L’activiste Maya Jacobs, dont l’ONG Zalul se bat pour la protection du rivage et des rivières israéliennes, revient sur le dernier rapport WWF, qui s’alarme de la pollution plastique de la côte de Tel-Aviv, l’une des plus importantes du pourtour méditerranéen.
D’après le dernier rapport du WWF, la côte de Tel-Aviv est la troisième plus touchée par la pollution plastique du pourtour méditerranéen, après la Cilicie turque et la région de Barcelone, avec une masse moyenne de 21 kilos de déchets plastiques par kilomètres de littoral. Les activistes locaux, à l’instar de Maya Jacobs, dirigeante de l’ONG Zalul en Israël, espèrent que ces chiffres interpelleront les politiques ainsi que l’opinion publique. L’Etat hébreu est le deuxième plus grand consommateur d’ustensiles plastiques à usage unique au monde, derrière les Etats-Unis, malgré une population 37 fois moindre.
Quels facteurs expliquent un tel taux de pollution plastique des plages israéliennes ?
Géographique d’abord: Israël est à l’exact opposé du détroit de Gibraltar [qui «ferme» la Méditerranée, ndlr], et comme le courant va dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, une partie des déchets plastiques de l’Afrique du Nord remonte jusqu’à nous. Et notamment ceux de l’Egypte, responsable de près de la moitié du plastique flottant dans la mer. Ceci étant dit, entre 60% à 80% de la pollution plastique des plages israéliennes est le fait des baigneurs israéliens, directement liée à une consommation de produits plastiques effarante, ancrée dans la culture locale.
D’où vient cette consommation excessive ?
Israël est accro au tout jetable. Cela s’explique autant d’un point de vue social – beaucoup de familles nombreuses, tant du côté juif qu’arabe, ont l’habitude de faire de grands pique-niques et repas familiaux lors des jours fériés et le week-end – que religieux. C’est plus facile de suivre les règles casher avec de nouveaux couverts à chaque repas. Pour beaucoup de femmes des milieux populaires et religieux, les couverts en plastique sont aussi une façon de s’épargner une corvée domestique. Il y a aussi une mentalité très «germophobe» : ici, les gens préfèrent toujours boire dans un gobelet en plastique qu’un verre, et tant pis pour la dose de perturbateurs endocriniens avalée au passage… Israël est un pays très avancé en termes de technologie ou d’agronomie mais complètement en retard sur l’éducation écologique. La population ne se sent pas responsable de l’environnement. Les pollueurs – tant au niveau individuel que les grosses entreprises – ont une sensation d’impunité. C’est d’autant plus étrange que le sionisme était à l’origine un retour à la terre sacrée: on aurait pu penser qu’il en découlerait une volonté de la protéger…
Au niveau politique, rien n’est fait ?
A l’école, on ne parle quasiment pas de pollution, ni des bonnes attitudes à prendre, comme le tri des ordures. Il n’y a pas de programme national de lutte contre les déchets plastiques. Le recyclage est confié à des compagnies privées, dont certaines font faillite, faute d’aides publiques ! A la Knesset (le parlement israélien), les partis religieux bloquent tout projet de loi visant à limiter ou taxer la consommation d’ustensiles en plastique car ils considèrent que cela dégraderait le niveau de vie des familles ultraorthodoxes, souvent modestes, sans penser au coût plus global de la pollution plastique. De façon générale, il y a un problème de sensibilisation, que des associations comme nous tentent de combler. Quand les gens voient les statistiques, ils sont choqués. Mais cette approche n’a qu’un effet limité s’il n’y a pas de décisions fermes venant d’en haut.
Quelles mesures législatives sont nécessaires selon vous ?
Il y a trois ans, une loi interdisant les sacs plastiques gratuits dans les supermarchés a été votée, pour limiter leur distribution systématique. Mais leur prix a été fixé trop bas, autour de 10 agouroth (environ 2 centimes d’euros). Les gens n’y voient qu’une taxe de plus, quasi indolore, sans impact sur leurs habitudes. Nous militons pour une législation semblable à celle que la France et l’Union européenne viennent d’adopter sur les ustensiles à usage unique, et pour un système de consigne des bouteilles en plastique. Mais l’opposition politique et l’apathie restent fortes. Il nous faut changer les mentalités, ce qui passe aussi par l’application des lois existantes et une certaine sévérité. Le jet d’ordure sur la voie publique est théoriquement sanctionné d’une amende de 500 shekels (125 euros). Mais de mémoire d’activiste, je n’ai jamais vu un seul de ces PV !
Source www.liberation.fr