Après la défaite de la France par les forces nazies pendant la Seconde Guerre mondiale, un gouvernement pro-nazi français dirigé par le maréchal Philippe Pétain a été formé. Il sera appelé gouvernement de Vichy, en hommage à la ville de Vichy (sud-est du département de l’Allier, en région Auvergne-Rhône-Alpes) qui a vu la signature d’un armistice entre les deux parties le 22 juin 1940.
Sur les pas des nazis, le gouvernement de Vichy était lui aussi anti-juif, au moment où la France était aux commandes de plusieurs colonies, dont le Maroc, l’Algérie et la Tunisie.
Ainsi, le 31 octobre 1940, le nouveau gouvernement français promulgue une nouvelle loi spéciale pour les Juifs, les empêchant d’exercer des fonctions publiques, des fonctions représentatives ou des emplois dans l’enseignement et les médias. L’exécutif de Philippe Pétain tente, plus tard, de mettre en œuvre cette loi dans le reste des colonies françaises, dont le Maroc.
Des lois nazies à appliquer au Maroc
Cependant, selon le livre «Mohammed V et les Juifs du Maroc à l’époque de Vichy» (Editions : Plon, 1997) de son auteur Robert Assaraf, le gouvernement de Vichy n’a pas pu appliquer la nouvelle loi au Maroc comme il l’a fait en Algérie. «Les Juifs marocains sont des sujets du sultan» et il «reste le chef d’un Etat considéré comme théoriquement souverain» mais soumis au protectorat, explique-t-il.
Le gouvernement de Vichy demande alors au résident général de France au Maroc, le général Charles Noguès (septembre 1936 – juin 1943), d’adapter la loi sur les Juifs aux conditions et circonstances locales, et de pousser le sultan à l’accepter, étant donné qu’il est le seul qualifié à émettre des Dahirs.
Mais les Juifs marocains s’attendaient à ce que le sultan Mohammed Ben Youssef s’oppose à l’application de ladite loi au Maroc, en particulier après l’expérience du Dahir berbère. Les renseignements militaires français indiquaient, à l’époque, que les Juifs marocains disaient que «Sa Majesté n’approuvera pas des mesures contradictoires en lettre et esprit au contenu du Coran». «Selon eux, les chrétiens et les Juifs ont le droit de vivre dans un pays islamique et ils ont le droit d’exercer toutes les professions sans préjudice de la religion à condition de payer des impôts et de respecter la loi islamique», ajoute-t-on.
Le sultan Mohammed Ben Youssef à Paris en juillet 1930. / DR
Mais les faits historiques prouvent que les Juifs du royaume avaient surestimé la position du Sultan, persuadé et pressé par les autorités du protectorat de signer la loi après y avoir apporté certaines modifications. Ainsi, le texte est ratifié le 31 octobre 1940.
Bien que cette loi empêche les Juifs d’assumer plusieurs postes, le gouvernement de Vichy ne la considère pas suffisamment ferme. L’exécutif français décide alors, en mars 1941, de créer un commissaire général aux questions juives, spécialisé dans la lutte contre «l’influence juive» dans les domaines intellectuel et économique. L’organisme sera confié au député français antisémite Xavier Vallat.
Au moment où l’exclusion des Juifs en France augmentait, notamment dans la vie économique et politique, tout comme en Algérie, les Marocains de confession juive commençaient à s’inquiéter. Car, à l’époque, le responsable du Commissariat général aux questions juives espérait étendre la loi au Maroc et à la Tunisie.
Face à cette situation, le livre «Mohammed V et les Juifs du Maroc à l’époque de Vichy» souligne que les chefs des quatre principales communautés juives au Maroc (Yahya Zagury à Casablanca, Albert Amiel à Rabat, Hayout Ben Siyoune à Sala et Joseph Berdugo à Meknès), feront appel à Charles Noguès. «Les Juifs qui résidaient au Maroc depuis plusieurs siècles ont toujours formé dans ce pays un élément de calme, de sincérité et d’action. Même avant le protectorat, ils exprimaient encore leur attachement à la France», écrivent-ils.
