Déclaré « zone touristique internationale » en 2015, le quartier du Marais à Paris, dont la célèbre rue des Rosiers est l’un des joyaux, fait partie des incontournables, au même titre que Saint-Germain et l’avenue des Champs-Élysées.
Chargé d’histoire, de culture et de spiritualité, le « Pletzl » demeure le quartier juif le plus célèbre de la capitale. Il connaît son apogée entre la fin du XIXème et la Seconde Guerre mondiale et va offrir, à une population essentiellement ashkénaze qui a connu pogroms, persécutions et la Shoah, un véritable refuge, au milieu d’accents et d’odeurs de plats bien connus. Ses trottoirs exigus, ses passants qui arpentent les rues au ralenti, les files d’attente interminables devant l’As du Fallafel, l’imposent comme l’un des lieux clés de la rive droite.
Avec l’apparition des boutiques de luxe et des bars, le Marais, berceau historique de la communauté juive en France, pourrait sembler méconnaissable à quelqu’un qui l’a fréquenté autrefois. Pourtant, malgré les enseignes et les investisseurs, les vestiges du temps passé perdurent, laissant leurs traces indélébiles grâce aux quelques restaurants casher, aux synagogues, mais aussi au Mémorial de la Shoah, ses plaques commémoratives et ses noms inscrits dans la pierre comme dans l’air ambiant.
Attablé dans sa célèbre boulangerie familiale, Alain Korcarz raconte : « Oui, le quartier a évidemment changé, je suis né dans la rue des Rosiers et elle n’est plus du tout ce qu’elle était, et tout s’est fait par étapes : il y a eu la rue des Rosiers d’après-guerre avec ses boulangeries, ses pâtisseries, ses boucheries, il y a eu la rue des Rosiers avec ses pizzas et ses fringues, et maintenant c’est devenu la rue des Rosiers des fallafels », a-t-il affirmé. Mais selon lui, c’est cyclique, ça passera, et la rue se transformera à nouveau.
« A mon époque, il y avait au moins 40 magasins casher, Aujourd’hui, il n’en reste que trois ou quatre, et ça veut dire beaucoup », affirme-t-il. Pour M. Korcarz, l’âme juive demeurera toujours même si elle est moins visible.
« La rue des Rosiers est considérée comme un lieu juif dans le monde entier et il y a une raison à cela: l’attentat du 9 août 1982. Les gens revenaient à St-Paul pour rechercher les membres de leurs familles, un peu comme pendant l’exode des séfarades qui ont quitté le Maghreb, et qui se sont retrouvés à Montmartre », explique le patron.
En perpétuelle mutation, le quartier de St-Paul s’apparente pour lui au quartier de Soho à New York, où grandes enseignes et galeries d’art se rencontrent sans pour autant effacer les traces du passé.
Les vitrines décorées illuminent les yeux des visiteurs cosmopolites qui s’imprègnent de l’atmosphère juive ambiante, que ce soit par l’art, les cafés, la nourriture ou la littérature. Offrant un cadre de vie exceptionnel au cœur de Paris, le Marais a vu ses prix flamber au fil des années, et les marques de luxe payer le prix fort pour s’implanter dans ce carré d’or.
« On a été sollicités par de très grandes marques qui voulaient racheter la boutique mais elle fait partie de mon âme, je suis né ici et je mourrai ici », confie l’homme de 71 ans.
« Le Marais a changé comme ont changé les Champs-Elysées. Avant, on s’habillait en costume pour boire un café sur les Champs, aujourd’hui ça ne se fait plus, et pourtant le quartier est toujours là », poursuit-il.
Enfant de la rue des Rosiers, Geneviève Allouch est moins optimiste. Pour elle, le quartier est touristique et réputé mais perd peu à peu de son âme juive. « Même à Kippour, il n’y a plus personne, les Juifs sont partis. Il n’y a plus les familles nombreuses d’antan, et il y avait beaucoup plus de Juifs dans les écoles publiques que maintenant », souligne-t-elle en se réjouissant néanmoins de la reprise du tourisme israélien post-covid dans le quartier.
