Liliane Messika, MABATIM.INFO
Un CV impressionnant
En 1982, Israël Feldman se prénommait seulement Bernard et il vivait à Paris, où il avait déjà obtenu un D.E.S.S. de Psychologie clinique à Paris V, un Doctorat de Victimologie clinique à Paris XIII, un DEA et un Doctorat de Psychopathologie à Paris VIII. Il avait terminé une formation à l’Institut de Psychanalyse de la rue Saint Jacques, mais pas ses études de médecine à Paris VII, où il les continuait au CHU Bichat.
Le 9 août de cette année-là, pendant les vacances universitaires, se produisit l’attentat contre le restaurant Goldenberg rue des Rosiers.
L’étudiant Bernard Israël Feldman, deux fois docteur mais pas encore médecin, qui prenait régulièrement un sandwich de pickle fleisch chez Goldenberg, décida que s’il devait mourir parce que juif, autant que ce soit dans l’État idoine. Il fit son alyah deux ans plus tard. Il avait 40 ans et n’a jamais terminé ses études de médecine.
Un thérapeute au service des traumatisés
Dans sa nouvelle – mais millénaire – patrie, Israël Bernard Feldman travailla sur le traumatisme trans-générationnel dans les populations juives israéliennes après la Shoah, chez les Noirs descendants des esclaves dans les Caraïbes françaises (Martinique, Guadeloupe), dans les populations arméniennes installées en France après le génocide opéré par les Turcs. Il dédia aussi une partie de son temps à la notion de « concurrence victimaire », officia comme psychothérapeute dans l’armée de réserve israélienne, où il soigna les soldats affligés du PTSD (stress post-traumatique) et les familles endeuillées par les guerres israélo-arabes.
Depuis que l’antisémitisme rend la vie difficile aux Juifs français, enfin à ceux qui lui survivent, ils sont nombreux à émigrer en Israël. Le docteur Israël Feldman travaille depuis 2014 comme psychothérapeute pour le Ministère de l’Intégration et l’Agence Juive, où il apporte un soutien psychologique aux immigrants de France.
Il n’avait pas attendu cette nouvelle alyah massive, pour fonder plusieurs associations dans lesquelles il recevait des patients dans leur langue maternelle, qu’elle soit le français, l’espagnol, l’anglais ou l’hébreu : « Hevel » (Association Internationale d’aide aux victimes de la violence), « Alumim » (enfants cachés pendant la Shoah), « Yshak », Association Israël-France de Victimologie de l’enfant et de sa famille, correspondante de l’Institut de Victimologie de Paris, « Maté-Nifgaéi-HaTerror » Conseil représentatif des victimes du terrorisme. Il travaille aujourd’hui également pour « One Family Fund » une association d’aide aux victimes d’attentats… qu’il n’a pas créée.
Psychologue et victimologue, il pratique des psychothérapies sur les victimes et leurs proches et forme les enseignants, intervenant sur le terrain en Israël, en France, en Espagne, au Chili…
Expert en Victimologie/Agressologie/Criminologie
C’est au titre de son expérience pléthorique qu’Israël Feldman a été nommé responsable de la chaire Unesco (Unitwin) sur la violence, en relation avec l’université Bar Ilan de Tel Aviv.
C’est également cette expertise qui a amené des enseignants en médecine français (le Dr Gérard Lopez, le Dr Jean-Pierre Benais, le Dr Gilbert Vila, le professeur Garnier…) à lui confier, en 1996, la responsabilité du D.U (diplôme universitaire) de Victimologie/Agressologie/Criminologie à l’UFR (Unité de formation et de recherches) Santé, médecine, biologie humaine Léonard de Vinci de l’université Paris XIII.
Un diplôme universitaire est un diplôme propre à une université, par opposition aux licences, masters et doctorats, qui sont reconnus nationalement, quel que soit l’établissement universitaire qui les a délivrés. Les universités organisent leurs D.U. de façon indépendante, en déterminant chacune le mode d’accès des étudiants, la durée des cours, le cursus et les examens.
À Paris XIII, le mode de relation aux enseignants contractuels pratiqué avec Israël Feldman et son collègue Paul Kieusseian a été… de ne pas signer les contrats et de ne pas les payer.
Migrants universitaires
Outre l’inconvénient de l’absence de rémunération, la direction de l’UFR expliqua à Feldman que la population étudiante particulière de Paris XIII-Bobigny rendait « conflictuel » le sujet de la Shoah, qui faisait partie du cursus sur les génocides qu’il était chargé d’enseigner.
Les sujets « conflictuels » se multipliant à Paris XIII, au point de rendre l’enseignement du D.U. impossible, l’équipe chargée de ce cursus migra, en 2002, à Paris V, au département d’Éthique médicale et de médecine légale de la Faculté de Médecine de la rue des Saints Pères.
