Autour de la table du Chabbath n° 268 Pourim 5781
Avant de commencer notre exposé, je suis obligé d’expliquer cette formidable histoire vraie rapportée dans la Méguila d’Esther. L’histoire de Pourim commence avec un gigantesque festin organisé par le roi Assuérus dans la ville de Suze. La troisième année de son règne, pour fêter son assise au pouvoir, le roi fait un festin de cent quatre vingt jours consécutifs, et il invite toute sa population ainsi que la communauté. Mordechaï, le rav de Suze, décline l’offre. Cependant, la communauté ne l’écoute pas ! Lors de ces orgies, Assuérus tue la reine Vachi, sa femme. Après avoir cuvé son vin, il a des remords, et il cherche une remplaçante ! Mordechaï cache sa nièce, la pieuse Esther, car elle est particulièrement belle, mais les envoyés du roi la trouvent, et elle est emmenée au palais contre sa volonté. Au final, c’est elle qui est choisie comme reine. Seulement, Mordechaï a expressément dit à Esther de ne pas dévoiler son identité juive. De plus, du sang royal coule dans ses veines : elle descend du premier roi d’Israël, le roi Saül ! Assuérus n’est lui-même pas d’ascendance royale, donc il est très honoré et content de savoir que sa femme soit de lignée royale, ce qui lui donne une respectabilité tant recherchée. Après cela, Amman, descendant d’Amalek, est nommé vice-roi de Perse/Mèdes. Et dans sa folie des grandeurs, il exige que tout le monde se prosterne devant lui. Or, Mordechaï ne plie pas devant sa folie. Suite à cela, Amman demande au roi qu’il décrète la destruction massive du Clall Israël. Et Assuérus accepte ! Entre temps, Mordechaï déjoue un complot contre le roi. La suite ira vite. Mordechaï demande à Esther de plaider pour le peuple juif. Elle prend sur elle de se rendre chez le roi, à l’époque de Pessa’h, sans avoir été appelée. Elle risque sa vie, et invite le roi et Amman à participer à son festin. Le deuxième jour, alors qu’elle invite à nouveau les deux protagonistes, elle dévoile son origine juive au roi et dénonce Amman qui avait prévu d’anéantir le peuple juif ! Le roi Assuérus, sous le coup de la colère et de la boisson, fait pendre Amman, puis donne le palais de feu Amman à Mordechaï. Ensuite, Esther obtient la permission de prendre les armes contre les antisémites. Et le 13 et 14 Adar, ce sont les Juifs qui prennent les armes et tuent tous les Amalécites de l’époque. Mordechaï édicte les Mitsvoth liées à Pourim, et d’année en année, le Clall Israël fête le grand prodige de Pourim. Fin de l’histoire.
On s’arrêtera sur une chose particulière concernant cette fête. En effet, toute l’année, notre ‘Avodat Hachem, service divin, est mesurée et pesée. La preuve : à chaque pas qu’un homme fait dans la pratique des Mistvoth, il est tout le temps en train d’ouvrir un livre, de questionner un Talmid ‘Haham ou un rav pour avoir la confirmation s’il fait bien ou non. De plus, nous savons tous que la Tora a prohibé l’ivresse, par exemple lorsque Noa’h est sorti de l’arche, ou encore pour les Cohanim au Beth Hamikdach : s’enivrer leur était formellement interdit. Or, à Pourim, la Halakha est fixée : « Un homme est obligé de boire du vin et de s’enivrer jusqu’au point où il ne distingue plus entre ‘Béni soit Mordechai’ et ‘Maudit soit Amman’ ! » (Choul’han Arou’h, 695.1). Donc, la question sera : pourquoi les Sages ont institué l’ivresse à Pourim ? Plusieurs réponses sont données. On en choisira deux. Le ‘Hafets ‘Haim explique que l’ivresse est en souvenir de l’histoire formidable de la Meguilat Esther. En effet, le miracle de Pourim est intimement lié avec les différents festins qui ont jalonné l’intrigue. Le premier, c’est celui du roi A’hachvéroch qui, lors de son festin de 180 jours, a destitué Vachti, la reine, et par la suite, l’a remplacée par Esther, descendante du roi Chaoul. Puis longtemps après, Esther fera deux autres dîners où elle invitera le roi et Amman. Et, sous le coup de l’ivresse, Ahacheveroch exécutera Amman ! Donc, pour se remémorer le miracle de Pourim, les Sages fixèrent de boire (Biour Halakha 695.1.).
