Il y a deux ans, le 22 Eloul 5776, le Grand rabbin Yossef ‘Haïm Sitruk, quittait ce monde. Le monde juif français est en deuil et l’onde de choc dépasse de loin ce cercle. Le rav Yossef ‘Haïm Sitruk a marqué des générations et continue d’être présent à travers ses très nombreux disciples et ses enfants, qui maintiennent son héritage et perpétuent ses enseignements.
LPH a tenu à lui rendre hommage à travers les témoignages de deux des personnes qui ont été le plus proches du Grand Rabbin: son fils, le rav Ya’akov et son fidèle disciple, Mickaël Abizdid.
Rav Yaakov Sitruk
“Mon père, z”l, parlait avec bienveillance”
Le P’tit Hebdo: Deux ans après la disparition de votre père, zatsal, quels sont les sentiments qui accompagnent votre quotidien?
Rav Ya’akov Sitruk: Nous recevons quotidiennement toujours des manifestations d’affection de la part de ses élèves ou des gens qui l’ont connu. Le lien qu’il avait créé avec tous était si profond qu’il demeure toujours palpable.
La perte d’un père est très douloureuse, il nous manque énormément, mais paradoxalement peut-être, nous n’avons pas de sentiment de vide. Il nous a tellement donné, il a transmis tellement d’enseignements, qu’à chaque instant il est près de nous.
Lph: Il a été à l’origine des institutions Alef que vous dirigez. Il était à vos côtés pendant toutes ces années. Est-ce difficile de continuer sans pouvoir échanger avec lui?
Rav Y.S.: Il y a des moments difficiles, c’est évident. On a parfois le sentiment de ne plus avoir à qui parler, à qui demander conseil. Mais, nous avons tant échangé, c’est lui qui nous a lancés, il nous a mis sur la bonne trajectoire. Aujourd’hui on sait comment continuer, son objectif était clair, il nous l’a bien transmis.
Mon père était un homme qui savait utiliser la parole à bon escient. Il se prononçait sur chaque chose et nous savions quand il était satisfait et quand il ne l’était pas.
Lph: Sur quels points aimeriez-vous ressembler à votre père?
Rav Y.S.: Il y en a beaucoup. J’admirais mon père et tout ce qu’il faisait. Je me souviens que lorsque nous avons ouvert la synagogue à Jérusalem, je lui avais demandé de me donner un conseil. Il m’a alors dit d’accueillir chaque personne qui entre à la synagogue. C’est un travail de tous les jours qu’il accomplissait à merveille: donner un sourire à chacun, être chaleureux avec tous.
Mon père savait aussi transmettre tous les messages de façon agréable et positive. Il savait faire des reproches, il était intransigeant, mais cette rigueur était alliée à un savoir-faire pour transmettre les messages avec beaucoup de bienveillance et d’optimisme. Il valorisait ceux qui l’écoutaient.
Lph: Quel exemple vous a-t-il laissé dans sa façon d’être père?
Rav Y.S.: Je me souviens lorsque j’étais enfant, avant la bar-mitsva, je lui avais demandé pourquoi nous ne ferions pas que des divré Tora à la table de Chabbath – sous-entendu pourquoi il ne le faisait pas. Il m’avait répondu: ”Je ne veux pas que l’on parle que de Tora à table, je veux participer à toutes vos discussions. La table de Chabbath est un moment privilégié en famille, je veux tout partager avec vous”.
Mon père nous donnait le sentiment, quel que soit notre âge, que nous étions importants. Même quand il était Grand rabbin, si j’avais un problème, dans quelque domaine que ce soit, il était au courant et il avait les mots qu’il fallait. Il nous a insufflé beaucoup de confiance.
Mickaël Abizdid
Fidèle disciple, initiateur avec le rav Sitruk, zatsal, du Yom Hatorah
C’est avec beaucoup d’émotion que Mickaël Abizdid a évoqué pour nous son ”Maître, le Grand Rabbin”.
Le P’tit Hebdo: Dans quelles circonstances avez-vous connu le rav Yossef ‘Haïm Sitruk, zatsal?
Mickaël Abizdid: Je l’ai connu en 1988, à quelques jours de sa prise de fonction en tant que Grand rabbin de France. Nous nous trouvions dans le même hôtel. Il a remarqué que j’étais seul et il m’a invité à participer à un repas privé d’une association auquel il participait. Je ne le connaissais absolument pas, c’était la première fois que je le voyais. Je me souviens qu’il m’a emmené avec lui dans cette salle, m’a installé à sa table et a dit : ”On peut commencer maintenant”. Lorsqu’il s’est mis à parler, j’ai compris que j’avais un génie du monde juif devant moi, un Rambam de notre génération. Sa culture, son intelligence, son amour de chaque Juif m’ont impressionné. A la fin du repas, il m’a demandé si j’habitais Paris. Quand je lui ai répondu oui, il m’a dit : ”J’arrive dans quelques semaines et j’aurai besoin d’une armée”. Je lui ai répondu: ”Je serai votre premier soldat”.
