A l’image du Maroc pluriel avec ses villes où musulmans, Juifs et chrétiens se côtoyaient, la ville de Sefrou, à une trentaine de kilomètres de la capitale Fès, accueillait depuis des siècles une communauté de Marocains de confession juive. Elle était composée d’autochtones berbérophones ou originaires de Tafilat, de Juifs arabophones d’origine fassie (de Fès) et même de descendants des exilés d’Espagne de 1492. C’est le cas notamment de la famille El Baz.
De nom d’origine arabe signifiant «le faucon», El Baz était une famille d’érudits et de rabbins, comme l’assure la plateforme Mellah de Fès, qui citent plusieurs personnalités ayant marqué l’histoire judéo-marocaine. Il s’agit, entre autre, de Maimon Elbaz, rav au XVIIe siècle, auteur d’un commentaire cabalistique de rituel de prières, Shmouel El Baz (rav, XVIIe siècle), membre du Tribunal rabbinique et auteur de commentaires talmudiques ou encore Amram El Baz, rav-juge et codificateur ayant vécu au XVIIIe siècle.
C’est au sein de cette famille, qui serait d’origine espagnole selon certaines sources, que Rabbi Raphaël Moshé El Baz voit le jour en 1823 à Sefrou. Il était d’ailleurs «fils et petit-fils de deux rabbanim et auteurs prolifiques : rabbi Yehouda El Baz et rabbi Samuel El Baz», écrit la plateforme Judaïsme Marocain.
Un saint aux multiples casquettes
Précoce, rabbi Raphaël Moshé El Baz est alors nommé juge rabbinique à l’âge de 28 ans seulement. Et à l’époque, il était déjà un «écrivain prolifique», traitant dans ses livres de domaines variés, comme les écrits de jurisprudence rabbinique, les préceptes, les lois et commandements qui régissent la vie de l’individu selon la loi de Moïse.
Des Juifs marocains en pèlerinage sur la tombe de Rabbi Raphaël El Baz au cimetière juif de Sefrou. / Ph. DR
«Il symbolise la dernière incarnation du parfait lettré de la tradition espagnole mêlant harmonieusement les études sacrées aux sciences dites profanes alors que depuis leur installation au Maroc, les descendants des expulsés d’Espagne ne montraient plus aucun intérêt pour les sciences et la philosophie», écrit-on dans la plateforme Geni.
«Talmudiste, kabbaliste, grammairien, poète, chanteur, philosophe, astronome, historien et mathématicien, il entra à 28 ans au tribunal rabbinique et fut, jusqu’à sa mort à un âge très avancé, le guide vénéré de sa communauté. Sa réputation dépasse de loin les frontières de sa ville.»
Une réputation qu’il a cultivée, en effet, au fil des années. D’ailleurs, Geni rapporte qu’une année où la sécheresse menaçait d’entraîner la famine, rabbi Raphaël Moshé El Baz «organisa selon la coutume une grande prière au cimetière avec tous les hommes de la communauté». «Sur leur route de retour au Mellah, une pluie abondante se mit à tomber et il fut reçu comme un ange du ciel par les paysans musulmans», raconte-t-on. Le pacha de Sefrou aurait ainsi ordonné aux agriculteurs de donner cette année-là une part de leur récolte au rav, car «ils la lui devaient».
La plateforme indique aussi que le rav «entretenait avec ses compatriotes musulmans d’excellentes relations, n’hésitants pas à se rendre à la mosquée pour écouter la musique liturgique musulmane» ou encore à «faire écho, de sa fenêtre, à l’appel du muezzin à la prière, en récitant des bakkachot (des prières chantées, ndlr) dans leur traduction en langue arabe».
L’un des parents de la poésie hébraïque au Maroc
Car, en plus d’être rav et juge, rabbi Raphaël Moshé El Baz était aussi un amoureux des chants et de la poésie. «Il composa plusieurs chants et poèmes didactiques en arabe dialectal, en plus de très nombreux poèmes entrés dans la liturgie», rapporte-t-on.
Avec Nissim Elbaz, rabbi Raphaël Moshé El Baz est aussi considéré comme «l’un des poètes juifs ayant adopté le genre populaire et semi-classique appelé Qassida», comme l’affirment Reeva Spector Simon, Michael Menachem Laskier et Sara Reguer dans «The Jews of the Middle East and North Africa in Modern Times» (Editions Columbia University Press, 2003). Il est même qualifié par la plateforme Library Hub Discover comme l’un des artistes «les plus représentatifs de la poésie hébraïque au Maroc».
Durant ses 73 ans, rabbi Raphaël Moshé El Baz a écrit aussi plusieurs livres, dont «Halakhah Le-Moshé» qui est un recueil de décisions juridiques, «Parachat Ha-kessef» qui est un ouvrage de morale et de proverbe, «Arbah’a Chomrim» sur la jurisprudence, «Chir ‘Hadach» où il recueille des chants liturgiques et de poèmes ou encore son célèbre «Beer Cheva» sur les sciences ; en l’occurrence les mathématiques, l’astronomie et la géographie, de même qu’un livre sur la communauté juive marocaine, intitulé «Kissé Hamelakhim».
Le cimetière juif de Sefrou. / Ph. DR
Pour illustrer l’investissement du rav dans les textes du XVIe siècle, Sina Rauschenbach, Jonathan Schorsch rappellent, dans «The Sephardic Atlantic: Colonial Histories and Postcolonial Perspectives» (Editions Springer, 2019), que rabbi Raphaël Moshé El Baz a écrit un commentaire sur le code de loi du seizième siècle «Sefer ha-Taqqanot» (Le livre des ordonnances) écrit par Rafael Berdugo (1747-1821) de Meknès.
N’ayant pas laissé d’héritiers derrière lui, rabbi Raphaël Moshé El Baz léguera pas moins de 19 manuscrits, qu’il considérait comme «ses enfants», à son neveu rabbi Benyamin El Baz. Mais certains de ces manuscrits ne seront imprimés que vers le XIXe siècle.
Rabbi Raphaël Moshé El Baz décède en 1896 à Sefrou, sa ville natale où il est inhumé au cimetière juif de la ville. Sa hiloula est célébrée pendant Lag Baomer, la fête juive d’institution rabbinique.
Source : https://www.yabiladi.com/articles/details/85008/pelerinage-juif-maroc-raphael-moshe.html%C2%A0%C2%A0