Avec environ 12 000 personnes sur une population totale de 60 000 habitants, c’est l’une des communautés juives les plus importantes en France.
C’était il y a six ans. Jonathan Sandler et ses deux enfants Arié et Gabriel et Myriam Monsonego, tombaient sous les balles du terroriste Mohammed Merah à l’école Ozar-Hatorah, à Toulouse. Un triste événement qui retentissait jusqu’à Sarcelles, où Eva Sandler, veuve de Jonathan Sandler, vivait après ce drame. Ce lundi, elle sera présente à la commémoration organisée par la municipalité (PS), pour un hommage à ces individus « lâchement assassinés parce que juifs », peut-on lire sur la stèle élevée par la ville. C’est aussi ce lundi que le gouvernement doit annoncer son nouveau plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme. « J’ai le sentiment que les autorités ne sont pas à la hauteur, indique François Pupponi, député (PS). Nous avions proposé d’être une zone expérimentale pour analyser les actes antisémites, les expliquer… » Rencontre avec les habitants de la communauté juive de Sarcelles, l’une des plus importantes de France. Ils sont environ 12 000 sur les 60 000 habitants de la ville.
Ce lundi, une commémoration est organisée en présence notamment d’Eva Sandler, veuve de Jonathan Sandler. Une plaque rend hommage à ce dernier et à ses deux enfants, ainsi qu’à Myriam Monsonego, 8 ans, victimes de Mohammed Merah à Toulouse, en mars 2012. LP/Maïram Guissé
« Il faut combattre l’antisémitisme et le silence »Laurent Berros, rabbin de Sarcelles et du Val-d’Oise.
LP/M.G.
Comment percevez-vous la vie de la communauté juive aujourd’hui à Sarcelles ?
Laurent Berros : Elle vit bien. Elle a retrouvé ses esprits. Après les attentats de l’Hyper Casher en 2015 et plus encore après la manifestation [interdite] du 20 juillet 2014, on a eu beaucoup de départs. Ce dernier événement avait ébranlé la communauté qui s’est mise à douter, car les Sarcellois ne pensaient pas qu’un jour, ça pouvait arriver ici, chez eux. Car somme toute à Sarcelles, il fait bon vivre. Les communautés et les gens se respectent. Qu’on se balade avec une kippa ou en djellaba, ça ne choque personne. Le fait de vivre ensemble, d’aller au marché, contribue au fait qu’il n’y ait pas autant de tensions que l’on pourrait penser.
Il faut combattre l’antisémitisme et combattre le silence. La minorité silencieuse, qui ne participe pas, qui n’a pas de volonté de s’intégrer à la société, peut faire des dégâts. Tout le monde n’a pas les mêmes idées, mais il ne faut pas que la haine s’installe. Il ne faut pas que la lutte contre l’antisémitisme se fasse que dans la répression. Ça passe par un vrai dialogue, même musclé, avec des gens qui n’ont pas envie de parler. Il faut mettre en place des grands moments de rencontre.
Comment ?
Je crois aux marches citoyennes, aux marches républicaines. Il faut déambuler dans les quartiers, aller à la rencontre des gens pour briser le silence. Car ce silence s’est transformé en haine. Il faut briser cette haine.
Comment qualifiez-vous les relations entre communautés ?
Il y a un dialogue avec les communautés, ce sont des gens adorables. C’est peut-être une ville compartimentée mais dans chaque compartiment, il y a des gens de religions différentes. Il y a une vraie cohabitation. Celle-ci devient de plus en plus dure avec les nouvelles générations qui peuvent avoir des préjugés. Aujourd’hui par exemple, il y a le problème de l’école publique où on a des enfants qui ne peuvent plus être scolarisés à cause de leur appartenance religieuse et sont donc dans les écoles juives.
Faudrait-il mettre en place des journées de lutte contre l’antisémitisme ?
Ces journées doivent exister. Il faut impérativement lutter par l’information. Il faut réactiver le vivre-ensemble et la politique de la ville est prépondérante dans ce dialogue. Des lieux comme le conservatoire où les associations sportives, qui accueillent des gens de toutes confessions et où tout va bien, sont importants. Ce vivre-ensemble qui était normal avant devient utile et nécessaire aujourd’hui.
/LP/M.G.
Pour les habitants, les choses ont changé avec le temps
Avenue Paul-Valéry, à Sarcelles. Ici, tous les commerces proposent des produits casher. C’est dans ce quartier, dit celui de la « Petite Jérusalem », que vit une grande majorité des Juifs de la commune. La récente agression d’un enfant de 8 ans qui portait une kippa a suscité beaucoup d’émotion. L’ancien maire (PS), Nicolas Maccioni, avait alors demandé au préfet des renforts pour plus de sécurité et songeait à organiser, avant sa démission, des journées de lutte contre l’antisémitisme.
