à tout jamais cet État d’exister.

Enfin, si “retour des exilés” il devait y avoir, il faudrait commencer par les 130 000 Juifs d’Irak condamnés à quitter leur patrie, brutalisés, torturés, et se retrouvant tous du jour au lendemain dans un État d’Israël qu’ils ne souhaitaient pas gagner. Il faudra continuer par les Juifs de Syrie, par ceux de Libye et par ceux d’Égypte condamnés aux mêmes souffrances et dont les descendants, leurs petits-enfants, sont aujourd’hui en grande majorité citoyens de l’État d’Israël, n’exhibant pas de carte d’”exilé”, n’émargeant à aucun budget des Nations unies, et n’ayant jamais perçu le moindre dollar d’aide internationale.

Cet acte d’accusation

Et s’il fallait reprendre point par point cet acte d’accusation, il faudrait en premier lieu interroger ce qui s’est passé en Israël/Palestine en 1948, telle l’image inversée d’une purification ethnique souhaitée par l’un des deux camps. Aujourd’hui, la partie arabe considère comme allant de soi l’élimination de toute présence juive dans les territoires sous sa juridiction, et estime tout aussi évidente une présence arabe dans les territoires sous juridiction juive. Enfin, si l’on compte douze députés arabes à la Knesset, on se prend à rêver aux députés juifs qui auraient dû normalement prendre la parole dans les parlements des pays arabes où vivaient jadis leurs communautés.

“Purification ethnique” ? Décidément, notait Proust, les faits ne pénètrent pas dans l’univers des croyances.

© Georges Bensoussan (historien) (notre photo)

1 Commentaire

  1. Comme d’habitude, tout est dit en quelques mots. L’intelligence s’opposant à la bêtise la plus crasse, la paix s’opposant à la guerre, la culture s’opposant à la nullité intellectuelle, l’humanisme s’opposant à la haine.

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