Questions à Daniel Benhaïm, le directeur de l’Agence juive, France

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Nous avons voulu mieux comprendre ce qui se fait du côté de la Sokhnout de nos jours – en particulier pourquoi, finalement, aucun délégué orthodoxe n’y œuvre. C’est Daniel Benhaïm, le responsable de l’Agence juive pour la France depuis 2014, un Français originaire de Sarcelles, qui a répondu à nos questions.

Nous avons voulu tout d’abord savoir combien de Juifs de France faisaient actuellement leur ‘alia, selon la Sokhnout. Dans les années 90, on parlait de 1000 par an, puis dans les années 2000, de quelque 2000. Tout cela est en grande augmentation ces dernières années, puisqu’on compte 8000 Juifs pour l’an passé. La proportion de Juifs religieux ? Si on parle de traditionnalistes à la française, c’est une majorité, nous répond M. Benhaïm, avec un éventail de pratique assez large. Quant aux orthodoxes, difficile de donner des chiffres exacts, bien qu’il soit sûr que cette partie des ‘olim est en augmentation également.

Dès lors, se pose à notre esprit la question : est-ce qu’il y a un délégué orthodoxe de la Sokhnout en France ?

Il n’y a pas à l’Agence juive de chalia’h ‘harédi proprement dit ; en revanche, les trois chelihim en place sont religieux – ce qui n’était jamais arrivé auparavant. Ils sont sensibles à ce monde-là.

Néanmoins, je me dois d’ajouter ceci – et c’est à ce niveau que beaucoup d’erreurs se sont produites : en ce monde de choix personnels qui est le nôtre, chacun est en mesure de savoir vers quoi il se dirige ! Nous avons un rôle de placement et, peut-être, pour ceux qui le désirent, un rôle de conseil. Cependant, on n’est plus dans les années 50 ou 60, où les familles arrivaient à l’Agence juive et en ressortaient en sachant où elles allaient vivre, dans quelle école les enfants allaient étudier et quel métier le père de famille exercerait… On n’est vraiment plus dans ce cas de figure. Aujourd’hui, on vient chez nous pour avoir des réponses administratives ; certains peuvent être éloignés de tout, et venir demander des conseils, mais la plupart des gens sont très au courant de la réalité israélienne, et choisiront eux-mêmes leur parcours.
C’est là, en fait, où il y a un réel « motsi chem ra’ » sur notre travail. On n’accueille pas les gens pour leur faire abandonner leur chapeau et raser leur barbe… Ce côté n’existe pas.

La ‘alia de France est considérée comme une ‘alia de choix, et les gens savent vers quoi ils vont.

Acceptons cela, mais la question n’en reste pas moins lancinante : pourquoi finalement n’y a-t-il pas de délégué harédi dans votre équipe ? Ne serait-ce pas la meilleure voie pour desservir ce public comme il le faut ? Les gens vous font confiance, ils ont besoin d’un minimum de conseil, et on leur propose bien chez vous, ou à côté de chez vous, des ‘alioth en groupe à Kokhav Ya’akov, qui n’est pas fait pour eux. Risque il y a que sur place, qu’on vienne les influencer.

L’Agence Juive ne s’opposerait pas à un délégué ‘harédi. Officiellement, elle ne cherche pas de délégué selon des paramètres identitaires. Et, si elle cherchait un chalia’h de gauche ou de droite, cela entrainerait un vrai tollé.

L’Agence juive ne « cherche » pas de profils précis – et du reste, aucune personne de l’origine dont vous parlez s’est présentée à nous.

Si l’Agence juive avait une politique différente, on aurait gardé des cheli’him peu adaptés, comme dans le temps.

En conclusion, il n’y a pas de vraie volonté dans ce domaine mais il n’y a pas d’opposition, même si l’on peut déceler une certaine tendance à chercher à s’adapter au public.

Soit, mais, en fin de compte, cela ne serait pas déplacé ?