« Ah, Mazel tov ! », s’enthousiasme Maguy. Pour cette habitante de 72 ans, il y a urgence « à engager un travail sur cette question ». Elle est attablée à la terrasse d’une boulangerie avec Joëlle, 58 ans, fille de Liliane, 82 ans. Elles ont connu le Sarcelles d’antan. « Celui où tout le monde se mélangeait », assure tout sourire Maguy, nostalgique. « Il y a quarante ans, on n’avait pas de problème, on se sentait en sécurité, reprend Joëlle. Avec le temps, les choses ont changé. » Maguy est religieuse. Elle sort la tête couverte. Joëlle ne l’est pas. « Je me suis retrouvée à inscrire ma fille dans une école juive parce qu’elle se faisait agresser au collège public », souffle-t-elle. « J’ai dû faire pareil. On s’en prend à eux parce qu’ils sont juifs, affirme Maguy. Le gamin de 8 ans, je suis sûre qu’ils l’ont frappé parce qu’il avait une kippa… » Joëlle aimerait que ça change : « On a grandi dans les mêmes quartiers, on a vécu les mêmes galères, je ne comprends pas comment on peut en arriver là », souffle-t-elle tout en tirant sur sa cigarette.
« Tout n’est pas parfait, mais pas besoin d’en rajouter »
A quelques mètres de là, David* sort d’un magasin. A 34 ans, il n’a jamais vécu ailleurs qu’à Sarcelles et ne compte pas en partir. « Je suis bien ici. Il y a une bonne cohabitation entre les gens. Ici, j’assume ma kippa, je sais qu’on ne va pas me regarder bizarrement, alors qu’ailleurs je ne la mets pas forcément. Parfois je mets une casquette », concède-t-il. Un geste qu’il voudrait ne pas avoir à faire. « Qu’on porte une kippa, une croix ou un voile, on ne devrait pas être embêté. Moi, je m’en fiche. Chacun doit pouvoir vivre librement qu’il soit croyant ou non, sans avoir peur d’être agressé. » Le jeune homme est optimiste. « Les émeutes de juillet 2014 (NDLR : en marge d’une manifestation propalestinienne), ça a été dur. Ça a été un tournant pour la communauté. Mais pour moi, le vivre ensemble existe toujours. » Samuel, 21 ans, a grandi dans la rue Louis-Lebrun. « Je ne ressens pas du tout de danger à Sarcelles. Je trouve que les choses se passent bien. » Son amie, Rebecca, 22 ans, n’est pas aussi catégorique. « Ce n’est pas lié qu’à Sarcelles, c’est un climat général. Depuis les attentas à l’Hyper Cacher, j’ai peur. »
Dan, père de quatre enfants, installé dans le quartier depuis trente ans, est « tranquille ». « Je vis bien ma vie, j’ai mes magasins casher, ma synagogue, je peux vivre ma foi tranquillement », insiste l’homme de 59 ans. Un sentiment partagé par Esther*. « Ça fait quarante-cinq ans que je suis à Sarcelles et les communautés vivent bien ensemble. Tout n’est pas parfait mais ça va, pas besoin d’en rajouter. »
*Les prénoms ont été modifiés
« Il n’y a plus de mixité »Yolande a fait son Aliyah, avec son mari Jean-Paul.
Ils ont 68 et 66 ans. Yolande et Jean-Paul, ont quitté leur ville de Sarcelles, il y a deux ans et demi, où ils ont vécu pendant quarante-deux ans. « On a voulu faire notre Aliyah [immigrer en Israël] une fois à la retraite », indique le couple, rencontré avenue Paul-Valéry. Pour quelles raisons ? « Pour un meilleur cadre de vie, insiste Jean-Paul, canne à la main. Là-bas on a le soleil, la mer… C’est mieux. » Yolande fait la moue. « C’est aussi pour des questions de sécurité, intervient-elle. On voulait plus de sérénité. L’Aliyah, ça nous fait du bien. » Chaque année, ils reviennent à Sarcelles. « On a nos enfants qui vivent encore en France, à Paris. L’une de nos filles vient d’accoucher, se réjouit la retraitée. C’est pour ça qu’on est revenu en janvier et mon mari s’est fait opérer. » Ils comptent repartir bientôt. Ils aiment revenir à Sarcelles, « même si ça a changé ». « Il n’y a plus de mixité, plus de laïcité », déplore Yolande.
Source www.leparisien.fr