Quand le roi du Portugal déportait les Juifs pour coloniser ses nouvelles terres africaines

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On estime à 250 000 le nombre de Juifs espagnols et portugais qui durent se convertir au catholicisme entre 1391 et 1492, sans parler des milliers qui moururent sur les bûchers de l’Inquisition. C’est à cette époque qu’ils devinrent des marranos (marranes) ou judeos segredos (Juifs cachés). Plus de 100 000 trouvèrent refuge sur les rives nord ou sud de la Méditerranée, mais auparavant, la destination privilégiée des Juifs d’Espagne fut le Portugal, qui leur ouvrit ses portes.

Pourtant, dès 1496, les souverains espagnols forcèrent leur voisin portugais à expulser à son tour les Juifs. Des milliers d’entre eux (espagnols et portugais) trouvèrent « refuge » sur les côtes africaines. Maroc, Algérie, Libye et Egypte pour un grand nombre, mais aussi, dans une moindre mesure, dans les comptoirs portugais du Cap Vert, de São Tomé, d’Angola ou du Mozambique…

Les îles du Cap Vert, premier territoire investi par les Portugais

Cette année-là, le roi du Portugal Manuel Ier prit la décision d’exiler de force des milliers de Juifs dans les îles de São Tomé, de Principe et du Cap Vert. En effet, devant le peu d’empressement des Portugais à aller s’implanter sur ces terres hostiles, le roi programma le départ sous la contrainte des exclus du royaume, c’est-à-dire les détenus condamnés à mort – la sentence étant alors commuée en déportation –, les nouveaux chrétiens (Juifs convertis) et même certains enfants des marranes, issus de la communauté juive espagnole réfugiée sur son territoire, dont l’âge était compris entre 3 et 14 ans.

Dans les années 1460, quand les Portugais découvrirent les quatorze îles du Cap Vert situées à 450 kilomètres des côtes africaines, ils utilisèrent l’archipel comme une station de ravitaillement sur la route du Nouveau monde (l’Inde ou l’Amérique) comme une escale pour la traite, où ils se ravitaillaient en combustible (charbon). Cela devint un « refuge » pour des Juifs que l’Inquisition cherchait à convertir sous peine de mort en cas de refus. Les premiers d’entre eux arrivèrent sur l’île principale de São Tiago et furent confinés à l’écart à Praia, actuelle capitale du Cap Vert.

En 1548, des Juifs furent déplacés sur l’île de Santo Antao par l’Inquisition, exilés (degregados) par le gouvernement portugais. Quelques traces de leur présence demeurent dans la région, ou un village appelé Synagoga et plusieurs cimetières attestent de leur passage.

L’installation forcée des Juifs marque le début de la colonisation portugaise en Afrique

On retrouve également quelques traces d’une présence juive à São Tomé. Cette île fut découverte en 1472, au cours de l’expédition de deux navigateurs portugais, Joao de Santarem et Pêro Escobar. En 1485, le roi du Portugal  encouragea l’installation des colons sur ces îles sans hommes. « En 1484, Jean II du Portugal, trouvant que le climat de l’île était si malsain, donna aux Juifs de son royaume le choix d’être baptisé catholique ou de coloniser São Tomé et d’y épouser des femmes amenées d’Angola« , écrit en 1864 l’explorateur et historien William Reade dans son livre Savage Africa.

Le roi Manuel du Portugal à la recherche de financements pour son expansion coloniale décida également d’imposer de lourds impôts aux Juifs, qu’ils devaient acquitter immédiatement. Lorsqu’il s’avéra que la majorité ne parvenait pas à les payer, le roi exila leurs jeunes enfants à São Tomé et à Principe en représailles.

Déportation de 2000 enfants de moins de 8 ans à São Tomé

Ainsi, 2000 jeunes enfants de moins de huit ans furent séparés de leurs parents et déportés dans ces îles où la plupart périrent de faim ou de maladie. Le gouverneur Alvaro de Caminha aurait réussi à en sauver soixante en les envoyant accompagnés de nurses africaines à Principe et Rio Reale. L’écrivain portugais Mario Claudio revient sur ce fait historique considéré comme « la première déportation massive anti-juive au Portugal » au XVe siècle.