Une autre raison plus profonde est donnée par le Machguia’h de la Yechiva de Lakewood, le rav Nathan Wachtenfogel zatsal. Il donne d’abord une belle allégorie. Il s’agit du chidou’h. Nous savons que, dans les bons milieux, afin de rencontrer sa tourterelle avec laquelle on va vivre dans la paix et la joie jusqu’à 120 ans, on passera par un intermédiaire, le chad’han. C’est lui qui, après avoir entendu le garçon et la fille, proposera la rencontre. Si les présentations se passent bien, rapidement les deux tourtereaux décideront de passer sous la ‘Houpa. Le rav Cha’h disait qu’au bout de trois, et au grand maximum de cinq rencontres, le jeune homme et la jeune fille doivent décider de la suite ! Or, faire une rencontre, ce n’est pas une chose aisée. Le chad’han doit aplanir toutes les difficultés entre les deux familles, et aussi les demandes de part et d’autre. Donc, cette personne sera très importante durant la première partie du chidou’h, jusqu’aux fiançailles et au mariage. Dès lors, notre intermédiaire sera persona non grata car, connaissant tous les méandres des tractations qui ont pu avoir lieu, ni le ‘hathan, ni la kala et les familles respectives, ne désirent le revoir ! Fin de la belle allégorie. Et le Machguia’h d’expliquer : toute l’année, un Juif sert le Boré ‘Olam grâce à son intellect. C’est lui qui fera le pont entre la Tora/Hachem et sa manière d’agir. Par exemple, faire le Chabbath, ou les fêtes, passe par une connaissance minimale des Halakhot pour savoir comment bien les respecter ; et de même pour toutes les autres Mitsvot. De plus, notre intellect biaisera le service divin par des intérêts très terre à terre, comme, par exemple, étudier et appliquer la Tora pour que son proche entourage soit impressionné, ou pour récolter des dividendes auprès de ses beaux-parents ! Tout cela invalide notre service d’Hachem ! Car comme nous le savons, Hachem désire qu’on le serve pour sa Gloire et ses propres honneurs : LICHMA/d’une manière désintéressée ! Donc, un Juif a toute l’année un problème fondamental avec son intellect qui détourne le but escompté, puisqu’il fait la Tora pour gagner un avantage quelconque. Seulement, il existe un jour dans l’année où il est donné une possibilité de montrer à Hachem qu’on le sert au-delà de sa propre jugeote : c’est Pourim ! L’ivresse de ce jour saint marque qu’un Juif veut servir son D’ avec son cœur et pas seulement avec sa tête. De plus, les Sages ont dicté qu’on doit s’enivrer jusqu’à confondre Mordechai et Amman. Peut-être que leur intention est d’amener l’homme à comprendre qu’au-delà de la terrible intrigue qui s’est jouée dans le palais d’A’hachvéroch, il ne s’agit ni plus, ni moins, que d’une très grande mise en scène par le Boré ‘Olam ! C’est un enseignement de savoir que toute l’histoire est dans les bonnes mains d’Hachem ! Et finalement, c’est la grande méchanceté d’Amman qui a entraîné que toute la communauté juive fasse Techouva ! Pourim montre aussi que même le mal fait partie du plan divin contre le gré des mécréants, et sans que les Tsadikim/le peuple juif ne soit au courant. Pour accéder à cette connaissance qui est une non-connaissance, il convient d’annuler son intelligence : ne plus distinguer entre le bien et le mal, et SAVOIR QUE TOUT EST DANS LA MAIN BIENVEILLANTE D’HACHEM. Donc, Pourim c’est la fête de la confiance en Hachem, au-delà de toutes les difficultés inhérentes à la vie. Avoir la foi que cela fait partie du plan divin et ne surtout pas baisser les bras ! On conclura par un petit mot important : si on sait que la boisson nous entraînera obligatoirement à dire ou à faire des choses vexantes vis-à-vis de nos amis, alors il n’y aura AUCUNE MITSVA DE S’ENIVRER !
