FIGAROVOX/TRIBUNE – Selon Benjamin Masse-Stamberger, Donald Trump n’est pas le premier à instaurer une forme de patriotisme économique pour son pays. La plupart des grandes puissances économiques le font déjà, y compris les États-Unis d’ailleurs, et elles ne s’en sortent que mieux.
Benjamin Masse-Stamberger est journaliste et essayiste. Ancien Grand reporter à l’Express, il est co-auteur notamment de Inévitable Protectionnisme (éd. Gallimard/Le Débat, 2011). Il tient le blog Basculements.
Haro sur Trump! Le président américain a une fois de plus attiré sur sa personne la meute des bien-pensants. L’hôte de la Maison Blanche a eu il est vrai une idée saugrenue: respecter l’une de ses principales promesses de campagne. Il va prendre des mesures de rétorsion à l’encontre des pays dont les pratiques commerciales déloyales nuisent à l’industrie américaine. À ses yeux, c’est le cas notamment dans le domaine de l’aluminium et de l’acier: Trump juge que certains pays – en particulier la Chine – subventionnent leurs exportations afin de gagner des parts de marché aux dépens des producteurs américains. Sans doute n’a-t-il pas tout à fait tort, puisque la production d’acier américain a chuté en dix ans de près de 100 millions à 82 millions de tonnes. Avec, à la clé, des centaines de milliers d’emplois de cols bleus perdus. Dans le même temps, les importations ont augmenté de plus de 50 %. Conséquence: le président américain a décidé d’imposer une taxe de 25 % sur l’acier importé – et de 10 % sur l’aluminium, pour des raisons similaires.
Que n’avait-il pas fait là? Avec l’objectivité qui les caractérise, les habituels experts se sont empressés de laminer le président américain, victime de son incapacité bien connue à se contrôler, ou même d’un de ses nombreux troubles mentaux. Des troubles qui conduisent à défendre les intérêts de ses mandants: on aimerait parfois que les dirigeants européens soient frappés par le même syndrome.
Mais non: nos commentateurs préfèrent entonner le refrain habituel de la «tentation protectionniste», qui évite il est vrai de se pencher sur un sujet ô combien technique. Les arguments sont bien rodés: on va «pénaliser le consommateur», enclencher un «cercle vicieux», «favoriser les rentes de situation», etc… Les éléments de langage sont les mêmes depuis trois décennies. Et peu importe si entre-temps des millions d’emplois ont été détruits, les classes moyennes occidentales déclassées, et des pans entiers de l’industrie rayés de la carte. Pourquoi évoquer les sujets qui fâchent?
Tout l’édifice de la doxa libre-échangiste repose en fait sur un postulat parfaitement erroné: le commerce mondial s’appuierait sur un système de règles garantissant des échanges équitables et qui profitent à tous. Or ceci relève de la pure chimère: le libre-échange ne profite en fait… qu’à ceux qui n’y croient pas. Les pays qui réussissent dans la mondialisation sont généralement les plus protectionnistes: à commencer par la Chine, qui protège son marché de mille manières, en utilisant l’arme monétaire par exemple, ou encore par le biais des «normes», qui permettent d’exclure nombre d’entreprises étrangères du marché chinois. Les Américains eux-mêmes ont toujours défendu bec et ongles leurs entreprises et leurs emplois, ne serait-ce, entre autres dispositifs, que par le biais du «Buy American Act», adopté en 1933.
En fait, tous les pays pratiquent peu ou prou une certaine forme de protectionnisme. Le mois dernier, l’Inde a décidé d’augmenter les droits de douane sur une cinquantaine de produits. Sans provoquer la moindre vague. Même la France d’Emmanuel Macron s’y est mise: mi-février, Edouard Philippe a annoncé un élargissement du «décret Montebourg», qui permet de protéger les entreprises de secteurs stratégiques d’un rachat par un investisseur étranger.
Bien sûr, Trump agit ici comme ailleurs à sa manière, fantasque et tonitruante. Le président américain a ainsi tweeté que les «guerres commerciales sont bonnes et faciles à gagner». De quoi décontenancer nos bonnes âmes robotisées, qui ont vite fait de ranimer le rituel «spectre des années Trente». Une manière toujours simple et commode de clore un débat. Pourtant, le but politique de Trump est atteint: faire du buzz autour de sa mesure, susciter des réactions et commentaires horrifiés, et souder ainsi sa base autour de lui. Une méthode qui a parfaitement réussi lors de l’élection présidentielle, alors que les mêmes commentateurs aujourd’hui éplorés lui promettaient une déroute en rase campagne.
Sur le plan économique, rien ne prouve non plus que les effets de la mesure seront négatifs: Trump n’a en fait nullement l’intention de déclencher une apocalypse commerciale, mais simplement de mettre en place un rapport de forces, pour obtenir un meilleur «deal» pour les entreprises américaines.
L’Histoire dira si la méthode fonctionne ou non. On aimerait simplement que nos décideurs européens déploient autant d’énergie et d’imagination pour défendre les ouvriers, agriculteurs et classes moyennes du Vieux Continent, qu’elles n’en trouvent pour trouver des punchlines, tweets et autres commentaires sarcastiques sur le président américain. À l’image de Jean-Claude Juncker, qui a prévenu les Américains qu’ils allaient «apprendre à nous connaître». Avant de brandir son sabre de bois pour menacer, en guise de rétorsion, de taxer les Jeans Levi’s, les motos Harley Davidson et le Bourbon! Le patron de la commission européenne a solennellement prévenu: «Nous serons aussi stupides» que Donald Trump. On n’en doute pas.
Source www.lefigaro.fr