L’objectif des rois portugais était de constituer un véritable empire par la conquête militaire, religieuse et économique. Or, les premiers contacts établis au Cap Vert et à São-Tomé avaient montré le côté inhospitalier de ces lieux. Les îles du Cap Vert étaient soumises aux vents et à une sécheresse endémique qui interdisaient une agriculture rentable. Quand à celle de São Tomé, elle fut vite connue comme étant « l’île aux lézards » à cause des reptiles et crocodiles géants qui la peuplaient. Mais par sa situation géographique, elle s’avérait un relais essentiel pour organiser les expéditions vers les Indes, terres de toutes les richesses.

Introduction de la canne à sucre et du cacao

La canne à sucre puis le cacao furent introduits avec succès à São Tomé et l’archipel devint au milieu du XVIe siècle le principal producteur de sucre. La récolte des tiges et le travail en sucrerie demandaient une main-d’œuvre importante. Force était de trouver des bras pour travailler dans les plantations et les manufactures. La déportation de Juifs et de proscrits portugais n’étant plus de mise, ils ne pouvaient provenir que de la main-d’œuvre africaine. Au cours des XVIe et XVIIe siècles, la couronne poussa les marchands juifs du Cap Vert à s’installer sur les côtes de Guinée et de Sénégambie (actuels Sénégal et Gambie) pour pratiquer le commerce de l’ivoire, des peaux, de l’or et aussi des esclaves.

Ces commerçants généralement dénommés lançados (de lançar, « rejeter ») étaient souvent d’origine juive, quoique cette dénomination ait été affectée sans distinction à tous les proscrits et fugitifs chassés du Portugal.

On sait qu’au début du XVIIe siècle, les lançados cap-verdiens avaient établi des comptoirs tout au long des côtes ouest-africaines, en des lieux tels que Gorée et Joal, Rufisque, ou encore Ziguinchor en Casamance, et plus loin encore sur la côte de la Guinée. Le plus souvent, ils prirent des épouses africaines et se métissèrent avec la population locale. « De même le groupe des Mavumba, installé sur la côte de Cabinda en Afrique occidentale portugaise, reconnu pour ses potiers de renom, fut considéré comme descendant de Juifs expulsés et déportés à São Tomé« , écrit l’historienne Edith Bruder dans son livre Black jews.

Plus tard, entre 1850 et 1900, un certain nombre de Juifs s’installèrent en Angola et au Mozambique, colonies portugaises. Le nom de la capitale du Mozambique était Lourenço Marquès, devenue Maputo à l’indépendance du pays. Une importante communauté juive y vivait. Elle en est partie en raison de la longue et meurtrière guerre civile qui déchira le pays de 1975 à 2002.

La route des Indes

Après que Vasco de Gama eut atteint l’Inde en 1498, il ouvrit des comptoirs de commerce à Cochin et Deccan ; la zone d’influence portugaise toucha très vite Goa (1510), Malacca (1511) et les îles Moluques (1512), jusqu’au Japon (1543). Autant de territoires dont la production d’épices fut l’objet d’un commerce très lucratif. Comptoirs où des familles juives s’implantèrent, venant parfois d’Anvers ou d’Amsterdam.

Commencé en 1492, l’exode des Juifs portugais (et plus largement ceux de la Péninsule ibérique) vers l’Afrique fut relayé plus tard par celui des Juifs d’origine portugaise fixés aux Pays-Bas. Les deux mouvements sont à distinguer : le premier fut engagé sous la contrainte. Le second fut volontaire, les membres de la communauté juive des Pays-Bas s’expatriant pour développer un commerce naissant entre l’Afrique et les nations les plus puissantes économiquement de l’Europe du Nord et du Sud, mais aussi le Brésil et le Mexique.

Une deuxième arrivée de Juifs au Cap Vert, fuyant pour la plupart des persécutions, eut lieu au XIXe siècle, en provenance du Maroc et de Gibraltar. Carlos Veiga, Premier ministre du pays du 26 janvier 1991 au 29 juillet 2000, est le petit-fils d’immigrants juifs originaires de Gibraltar, arrivés au Cap Vert au milieu du XIXe siècle.

Source www.francetvinfo.fr

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