« Jude raus » (Le Juif dehors): le gros tag noir en allemand et le svastika s’étalent sur le mur du siège d’un mouvement d’opposition à Varsovie. Un graffiti qui témoigne de la persistance du virus antisémite en Pologne, aujourd’hui actif surtout sur les réseaux sociaux.
« Il y a vingt ans, j’aurais dit que l’antisémitisme faiblissait, mais ce n’est plus vrai, les anciens clichés refont surface », estime l’universitaire Stanislaw Krajewski, l’un des cofondateurs et co-président du Conseil des Chrétiens et des Juifs de Pologne.
« Je me promène en kippa à Varsovie, je n’ai jamais été inquiété », confirme à l’AFP un des intellectuels juifs connus, l’écrivain, psychologue et journaliste Konstanty Gebert.
« Parfois, très rarement, j’entends des commentaires. Je n’y réponds pas, et généralement quelqu’un répond à ma place. En revanche à Paris, j’ai été deux fois légèrement bousculé par des jeunes. Les autres passants ont détourné le regard », relève-t-il.
Première terre d’accueil des Juifs jusqu’au XXe siècle, la Pologne envahie et occupée par l’Allemagne nazie a vu périr six millions de ses habitants pendant la deuxième guerre mondiale dont trois millions de Juifs. Aujourd’hui, la communauté juive de Pologne compte entre 8.000 et 12.000 membres, selon des estimations.
« Le lait de leur mère »
Récemment, de fortes tensions sont apparues entre la Pologne et Israël.
Aussitôt, une vague de commentaires violents et antisémites a envahi les réseaux, témoigne Konrad Dulkowski, président du Centre de surveillance des comportements racistes et xénophobes, une fondation privée.
« Malheureusement, ces commentaires ont en quelque sorte confirmé ce que Katz a dit », regrette M. Dulkowski.
Reste que les préjugés antisémites sont tenaces dans le pays. Selon une enquête réalisée en 2018 par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, à partir des réponses de volontaires d’origine juive, c’est en Pologne que le pourcentage de ceux ayant entendu ou vu des propos ou actes antisémites est souvent le plus élevé.
Le tag antisémite sur le bâtiment abritant le bureau du mouvement d’opposition « Obywatele RP » (Citoyens de la République de Pologne, antifasciste et antinationaliste), voisine avec un autocollant « Fuck Israel ». Il illustre l’ancienne et toujours actuelle alliance entre l’antisémitisme et l’extrême droite nationaliste.
Celle-ci se sent plus libre d’exprimer ses idées depuis l’arrivée au pouvoir des conservateurs catholiques de Droit et Justice (PiS)en 2015.
Pour Gebert, le pouvoir actuel est « schizophrène » à l’égard des extrémistes.
Deux Pologne
« Le PiS condamne l’antisémitisme » et son chef « Jaroslaw Kaczynski a même condamné l’antisionisme comme une forme d’antisémitisme », rappelle l’écrivain. « Mais en même temps le PiS a besoin des quelque 9 % de voix de l’extrême droite, son grand cauchemar est de voir apparaître en Pologne une version locale du Jobbik hongrois » (ultranationaliste).
L’extrême droite jouit d’un appui implicite du pouvoir, au nom de la liberté d’expression, résume-t-il. « Si elle s’abstient d’appels à la violence, c’est tout d’abord parce que nous sommes peu nombreux ».
« Mais en même temps, insiste de son côté Krajewski, la connaissance de l’héritage juif et le désir de le préserver se renforcent partout en Pologne ». Selon lui, « même dans les toutes petites localités on trouve des volontaires. Par exemple, on reçoit des dizaines de candidatures pour un concours des initiatives des élèves du secondaire ».
« On ignore, même en Israël, ajoute sa femme Monika, artiste, écrivaine et photographe, qu’il y a deux Pologne: une antisémite et une autre qui combat l’antisémitisme ».
Source www.lepoint.fr