Malgré sa notoriété, la place a évolué et se vide peu à peu de ses Juifs qui se sont éloignés du quartier, de Paris, ou qui ont préféré au fil des années s’installer en Israël.
« Je n’ai pas un seul ami d’enfance qui habite encore ici, ils ont souhaité habiter autre part et ont privilégié d’autres quartiers de Paris comme le 16e, le 17e, les banlieues et aussi Israël », constate M. Korcarz.
Malgré le départ progressif de la communauté juive, les patrons des restaurants toujours présents comptent bien rester et faire vivre l’histoire en perpétuant leurs saveurs et leurs spécialités.
« Pour moi, le Marais représente un bout de vie juive à Paris, un repère. Et lorsqu’on a conscience de son histoire, on se sent toujours un peu ému. Lorsqu’on flâne à travers ses rues, il se passe quelque chose, on s’y sent bien », témoigne Laurent, parisien, qui vient à St-Paul au moins une fois par semaine.
Que ce soit en famille ou entre amis, le Marais continue d’attirer la curiosité de quelque 30 millions de visiteurs chaque année. Et même si le quartier tend à se réinventer, rien ni personne ne pourra effacer l’histoire et l’âme de ces rues indissociables de l’histoire des Juifs de France.
Bref historique du Marais des Juif (Jforum)
C’est à partir du 13ème siècle que la communauté juive s’installe dans le quartier du Marais, mais elle en est expulsée en 1306 par le roi Philippe le Bel qui leur impose de quitter le royaume… Il faut attendre le 19ème siècle – grâce à la Révolution et à Napoléon – pour que les juifs soient de nouveau les bienvenus en France : entre 1880 et 1940, plus de 100 000 d’entre eux arrivent donc d’Europe de l’Est, fuyant les pogroms
Ils s’installent alors de part et d’autre de la place Saint-Paul, dans le quartier Saint-Gervais du Marais, qu’ils nomment le Pletzl signifiant « petite place » en yiddish. Une jolie plaque indiquant Pletzl en lettres hébraïques a d’ailleurs été créée en 2019 par l’artiste Sebestyen Fiumei et apposée à l’angle de la rue des Rosiers et de la rue des Hospitalières Saint-Gervais.
A partir des années 60, des juifs rapatriés du Maghreb viennent s’installer dans le quartier, mais rapidement le manque de place contraint la plupart d’entre eux à s’établir dans d’autres quartiers comme Belleville, le 19ème arrondissement voir en banlieue comme à Sarcelles.
Les nouveaux arrivants prennent souvent le contrôle des rites dans de nombreuses synagogues du Marais, c’est le cas de la synagogue Nazareth et de la synagogue des Tournelles.
Le Marais est aujourd’hui l’un des arrondissements parisiens les plus recherchés où le prix de l’immobilier atteint des sommets. La Mairie de Paris s’efforce d’améliorer les conditions de vie et de circulation dans le quartier en rendant piéton certains axes.
Ces projets furent accueillis de façon contrastée par les résidents qui craignaient que l’âme et l’ambiance du vieux quartier juif soient touchées par ces bouleversements. Ce que les anciens habitants redoutaient est arrivé.
La Rue des Rosiers, emblématique du quartier est aujourd’hui certes plus plaisante pour les touristes mais a succombé aux assauts des commerces de luxe et des grandes marques mondialisées.
Après avoir survécu pendant des siècles aux persécutions, aux pogroms, aux spoliations, à l’exil et à la Shoah, la communauté juive du Marais est en passe de succomber à un mal qui gangrène tout Paris : l’inflation immobilière.
Petit à petit les épiceries cashers et les librairies religieuses sont remplacées par des chaînes de prêts à porter et des bars branchés, seules les anciennes devantures sont gardées pour préserver un minimum la mémoire juive du quartier et peut être se donner bonne conscience, ainsi rue des Rosiers on ne s’étonne plus de voir une boutique à la mode ornée d’une étoile de David ou d’un chandelier à 7 branches.