Le sultan rassure les Juifs
Néanmoins, le 11 août 1941, les juifs apprennent par la presse que la nouvelle loi est entrée en vigueur, avec quatre dahirs royaux signés par le sultan. Le nouveau texte élargit alors la liste des professions interdites aux Juifs, comme celle de banquier, d’agent immobilier, de promoteur immobilier, et d’éditeur.
Sous la pression des autorités du protectorat, l’approbation par le sultan de la nouvelle loi accroît alors la peur des Juifs marocains, qui font part de leurs inquiétudes au palais royal.
Le sultan avec des chefs des communautés juives au Maroc. / DR
Pour apaiser leurs craintes, le sultan s’est adressé à eux. «Rassurez-vous, je n’ai rien signé d’autre concernant les Juifs marocains. Je vous considère marocains, au même titre que les musulmans, et il n’est pas permis de nuire à vos biens. Et si vous entendez de mauvaises nouvelles concernant les Juifs, n’hésitez pas à venir me voir», avait alors déclaré le souverain.
Mais la situation se compliquera davantage, avec la venue, le 18 août 1941, de Xavier Vallat au Maroc, pour s’enquérir de l’application de sa loi. Deux jours après, de nouvelles mesures visant les Juifs apparaissent. Ceux vivant dans les quartiers européens étaient alors sommés de retourner aux mellahs.
Les Juifs ont également aussi recensés et leurs biens inventoriés. De plus, tous les achats de biens effectués par eux après 1918 ont été annulés et retournés à leurs propriétaires musulmans. Des Marocains de confession juive à Tafilalet, ayant tenté de résister à cette décision, avaient été emprisonnés puis libérés après avoir promis de se conformer à la loi.
Une fois de plus, les chefs de la communauté juive se tournent vers le sultan. Selon le témoignage de Joseph Berdugo, chef de la communauté de Meknès, ils sont entrés dans le palais en se cachant dans un camion couvert. Le sultan, lors de la réunion, aurait alors condamné «toutes ces mesures discriminatoires» dont ils ont été victimes, leur rappelant qu’ils sont sous sa protection et promettant d’assouplir les lois.
L’opération Torch et le lobbying des organisations juives américaines
Le 8 novembre, les Juifs de Casablanca sont réveillés par des bruits d’explosions. Ils pensaient qu’ils seraient tués, mais la peur est vite transformée en joie, après avoir appris que ces voix n’étaient pas celles de Français mais de militaires américains venus dans le cadre de l’opération Torch.
Une bataille éclatera alors entre les autorités coloniales et les Américains, après quoi le sultan demande au Résident général de France de mettre fin aux combats parce que les alliés sont venus en tant qu’amis. Les Juifs réservent, quant à eux, un accueil enthousiaste et chaleureux aux Américains, auquel les autorités du protectorat ripostent en arrêtant plusieurs d’entre eux dans différentes villes.
Des soldats américains brandissant le drapeau des Etats-Unis à Casablanca le 11 novembre 1942 lors de la Deuxième Guerre mondiale. / DR
C’est d’ailleurs pour cela que des organisations juives américaines lancèrent une «campagne de presse violente» contre la politique française en Afrique du Nord. En conséquence, Washington pressera le Maroc et la France d’abandonner les lois de Vichy. Un mémorandum est alors publié le 15 mars 1943, mettant ainsi fin aux lois anti-juives en Afrique du Nord et donc au Maroc.
De son côté, le résident général de France au Maroc, Charles Noguès, présentera sa démission le 4 juin 1943 et se réfugie au Portugal. La France dépêchera, le même mois, le général Gabriel Puaux. Ancien haut-commissaire de la République en Syrie et au Liban, il administrait alors les deux pays au nom du mandat français jusqu’en 1940.
Les lois antisémites du gouvernement Vichy enterrées, le sultan Mohammed Ben Youssef, futur roi Mohammed V, effectue plus tard de nombreuses visites et rencontre de nombreux représentants des communautés juives du Maroc afin de les rassurer sur leur avenir au sein du royaume.
Source : https://www.yabiladi.com/articles/details/87607/quand-l-armee-americaine-sauvait-marocains.html