Quand le PCF négociait avec les nazis

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En juin 1940, dans Paris occupé, les dirigeants communistes proposent aux autorités allemandes d’autoriser la reparution de « L’Humanité ». Leur argumentaire a été retrouvé.

Comment le Parti communiste français, qui se voulait le fer de lance du combat contre le fascisme et le nazisme, a-t-il pu solliciter des autorités allemandes, aussitôt après la défaite de juin 1940, l’autorisation de publier L’Humanité et plusieurs autres de ses journaux ? A près de soixante-dix ans de distance, cet épisode des premiers temps de l’Occupation, qui fit couler beaucoup d’encre chez les adversaires du PCF et un peu moins chez les communistes dans l’après-guerre, revient nourrir la chronique des années noires et des compromissions qui se sont parfois nouées entre ennemis déclarés.

Au lendemain de la Libération, auréolé du prestige qui s’attachait à son engagement dans la Résistance et au sacrifice d’un grand nombre de ses membres, le PCF a nié avoir jamais engagé les moindres pourparlers avec l’occupant. Puis il a reconnu qu’une telle démarche avait bien eu lieu, mais il a prétendu qu’elle avait été le fait de simples militants, privés de directives dans la débâcle. C’est seulement dans les années 1980 que l’historiographie communiste officielle a admis que des négociations avaient été menées, sur consigne de la direction du parti, par des responsables de haut niveau.

Les hasards de la recherche documentaire ont fait découvrir à des historiens, aux archives départementales de Paris, des notes établissant l’argumentaire employé par les représentants du PCF auprès des autorités d’occupation. Claude Pennetier et Jean-Pierre Besse publient leurs trouvailles sous le titre Juin 40, la négociation secrète (Les éditions de l’Atelier).

Le document central est une liasse de notes saisie par la police française sur une militante communiste, Denise Ginollin, arrêtée, le 20 juin 1940, près de la station de métro Saint-Martin à Paris. Depuis l’interdiction de la presse communiste, en août 1939, puis la dissolution du parti lui-même, en septembre, la police traque les dirigeants et les militants soupçonnés de reconstituer leur organisation dans la clandestinité. La défaite et l’Occupation n’ont pas interrompu le travail des policiers.

Ce texte mérite d’être cité assez longuement, avec sa syntaxe approximative.

« 1°) Vous avez laissé paraître journaux communistes dans autres pays DanemarkNorvège, Belgique

Sommes venus normalement demander autorisation

2°) Sommes communistes avons appliqué ligne PC sous Daladier, Reynaud, juif Mandel

Juif Mandel après Daladier nous a emprisonnés. Fusillé des ouvriers qui sabotaient défense nationale.

Sommes PC français pas eu peur

3°) Pas cédé face dictature juif Mandel et du défenseur des intérêts capitalistes anglais Reynaud

courage ouvriers français ouvriers parisiens et quand ce sont des ouvriers français ou parisiens c’est le PCF

4°) Sommes une force, (…) nous représentons une force qui dépasse les frontières françaises, vous comprenez, derrière nous l’URSS/c’est une force l’URSS/vous en avez tenu compte/pacte germano-soviétique le prouve. On ne fait pas un pacte avec des faibles mais avec des hommes forts (…)

Notre défense du pacte

Cela vous a avantagé

Pour l’URSS nous avons bien travaillé par conséquent par ricochet pour vous

5°) (…) En interdisant L’Huma vous montrez que vous voulez combattre les masses ouvrières et petites-bourgeoises de France, que vous voulez combattre l’URSS à Paris (…)

6°) (…) Nous voulons tout pour que les masses ne subissent pas événements douloureux, voulons les aider avec votre collaboration si vous voulez : réfugiés, enfants

nous ne ferons rien pour vous mais rien contre vous (…) »

La date de rédaction n’est pas connue, ni les circonstances de la prise de notes. Par trois fois, il est fait mention du « juif Mandel » : Georges Mandel, ministre de l’intérieur du gouvernement Paul Reynaud de mars à juin 1940, sera assassiné par la milice, force de collaboration pétainiste, en juillet 1944. Le texte attribue à Mandel la responsabilité d’avoir « fusillé des ouvriers qui sabotaient défense nationale », rare exemple de reconnaissance des consignes de sabotage données par le parti, en 1939-1940, aux militants communistes travaillant dans les usines d’armement.