Le plâtre de la délivrance…
Le rav Elimeleh Biderman Chlita nous rapporte encore une perle. Je pense qu’elle illustre l’histoire de Pourim. Dernièrement, le rav était présent lors d’une chiva’ (la fin de la semaine de deuil, car il existe encore de ce monde des gens qui honorent le souvenir de leur proches…). Il s’agissait d’une dame âgée de 92 ans qui venait de disparaître en Terre Sainte. Cette dame avait un passé fort intéressant. Dans sa jeunesse, elle habitait avec ses parents en Allemagne. Quelques années avant que n’éclate la guerre, ses parents virent les gros nuages arriver et décidèrent de quitter le pays de Goethe pour s’installer en douce France… Les parents pensèrent qu’ils seraient protégés par l’Etat français, mais comme on le sait, l’administration de Pétain collabora avec l’ennemi nazi. Au final, la mère et ses deux filles furent internées dans un camp de travail pour Juifs et ennemis de la Patrie… L’histoire ne dit pas combien de temps ils restèrent dans ce camp, ni où il se situait dans la campagne française. Cependant, ce n’était pas un camp de concentration, comme il y en avait en Pologne. Les hommes se rendaient au travail en journée, tandis que les femmes restaient à s’occuper. Or, un beau jour, plutôt sombre, la cadette des filles se cassa la jambe. La douleur étant très grande, la maman demanda aux policiers d’aller à l’hôpital le plus proche, ce qu’on lui permit. À la sortie du camp, il y avait un gardien qui demanda où se dirigeaient la mère et ses deux filles. Elle répondit en faisant des signes, car la mère ne se débrouillait pas dans la langue de Molière, en expliquant que sa plus grande fille venait de se casser la jambe, qu’il fallait au plus tôt qu’elle reçoive des soins médicaux. Le gardien zélé lui répondit qu’il acceptait qu’elle aille avec sa fille à l’hôpital, sans sa plus jeune fille qui devait rester au camp. La mère fit d’autres signes et expliqua que sa plus jeune fille connaissait le français, et qu’elle pourrait les aider. Le gardien réfléchit, et au final, il accepta qu’elles se dirigent toutes les trois vers l’hôpital le plus proche. La jeune fille fut soignée dans cet hôpital pendant deux jours, puis la petite famille reprit le chemin vers le camp de travail. Cependant, à l’arrivée au camp, ils virent un spectacle désastreux. Entre temps, les Juifs allemands, polonais, roumains, avaient été pris par la police française pour être envoyés dans les trains en direction d’Auschwitz. Donc, ces centaines de frères finirent leur court passage sur terre incinérés dans les fours made in Germany. Peut-être que cela éveillera, sous d’autres cieux, d’autres frères bien égarés, en Bretagne ou ailleurs, à ne pas faire l’incinération de leurs proches, quand arrivera le moment. Cependant, notre mère avec ses deux filles restèrent dans ce camp français tout le reste des années de guerre. Et à la libération, elles partirent toutes les trois en Terre Sainte. Le rav Bidermann ne mentionne pas ce qu’advint du père. Là-bas, elles fondirent des familles dans la Tora et les Mitsvoth. Et aujourd’hui, chacune de ses filles a une ribambelle d’enfants, de petits-enfants et arrières-petits-enfants Ken Yirbou, tous dans la Tora.
Seulement, dans les années 50/60, les Allemands eurent des scrupules pour toutes les atrocités commises, et ils prirent contact avec tous les survivants des camps de la mort, afin de les dédommager financièrement. La mère, ainsi que les deux filles, reçurent des réparations. Cependant, les proches de la famille suggérèrent de demander aussi une indemnité pour la jambe cassée. En effet, la jeune fille, devenue maman, gardait un souvenir immémorable de son passage dans le camp français. Car, à cause de sa jambe mal soignée, elle était restée boiteuse et claudicante. Seulement, elle se fera un honneur de ne pas demander de réparation pour les mauvais soins des hôpitaux français, car elle savait que leur sauvetage provenait de cette fracture du tibia. Et finalement, c’est grâce à ses douleurs qu’elles eurent la vie sauve, elle, sa sœur et sa mère. Donc, elle disait à toute sa nombreuse descendance : « Cette jambe, je la garde pour moi ! Et je ne la donnerai pas aux Allemands. » Fin de l’histoire véridique. Et pour nous, c’est d’apprendre que c’est parfois dans les plus grandes ténèbres que naît notre grande délivrance. C’est aussi l’idée qui se dégage de Pourim. Finalement, lorsque Mordechaï ne s’est pas prosterné devant Amman, il a suscité sa grande colère. Et au final, tous les plans machiavéliques d’Aman se retournèrent contre celui-ci !
Coin Halakha – Cette semaine, Pourim tombe ce vendredi. Donc, toutes les Mitsvoth du jour devront être effectuées en journée. Pour le festin, le Rama écrit qu’il convient de faire le Michté (festin) avant le milieu de la journée (vers 12h30 en Erets) afin d’honorer le Chabbat qui rentre quelques heures après (695.2). Ce repas ne pourra pas être fait la veille au soir (jeudi soir). On veillera à donner Matanoth Lé’évionim (les dons aux pauvres), par un présent à au moins deux indigents de la communauté. C’est l’équivalent d’au moins un repas pour chacun d’entre eux. Si on habite un endroit reculé où il n’y a pas de pauvres de la communauté, on pourra conserver l’argent jusqu’au moment où l’on trouve l’occasion de le transmettre (694.4.). A Pourim, on fera attention d’intercaler, dans son Birkat Hamazon et dans sa prière, « Al Hanissim ». Si on a oublié, on ne recommencera pas.
Chabbat Chalom et à la semaine prochaine, si D’ le veut.
David Gold – Sofer écriture ashkénaze et écriture sépharade
Prendre contact au 00 972 55 677 87 47 ou à l’adresse mail 9094412g@gmail.com
On priera à Pourim pour la guérison des malades, en particulier de Noam Refaël Ben Miriam, Hanna Ben Yehoudit, Eran Haim Ben Zahava, Moshé Fredéric Ben Assia (Alice), parmi les malades du Clall Israël.