Illustration : Zarif avec Mohamed Bouhary du Nigéria
Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps
L’Afrique apparaît comme la prochaine scène de confrontation entre Israël et l’Iran. En cause, la décision de l’Algérie de rompre les relations diplomatiques avec le Maroc. Le problème a été soulevé par le ministre israélien des Affaires étrangères, Yaïr Lapid, lors de sa visite du 12 août au Maroc : « Une certaine inquiétude quant au rôle de l’État algérien dans la région, qui s’est rapproché de l’Iran et fait actuellement campagne contre l’admission d’Israël à l’Union africaine en tant qu’observateur».
Les relations entre l’Iran et le continent africain s’étaient déjà intensifiées sous le régime de Mohammad Reza Pahlavi. Cependant depuis 1979, la présence de l’Iran sur le continent africain n’a pas de vocation économique mais a un but d’expansion idéologique car l’Iran cherche en effet à exporter sa révolution islamique en rejoignant le mouvement des non-alignés. En 1986, alors que l’Iran était en guerre contre l’Irak, le président Ali Khamenei, s’était rendu en Afrique, notamment au Mozambique et en Angola, pour discuter de l’approvisionnement en pétrole, de la coopération industrielle et du développement agricole. Une visite pour affirmer l’influence de Téhéran, mais aussi destinée à trouver des soutiens contre Saddam Hussein.
L’Iran, qui compte 25 ambassades en Afrique, se retrouve face à l’Arabie saoudite qui voit d’un mauvais œil la puissance chiite en Afrique. Le Maroc a rompu ses relations avec l’Iran à deux reprises. La première fois en 2009, dénonçant «l’activisme» religieux de Téhéran ; la deuxième en 2018, accusant cette fois l’Iran de soutenir le Polisario au Sahara occidental via le Hezbollah libanais. L’Iran est aussi soupçonné de trafic d’armes en Afrique. D’ailleurs le Sénégal avait rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran à la suite de la saisie d’une cargaison d’armes à Lagos en 2010.
En fait aujourd’hui la question se situe au-delà des relations Israël-Maroc-Algérie car l’Iran veut implanter son influence en Afrique pour contrer l’influence de l’Occident mais surtout de l’Arabie saoudite en surfant sur les sentiments anticoloniaux. Il a beaucoup investi en érigeant des mosquées, en construisant des centres culturels et en multipliant les réseaux caritatifs. Son but est clair, diffuser ses idées révolutionnaires.
L’Iran marche en fait sur les platebandes d’autres pays musulmans qui ont placé leurs pions en Afrique. En plus de l’Arabie, la Turquie, le Qatar et les Émirats arabes unis ont beaucoup financé l’Afrique. Mais si ces pays musulmans développent leurs relations avec l’Afrique, l’Iran poursuit d’autres objectifs. Il s’agit pour lui de profiter de la faiblesse de certains pays et de l’implantation très ancienne des Libanais en Afrique pour créer des réseaux de contrebande et de criminalité pour se financer de manière occulte. L’Iran recrute des agents locaux pour consolider la cause religieuse iranienne en Afrique. L’ancien chef des Gardiens de la Révolution, Qassem Soleimani, avait chargé l’unité 400 de sa force El Qods de former et de financer des groupes chiites en Afrique à l’instar du Mouvement islamique du Nigéria. Certains pays africains, moyennant finance, avaient aidé l’Iran à contourner les sanctions américaines.
L’Algérie entretient avec l’Iran de bonnes relations depuis des décennies. C’est d’ailleurs la cause essentielle de la brouille avec le Maroc. La brouille s’est encore envenimée avec le soutien algérien au Polisario qui exige l’indépendance du Sahara occidental.
De son côté, Israël n’a pas ménagé ses efforts pour s’introduire en Afrique en développant ses liens diplomatiques, économiques et sécuritaires avec pour conséquence l’acceptation par l’Union africaine, le 23 juillet 2021, d’Israël en tant qu’État observateur. L’Algérie, l’Afrique du Sud et le Nigéria avaient tout fait pour faire capoter cette décision.
La volonté de l’Iran de consolider son terrain de chasse en Afrique a été confirmée par le nouveau président iranien Ebrahim Raïssi qui vient de déclarer : « Dans le nouveau gouvernement iranien, toutes nos capacités seront consacrées à l’approfondissement de la coopération avec les pays africains». Il s’agit d’une nouvelle stratégie iranienne. Le nouveau ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, étroitement lié aux Gardiens de la révolution, aura pour rôle de soutenir les activités de l’Iran en Afrique et au Moyen-Orient. L’Iran axera dorénavant ses activités anti-israéliennes en Afrique.
Il est fort probable qu’Israël sera amené à développer ses propres activités de renseignements en Afrique mais en fera profiter certains amis africains qui veulent contrer la capacité de nuisance de l’Iran en Afrique. Israël cherchera à identifier les cellules terroristes fomentées par l’Iran et l’infrastructure idéologique iranienne opérant en Afrique. L’Iran s’est en effet implanté dans les universités, dans les mosquées et plusieurs centres religieux. Cela passe aussi par la révélation des actifs de l’Iran et du Hezbollah en Afrique.
La récente rupture diplomatique entre le Maroc et l’Algérie n’est pas uniquement un problème local. Elle exprime la confrontation diplomatique entre Israël et l’Iran en Afrique avec bien sûr des retombées militaires.