Ils ont finalement décidé de concourir sur deux listes distinctes. Alors qu’ils sont honnis et diabolisés dans la campagne électorale israélienne, les principales forces politiques représentant la communauté arabe d’Israël ne font pas front commun aux élections législatives du 9 avril prochain, contrairement au scrutin de 2015. Le nouveau slogan, brandi en épouvantail, du Likoud du Premier ministre Benjamin Netanyahou, « soit Bibi, soit Tibi », fait référence à M. Netanyahou et à Ahmad Tibi, leader du parti arabe Ta’al…
L’autre formation politique favorite pour les élections, Bleu et Blanc (Kahol Lavan) de Benny Gantz et Yaïr Lapid, affirme pour sa part qu’il n’y aura pas d’Arabes dans leur gouvernement. « Israël n’est pas un pays pour tous ses citoyens », a renchéri hier M. Netanyahou sur Facebook, répondant à l’actrice israélienne Rotem Sela, qui avait posté sur son compte Instagram un message favorable à l’unité entre Juifs et Arabes. Malgré cette réalité, les partis arabes n’ont pas choisi la stratégie de l’union pour la défense des intérêts de la singulière communauté arabe d’Israël.
Sous l’impulsion du nationaliste Avigdor Lieberman, chef du parti de droite Israël Béténou et ex-ministre de la Défense du gouvernement actuel de Benjamin Netanyahou, le seuil d’éligibilité (score minimum requis) pour entrer à la Knesset, le Parlement israélien, avait été relevé de 2 % à 3,25 % avant les dernières élections. Ce qui équivaut à quatre députés. L’opposition israélienne avait alors affirmé que cette mesure visait à empêcher les partis arabes de pénétrer dans l’Assemblée législative. Ceux-ci avaient décidé de former la Liste commune, qui a marqué l’histoire en devenant le troisième bloc politique à la Knesset (13 sièges), derrière le Likoud de M. Netanyahou (30 sièges) et le Parti travailliste (19 sièges). La représentation politique la plus importante jamais enregistrée pour la communauté arabe d’Israël, composée des descendants des Palestiniens qui sont restés en Palestine au moment de la création de l’État hébreu en 1948, et qui représentent aujourd’hui environ 20 % de la population israélienne.
L’annonce de l’éclatement de la Liste commune est survenu en janvier dernier. Le parti Ta’al, le Mouvement arabe pour le renouveau, avait alors annoncé son retrait du bloc. Son chef, ancien conseiller de Yasser Arafat, semblait vouloir que son parti fasse cavalier seul pour les élections, comme il l’avait annoncé un mois plus tard. À la surprise générale et quelques heures avant la clôture du dépôt des candidatures le 21 février dernier, Ta’al et Hadash (Front démocratique pour la paix et l’égalité, gauche, composé d’Arabes et de non-Arabes), emmené par Ayman Odeh, ont annoncé leur alliance pour les élections. Les deux autres partis qui composaient la Liste commune, Balad (Assemblée nationale démocratique) et Ra’am (Liste arabe unifiée), forment une autre liste.
La première est une alliance entre un parti à tendance nationaliste palestinienne et antisioniste (Ta’al), et un parti à tendance communiste qui prône la solution à l’État unique pour résoudre le conflit israélo-palestinien (Hadash). La deuxième liste est une alliance entre un parti antisioniste à tendance panarabe (Balad), et une formation politique incluant des islamistes (Ra’am). Ta’al-Hadash obtiendrait dix sièges selon les sondages actuels, alors que Balad-Ra’am en obtiendrait quatre, le seuil minimum. Cette dernière a été interdite de concourir par le Comité central des élections, chargé d’organiser les législatives, après une pétition par des partis de droite, dont le Likoud, qui accusent cette liste de vouloir la destruction de l’État hébreu, mais « la Cour suprême a rejeté cette requête en estimant qu’elle n’était pas “suffisamment étayée par des preuves’’ », rappelle Jean-Paul Chagnollaud, président de l’Institut de recherches et d’études Méditerranée Moyen-Orient (Iremmo, Paris).
La Liste commune, « alliance de toutes les sensibilités arabes (communiste, nationaliste, islamiste), leur a permis de dépasser largement le seuil des 3,25 %, et même d’engranger un nombre de sièges jamais atteint dans l’histoire électorale d’Israël par l’addition des sièges des partis arabes se présentant séparément », note M. Chagnollaud. « Mais passé ce succès remporté collectivement, les contradictions de cette alliance sont apparues : des divergences politiques, des oppositions tactiques et aussi des rivalités entre (fortes) personnalités », poursuit le chercheur. « Les partis arabes ont été forcés de s’unir lors de la dernière élection parce qu’ils risquaient tous de subir une défaite », explique pour sa part Hamada Jaber, membre du bureau exécutif de la One State Foundation, association qui promeut un État unique, interrogé par L’OLJ. La liste n’aurait pas survécu aux divisions idéologiques entre les partis, doublées des tensions liées aux ego des politiciens.
En mauvaise posture dans l’espace politique, les partis arabes semblent être également critiqués au sein de la communauté arabe d’Israël, en particulier pour leur « manque de réaction vis-à-vis de la loi sur l’État-nation », selon M. Jaber, qui souligne qu’il y a « un nombre croissant d’Arabes israéliens qui pensent à boycotter les élections, surtout que la présence des Arabes à la Knesset n’a pas vraiment d’impact sur la politique israélienne et sert principalement à être utilisée pour affirmer le caractère démocratique d’Israël ». La loi en question, adoptée en juillet dernier, stipule qu’Israël est « l’État-nation du peuple juif ». Dans un papier d’opinion publié hier dans le journal israélien Haaretz, le journaliste Gidéon Levy écrit : « La Knesset est comme un bus dans lequel les passagers juifs et arabes seraient séparés, un espace d’apartheid. Ce n’est pas encore officiel mais depuis le début, les Arabes y sont disqualifiés. » Le vote palestinien, dont l’ampleur est incertaine, sera donc forcément éparpillé, d’autant que la cheffe du parti de gauche Meretz, Tamara Zandberg, a affirmé qu’elle cherchait activement à s’attirer le « soutien des Arabes et des druzes ».
par David Nassar pour L’Orient Le Jour