Ce jour a été déterminant dans ma vie. J’ai reçu un cadeau immense lorsque je l’ai rencontré.
Lph: Qui était le rav Sitruk, z”l, pour vous?
M.A.: Il était mon Maître mais bien plus. Je me disais toujours que c’était lui que tout le monde attendait, qu’il était capable de renverser le peuple. Il avait compris que l’essentiel n’était pas dans le paraitre, mais dans l’être. Il était capable de parler à tous: il ne faisait pas de différence dans son attitude envers un grand rav et un simple Juif. Il admirait chaque Juif.
Je ne peux pas parler du rav au passé, il ne nous a jamais quittés, nous avons gagné une grande âme qui a passé sa vie à ramener d’autres âmes.
Lph: C’est d’ailleurs pour cela que le Yom Hatorah a vu le jour?
M.A.: Cette idée est née d’une de nos discussions. On se disait qu’il fallait lancer un concept original qui réunirait des milliers de Juifs autour de la Tora. C’est le Grand rabbin Josy Eisenberg, z”l, qui a trouvé le nom de ”Yom Hatorah”.
Ces manifestations étaient énormes. Nous avons réuni plus de 50000 Juifs, le plus grand rassemblement de Juifs autour de la Tora, depuis le don de la Tora ! L’énergie était incroyable: plus de 850 bénévoles, six mois de travail. En réalité, le Grand rabbin ne faisait tout cela que pour une chose: ramener un Juif à la Tora, ne serait-ce qu’un seul, pour lui cela valait tous ces efforts. C’était son but.
Lph: Quelles leçons retenez-vous du rav Sitruk, z”l?
M.A.: Sa modestie permanente, son don de soi pour chaque Juif. Le Grand rabbin lisait des Tehilim avant chaque cours pour éloigner l’orgueil. Il admirait ses enfants. Il n’a pas changé pendant toutes ces années. C’était un homme qui ne jouait pas, il voulait juste donner envie aux Juifs d’étudier la Tora. Après peu importe le chemin qu’ils choisissaient, pourvu que ce soit dans la Tora. Ainsi, nombreuses sont les institutions qui doivent une grande partie de leurs élèves et de leurs donateurs au rav Sitruk, z”l. Il en va de même pour tous ces enfants qui rient dans les rues de Jérusalem, comme le prévoit la prophétie d’Isaïe. Beaucoup sont là grâce à tout ce que le Grand rabbin a fait pour encourager l’alya.
Et même dans la maladie, il est resté lui-même. Il en a fait une force.
Il a tout donné pour chaque Juif. Malgré ses propres soucis de santé, il tenait une liste de tous les Juifs pour lesquels il fallait prier, et ne manquait jamais de le faire.
Son enseignement était sans limite, il donnait sans rien attendre en retour.
Il disait souvent: ”Hachem m’a donné un talent oratoire, je veux qu’Il me place là où je dois être pour qu’avec ce don, j’aide chaque Juif à servir Hachem”. En réalité, le meilleur serviteur de Hachem, c’était lui.
Il y a une phrase que je retiens de lui et qui lui correspond tellement: ”Un grand homme n’est pas celui qui fait de grandes choses, mais celui qui rend les choses grandes”.
Le Grand rabbin était foncièrement bon et il rendait les gens meilleurs.
Enfin, j’évoquerais un dernier enseignement très fort, que nous devons sans cesse avoir à l’esprit. Le rav Sitruk, z”l, avait une devise: ”Toujours se battre pour, jamais contre”. C’est de cet esprit que nous devons nous inspirer au quotidien.
Je ne peux terminer ce témoignage, sans rappeler que tout cela, il l’a fait grâce à une seule personne: son épouse Danielle. Elle était la pompe qui insufflait dans son cœur l’amour de chaque Juif, l’énergie dont il avait besoin.
Source www.lphinfo.com
Hazkara du Rav Yossef Haïm Sitruk
Le Jeu 30 août, 19 Eloul, à 20h30 au Beth Annaëlle, Rehov Yossef Ha’hami 26, Bayit Vagan, Jérusalem
Montée au cimetière le 22 Eloul, dimanche 02 sept. à 9 h 30