Jean-Pierre Besse et Claude Pennetier estiment que le rédacteur de ces notes est Maurice Tréand, arrêté le même jour que Denise Ginollin. Trois jours plus tard, le 23 juin, les Allemands les font libérer. Les pourparlers vont durer plus de deux mois. Ils n’aboutiront jamais.

En juin 1940, l’appareil du Parti communiste, contraint à la clandestinité, est sérieusement affaibli par les défections de ceux qui refusaient le pacte germano-soviétique, par les arrestations et par la mobilisation de nombreux militants sous les drapeaux. La direction est dispersée. André Marty, un des secrétaires de l’Internationale communiste (IC), et Maurice Thorez, le secrétaire général du PCF, sont à Moscou. Jacques Duclos, qui va prendre la direction du parti en France, et Maurice Tréand, le responsable des cadres, sont à Bruxelles avec Eugen Fried, dit Clément, représentant de l’IC. Le 15 juin, le lendemain de l’arrivée des Allemands, tous trois rejoignent Paris en voiture et s’installent dans les locaux de la représentation commerciale soviétique, avant de rejoindre des planques en région parisienne. Puis Fried rentre à Bruxelles. En Belgique, les communistes ont entamé des pourparlers pour faire reparaître leur presse ; ils vont faire de même à Paris.

Toujours le 15 juin, Otto Abetz arrive dans la capitale comme représentant de Joachim von Ribbentrop, le ministre des affaires étrangères allemand. Connaisseur de la France, où il a vécu pendant une dizaine d’années, et grand manipulateur, Abetz a un objectif : « mener la désunion intérieure ». Il va être à l’origine des négociations. Les représentants du PCF et ceux d’Abetz vont entrer en contact, à partir du 17 juin, par l’intermédiaire d’un avocat communiste qui travaille pour l’ambassade soviétique, Robert Foissin. Le processus commence, clairement validé par Duclos. Il va être conforté par un télégramme clandestin du 22 juin, en provenance de Moscou, signé de Georgi Dimitrov, secrétaire général de l’IC, et de Maurice Thorez, ce que ce dernier niera. Le texte en est le suivant : « Utilisez moindre possibilité favorable pour faire sortir journaux syndicaux, locaux, éventuellement L’Humanité, en veillant (à ce) que ces journaux… ne donnent aucune impression de solidarité avec envahisseurs ou leur approbation. »

A Moscou, manifestement, on se méfie. Mais il faudra un mois, et un nouveau télégramme de Dimitrov et Thorez, le 20 juillet, pour que le processus soit enrayé. « Considérons juste ligne générale. Indispensable redoubler vigilance contre manoeuvre des occupants. Etait juste entreprendre démarches pour obtenir presse légale, mais entrevue Abetz est une faute, car danger compromettre parti et militant », décrètent les deux dirigeants. Les liaisons suivantes confirment que Moscou se méfie des « manoeuvres des autorités d’occupation » et de l’avocat Foissin, désigné comme « agent des occupants ».

Pourtant les contacts avec Abetz continuent. Un dernier rendez-vous, prévu le 27 août, sera annulé. Le 31, Robert Foissin est exclu du parti. Il rencontre une dernière fois Abetz le 2 septembre. Un rapport signé par un proche de Duclos, Arthur Dallidet, en octobre, met en cause Tréand. Celui-ci va payer cher d’avoir été en première ligne dans cette négociation. Marginalisé, il mourra en 1949. Pour l’historiographie officielle du PCF, il sera longtemps le seul responsable de ce qu’elle présentera comme une initiative locale.

Source www.lemonde.fr

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