Dans le cadre d’un D.U. de Psycho-traumatologie, Israël Feldman y fut chargé du cours sur « Les enfants et la guerre ». Le manuel « Psychotraumatologie », qui servait de base au cours, est paru chez Dunod. Il en a rédigé le chapitre 14.
Parallèlement à ce travail d’enseignement, Feldman et Kieusseian créèrent l’association franco-israélienne de Victimologie de l’enfant et de la famille, dont Feldman est le président actuel.
C’est en 2003, lors du premier congrès de cette association à Tel-Aviv, qu’il fut nommé responsable en Israël de la Chaire d’enseignement sur la violence par l’UNESCO, au sein du programme Unitwin.
Ce premier congrès avait eu lieu à la demande de Philippe Douste-Blazy, à l’époque maire de Toulouse, qui ne deviendrait ministre de la Santé que l’année suivante. Cette première édition fut suivie d’une dizaine d’autres, toutes très appréciées par leurs publics de professionnels.
Faits et idéologies
Le docteur Gérard Lopez dirigeait le programme général Unitwin, ainsi que le D.U. de Paris V, avec le professeur Louis Jehel. Lopez et Feldman furent souvent invités à intervenir dans des colloques et des conférences en Espagne, au Chili et en Argentine.
« Tout se passait plus ou moins normalement (Mme Douste-Blazy a quand même reçu des menaces de mort contre elle et son fils), jusqu’à l’année dernière », explique Israël Feldman[1]. « Lorsque j’ai fait le cours sur les enfants et la guerre, j’ai parlé des enfants cachés en France pendant la Shoah et qui ont immigré en Israël. Je suis le psychothérapeute de leur association « Alumim » à Tel-Aviv. Comme d’habitude j’ai aussi parlé du conflit israélo-palestinien, en citant les études réalisées sur le PTSD chez les enfants israéliens et palestiniens, par l’université de Tel-Aviv. J’ai aussi abordé le drame des enfants en Syrie et en Irak et j’ai comparé l’idéologie nihiliste de Daesh au nazisme. »
S’ils ne sont pas compatibles, supprimez les faits !
Le directeur du D.U. a dîné avec Israël Feldman, le 29 janvier 2020. C’est là qu’il lui a annoncé ne pas renouveler son contrat d’enseignant pour l’année universitaire 2020-21.
Pourquoi ? Parce qu’une pétition avait été lancée contre lui, l’accusant d’islamophobie.
Le même sort était réservé au Dr Paul Kieusseian qu’il avait recommandé et qui enseignait, dans le cadre du même D.U., les traumatismes des enfants lors du génocide arménien. L’opprobre d’islamophobie le frappait pour avoir dit, en amphi, que le génocide avait été commis par les Turcs musulmans contre les Arméniens chrétiens.
Feldman a demandé en vain au directeur du D.U. de lui montrer la pétition.
Cette pétition existe-t-elle réellement ? Combien d’étudiants l’ont signée ? Sur quel fondement est formulée l’accusation d’islamophobie pour les deux professeurs ?
Ils ne le savent pas et la nouvelle directrice du D.U., Marie-France Mamzer, n’a pas répondu au mail que lui a adressé Israël Feldman via LinkedIn.
Dénoncer… les contrats des Juifs et des Arméniens
On s’interroge sur le type de contrat qui liait à l’université ces enseignants diplômés du troisième cycle, mais licenciés. Réponse :
« Chaque année, nous recevions un questionnaire du département de Médecine légale et d’Éthique médicale de la Fac de médecine de la rue des Saints Pères, Université Paris V, nous demandant de renouveler notre contrat d’enseignement. Or cette année, nous n’avons rien reçu. J’ai donc interrogé Gérard Lopez, qui m’a informé de notre licenciement, à Paul Kieusseian et moi-même, lors d’un dîner. Je suppose que nous étions contractuels, mais nous n’avons jamais été payés, malgré nos innombrables réclamations auprès de l’administration de l’université.
Kieusseian a écrit à Lopez, en lui demandant s’il y avait eu une pression turque. Il n’a pas obtenu de réponse. Lopez dit qu’il ne sait pas ce qui est écrit sur la pétition des étudiants signataires. »
Depuis 1996, soit pendant 24 ans, des professeurs ont fait cours une à trois journées par an dans deux universités de médecine françaises, devant des amphis d’une centaine d’étudiants, sans être rémunérés. Ces cours se terminaient régulièrement par des applaudissements nourris.
Ce que nonobstant, les deux profs ont été renvoyés sans autre forme de procès, au motif d’une pétition fantôme.
Au moins on est sûrs que personne n’accusera une baisse des budgets. Et ceux qui prétendent que les Juifs ne sont motivés que par l’argent auront du mal à utiliser cette affaire pour le prouver.
Mais comme on le dit souvent, pas besoin du réel quand on a de vraies convictions ! Et quand on veut tuer son chien, on dit qu’il est juif ou islamophobe. LM♦
Liliane Messika, MABATIM.INFO
[1] Interview téléphonique du 9 février 2020.