Pour quelle raison fête-t-on la Hiloula de rabbi Chim’on bar Yo’haï pendant la sefirath ha’Omer, pourtant connue comme une période de deuil ?
Avant de répondre à cette question, rappelons tout d’abord que la « sefirath ha’Omer » marque la période traversée par le peuple juif entre sa sortie d’Egypte et le jour du don de la Tora au mont Sinaï. Elle est donc propice à la construction et à une préparation de soi en vue de recevoir la Tora le jour de Chavou’oth. Or, comme l’écrit le Ramban dans son commentaire de la Tora (Vayikra/Lévitique 23,16), « les 49 jours séparant Pessa’h de Chavou’oth sont, à l’image des jours séparant le 1er jour de Souccoth de Chemini ‘Atséret, des jours de fête (’houlo chel mo’ed) ». Et pour cause : les jours du ‘Omer ont la force de nous conduire au dévoilement de notre rapport authentique à la Tora ! Ils sont donc autant de midoth, de qualités, de traits de caractère, qu’il s’agit de dévoiler afin de produire notre réalité spirituelle.
Par conséquent, ces jours sont aussi sujets à une certaine tension et, en vertu du projet qui les sous-tend, voués à des règles et à des usages relevant de la rigueur (din). Pour cette raison, comme l’enseigne le Tour, « Il est de coutume de ne pas se marier entre Pessa’h et ‘Atséreth [Chavou’oth] : on ne multiplie pas les manifestations de joie, car c’est pendant cette période que décéderent les élèves de rabbi ‘Akiva » (Ora’h ‘Hayim, 493).
Cette décision halakhique tire son origine du traité talmudique Yevamoth (62b), où il est raconté que rabbi ‘Akiva avait 24 000 élèves qui, tous, moururent pendant une seule et même période (bePérèk é’had). De fait, explique la Guemara, « Ils ne s’étaient pas comportés avec « respect » les uns envers les autres – lo nahagou kevod zé lazé ».
En-dehors de la mitsva de compter les jours du ‘Omer séparant le rendez-vous (mo’èd) de Pessa’h de celui de Chavou’oth, cette période doit donc être vécue, si ce n’est dans le deuil, du moins avec une certaine réserve… On ne se taille pas la barbe ni les cheveux, on évite d’écouter de la musique ou de prendre part à toute autre manifestation de joie et, comme cela est encore rapporté dans le Tour (idem), il est d’usage de ne pas travailler pendant le laps de temps qui sépare le coucher du soleil de la récitation, en minyan, de la sefirath ha’Omer. En effet, c’est précisément là, à la tombée de la nuit, que l’on enterrait les élèves de rabbi ‘Akiva…
Pourtant, le 33ème jour de la sefira, le jour du décès de rabbi Chim’on bar Yo’haï, le peuple d’Israël a coutume de fêter le retour de l’âme du sage au Gan Eden en dansant et en chantant au rythme des instruments de musique, autour de feux de joie, comme autour d’un « Ner Nechama » en l’honneur du tsadik. Eh quoi ? Qu’est-il arrivé soudain ? Où sont passés les jours de deuil ?
En vérité, cette date correspond au moment où l’épidémie qui frappait les élèves de rabbi ‘Akiva a commencé à cesser, la période de rigueur propre à la sefira s’estompant progressivement pour laisser ressurgir cette lumière caractéristique des jours de fête, évoquée le Ramban. Après cette date du 33ème jour, 17 jours seulement nous séparent encore du don de la Tora, 17 étant précisément la guematria du mot « tov »…
Rav Yehouda Ruck