On y a même pensé.

Et on a également voulu organiser un salon de la Alispécial pour le monde ‘harédi, mais cela ne s’est pas fait.

Il va de soi, en terme de marketing, que nous aurions intérêt à ce que notre service soit conforme aux attentes de ce public, mais cela ne s’est pas encore fait.

Vous avez, à ce sujet, rebondi sur d’éventuels reproches faits à la Sokhnouth sur le plan financier. Le fait en soi nous a surpris ; pouvez-vous préciser de quoi il s’agit ? D’un autre côté, depuis quelque temps, le Kéren laYedidout fait de la publicité dans les journaux : cette fondation aide les ‘olim de France. Où en est la Sokhnouth dans cette affaire ?

Surtout que la présence de cette dernière fondation est plus qu’inconfortable : ses fonds proviennent officiellement de sources évangélistes américaines, même si le nom d’un certain rabbi Ekstein, son fondateur, y est mêlé. Comme rav Eliachiv a pu dire en son temps : il est plus que gênant que ce soient de tels gens qui aident la communauté juive. En effet, cela ne vous dérange pas ?

Je suis gêné par autre chose : le Kéren laYedidouth est une association, fondée par un individu, venue diffuser son image comme si elle était une institution d’Etat, une sorte d’Agence juive. Tout aussi généreuse que soit son action, elle n’a de compte à rendre à personne.

Deuxièmement, toute personne qui accepte de l’argent du Kéren, n’en doit pas moins passer pour nous. Le Kéren ne crée aucun ‘olé. En France, on n’est pas en Ukraine, en Ethiopie ou au Yémen, et cette fondation chez nous ne permet pas, en fait, aux gens de faire leur ‘alia. Tout au plus, elle les aide ponctuellement, dans une petite mesure.

De là ma gêne : ces grandes annonces ont tendance à faire croire que cette fondation est derrière la ‘alia, alors que c’est faux. Ces sommes d’argent ne sont pas suffisantes pour que les gens prennent leur décision.

 

Pour ma part, je voulais dire encore, en ce qui concerne le public orthodoxe, que le vrai problème est celui du passage du monde ‘harédi français au monde ‘harédi israélien ! Tous les Juifs de France, quand ils arrivent en Israël, perdent un peu pied. Ici, on peut trouver des enfants dans telle école religieuse, mais les parents ne respectent pas le Chabbath, la mère ne se couvre pas la tête, etc. Quand ils font le pas, la transition n’est pas facile, et l’une des difficultés est de savoir, aussi, où mettre les enfants. Le monde américain a su créer ses institutions – Neora, Ma’arava, etc., permettant cela. C’est à ce niveau qu’il faut parvenir à travailler, pour savoir comment permettre un passage plus facile au public français, qui n’y est pas toujours réellement prêt.

 

 


Kéren laYedidout – en anglais : the “International Fellowship of Christians and Jews”

Cette fondation a été créée en 1983 par rabbi Ye’hiel Eckstein. Voici deux ans, elle drainait près d’un demi-milliard de shékels par an… Elle a pour vocation d’aider les Juifs à se rendre en Erets Israël. L’argent provient en grande partie d’évangélistes américains, qui voient dans le retour des Juifs en Terre sainte un point important – ils espèrent également l’adhésion à la fin des temps du peuple juif à leur foi. On imagine bien qu’avec un tel soutien, cette fondation n’est pas acceptée par tous, loin de là.

Du côté orthodoxe, plusieurs institutions ont accepté son aide, mais cela les a écartées du public religieux. Le rav Eliachiv zatsal a été consulté en son temps, en particulier face à l’opinion du rav Sim’ha Kook de Re’hovoth, qui voulait totalement interdire tout contact avec cette fondation. Le Grand de la génération a refusé une position aussi tranchée, et a préféré se contenter de qualifier de gênant le fait d’accepter de l’argent de cette provenance.

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