C’est ce qu’a constaté le rav Yehochoua’ Neuvirth zatsal (1923-2013), l’auteur du Chemirath Chabbath kehilkhato ! Il en parle dans l’introduction de son ouvrage. Sa famille vivait à Berlin, mais a compris dès la « Nuit de Cristal » qu’il fallait chercher ailleurs où vivre. Deux des enfants sont partis avec le « Kindertransport »[1], un transport exceptionnel de centaines de jeunes juifs vers l’ouest, qui en sauvera beaucoup. Le jeune Yehochoua’ Neuvirth en fera partie, alors qu’il était avant sa bar-mitsva, qu’il « fêtera » en un cercle restreint, auprès de la famille qui l’avait adopté alors en Belgique. Sa propre famille parviendra à se retrouver par la suite en Hollande, mais les problèmes n’étaient pas terminés, car les Allemands étaient présents, et effectuaient de manière suivie des recherches dans les maisons. La famille Neuwirth trouva un appartement caché, et se réfugia entre ses murs. Le miracle eut lieu : jamais les Allemands ne les trouvèrent ! Mais à quel prix ! Cédons la place au rav Neuwirth :
« Nous étions épargnés, en cette maison et en plein milieu du danger, mais en vie ! Depuis ce moment, et jusqu’à la fin de la guerre, à savoir trois années consécutives, nous sommes restés confinés dans cet endroit, sans avoir la possibilité d’en sortir, ni même de nous approcher des fenêtres pour voir ce qui se passait dehors[2], situation que nul ne peut saisir de nos jours. Comment une famille complète vit une si longue période dans un appartement, dans aucune possibilité de sortir sous peine d’être pris, mais avec la grâce de D’, en tout cas, nul ne nous a repérés.
Ce temps long et dur fut utilisé à prier et à dire des psaumes de manière fixe, et à étudier avec papa zal le traité Ketouvoth que nous avions avec nous, et pour ma part j’ai pu étudier le peu de livres que j’avais sous la main, comme par exemple le Michna Beroura tome III[3].
Nous n’avions pas de loua’h de l’année à notre disposition afin que nous puissions savoir quand avaient lieu les fêtes juives. J’ai suivi le Kitsour Choul’han ‘Aroukh édition Feldmann (que j’ai reçu de la part de mon grand frère pour la bar-mitsva, c’était du reste le seul cadeau que j’ai reçu – ce frère était le jeune Sim’ha Eliézer, que D’ venge son sang, déplacé avec les jeunes de sa Yechiva en France [Gurs] en l’an 1942, et a été tué à Auschwitz). Je suis parvenu à apprendre comment l’on préparait le calendrier juif, et j’ai composé selon cela un calendrier pour les années durant lesquelles nous étions confinés. On y trouvait les dates des Chabbatoth et des jours de fête, celles des jeûnes, le tout, les dates juives en correspondance avec les dates civiles. En un autre endroit de la ville, une autre personne s’était adonnée au même jeu, et après la guerre il s’est avéré qu’il y avait des différences entre les deux calculs, mais le mien était juste (je l’ai encore sous la main). La résistance juive a eu vent de cela, s’est rendue chez nous et a photographié mon loua’h pour le distribuer aux Juifs des camps.
La corde s’est resserrée autour des Juifs d’Amsterdam. Les Allemands décidèrent d’organiser une action pour effectuer l’expulsion définitive le 21 Iyar 1943. Ils passèrent d’une maison à l’autre pour chercher des Juifs, frappant à chaque porte. Ils prirent ainsi les derniers Juifs se trouvant dans la ville. Chaque maison fut inspectée avec soin, selon des listes préparées à l’avance, et les voici qui arrivent à notre adresse… Il y avait un voisin dont nous redoutions la réaction. Il sortit et leur dit : « Nous n’avons pas connaissance de la présence de Juifs ici… » C’est ainsi que nous avons été sauvés de l’expulsion et du massacre… Je respect ce jour-là comme étant mon « Pourim » personnel, moi et mes descendants, chaque année.
Nous sommes restés confinés dans cette maison, avec l’interdiction de nous approcher des fenêtres. Pour les Allemands, nous n’existions pas… En 1945, finalement, la Hollande fut libérée du joug des conquérants nazis, et ma famille et moi ressentions un grand sentiment de reconnaissance pour avoir passé ces années tout en restant en bonne santé et vivants.
[1] Le Kindertransport (transport d’enfants) est le nom informel d’une série d’opérations de sauvetage qui permit, entre 1938 et 1940, de transférer d’Allemagne nazie vers la Grande-Bretagne des milliers d’enfants juifs réfugiés.
Après les violences antisémites organisées par les autorités nazies pendant la « Nuit de cristal » en novembre 1938, le gouvernement britannique rendit moins contraignantes les restrictions en matière d’immigration pour certaines catégories de réfugiés juifs. Sous la pression de l’opinion publique britannique et des comités d’aide aux réfugiés, et plus particulièrement du British Committee for the Jews of Germany et du Movement for the Care of Children from Germany, les autorités britanniques acceptèrent d’autoriser un nombre indéterminé d’enfants de moins de 17 ans en provenance d’Allemagne et des territoires occupés par l’Allemagne (c’est-à-dire d’Autriche et des territoires tchèques) à entrer en Grande-Bretagne.
[2] L’histoire ne fit pas comment la famille put s’alimenter alors…
[3] Ce qui semble avoir permis à l’auteur du Chemirath Chabbath de se préparer pour l’avenir…