L’hebdomadaire a publié une interview particulièrement complaisante du chef du Hamas à Gaza, réalisée par un mystérieux journaliste.
C’est bien connu, Paris-Match ne donne pas toujours dans la nuance.
L’hebdomadaire, dont la devise « Le poids des mots, le choc des photos » est devenue aussi célèbre que le titre lui-même, est réputé pour ses scoops et ses révélations fracassantes.
Est-ce cette recherche du « coup » journalistique qui le fait parfois céder aux sirènes du sensationnalisme et de la propagande ?
C’est la question que l’on peut se poser à la lecture l’interview « exclusive » – et fort complaisante – du chef du Hamas, Ismaël Haniyeh, publiée fin avril par l’hebdomadaire.
Bien entendu, un journal a parfaitement le droit de dépêcher un « envoyé spécial » à Gaza pour interviewer le chef du Hamas.
Mais le minimum que lecteur de Paris-Match est en droit d’attendre, ce sont de véritables questions. Pas de lénifiantes et obséquieuses invites à déployer un discours mensonger, sans la moindre objection de son interlocuteur.
La moindre des choses serait aussi de fournir au lecteur les informations essentielles afin qu’il sache à qui il a affaire et qu’il comprenne les enjeux de l’interview.
Ces règles élémentaires ont manifestement été oubliées par le journaliste Charles Marlot.
Pour s’en convaincre, il suffit de procéder à une revue de détail de l’interview :
Le chef du Hamas nous a accordé une interview dans son fief à Gaza
… annonce Paris-Match en sous-titre.
Mais qu’est-ce donc que le Hamas ?
D’emblée, l’hebdomadaire finasse et sème ses petits cailloux.
Sur l’édition papier (de loin la plus lue, 540.000 exemplaires vendus chaque semaine), silence radio. Le lecteur ne saura rien de cette organisation. Aucun rappel ne viendra l’aider à se rafraichir la mémoire.
Peut-être cette présentation lapidaire – et un rien tendancieuse – a-t-elle soulevé quelques froncements de sourcils au sein du journal ?
Le site internet a donc rajouté ce petit encadré en introduction :
L’homme fort de Gaza, aux commandes de ce territoire peuplé de 2 millions de Palestiniens depuis plus de 10 ans, a été placé en janvier sur la liste noire des terroristes par le Département d’Etat américain. Le chef du bureau politique du Hamas n’avait pas parlé à la presse française depuis 2008. Il s’exprime dans un entretien exclusif pour Paris Match.
C’est en progrès, mais peut mieux faire.
En fait, cette précision apportée par le journal manque elle-même de précision. Cela ressemble presque un mensonge par omission : en effet, le Hamas est également classé sur la liste des organisations terroristes de l’Union Européenne.
Le décor étant planté, l’interview peut commencer.
Première question du journaliste : « Quelle est la situation à Gaza aujourd’hui ? »
La réponse d’Ismaël Haniyeh justifie que nous la publiions intégralement (les passages en gras ont été soulignés par InfoEquitable) :
Après 11 ans de siège et trois guerres successives, des tentatives de déstabilisation politique, sécuritaire et des punitions collectives imposées par l’occupation israélienne, la situation est dramatique, notamment sur le plan humanitaire et économique. Nous faisons actuellement face à plusieurs crises : l’électricité est rationnée à quatre heures par jour au plus, nous sommes à court d’argent et le versement des salaires a été suspendu par l’Autorité palestinienne. Ces conséquences humanitaires et économiques ne doivent pas faire oublier qu’il s’agit bel et bien d’une seule et même épreuve : l’occupation et ses impacts sur Gaza. Chaque crise a pour but d’éloigner le peuple palestinien de la résistance, mais il s’y accroche. Et continue de nous manifester un soutien fort et profond lors des élections locales ou générales, et à d’autres niveaux. C’est un puissant levier pour que le Hamas reste, aux côtés du peuple Palestinien, à la pointe de la lutte contre l’occupant israélien.
On a rarement vu autant de contre-vérités et de mensonges formulés en si peu de phrases.
- Non, Gaza ne subit pas un « siège » (définition du dictionnaire TLF, « assiéger » : mettre le siège devant un lieu, une place forte dont on désire s’emparer par la force des armes). Ni le gouvernement, ni l’armée israélienne n’ont la moindre intention d’envahir Gaza. En revanche, le « blocus » imposé à ce territoire est parfaitement légal et a été déclaré en conformité des règles prévues par l’ONU.
- Non, il n’y a aucune « tentative de déstabilisation collective » de la part des Israéliens. Cette accusation venant d’une organisation islamiste qui règne sans partage depuis 11 ans sur la bande de Gaza est tout simplement ridicule. L’attitude des Israéliens vis-à-vis de Gaza est purement sécuritaire. Elle vise à empêcher les tirs de missiles et de roquettes, les tentatives d’attentats et d’intrusion en Israël via les nombreux tunnels que l’organisation terroriste s’efforce de creuser depuis des années.
- Non, il n’y a pas de « punitions collectives » infligées à la population de Gaza, otage de la politique du Hamas. Le blocus israélien ne vise qu’à empêcher l’entrée de biens pouvant entrer dans la fabrication de matériels ou installations militaires. Chaque jour, des centaines de camions chargés de denrées et de marchandises traversent la frontière entre Israël et Gaza. Selon les dernières statistiques (2016), 30.000 Palestiniens originaires de la bande de Gaza viennent chaque année se faire soigner dans les hôpitaux israéliens.
- Non, il n’y a plus « d’occupation » israélienne de la bande de Gaza depuis le retrait unilatéral de 2005. Aucun soldat, aucun civil ne s’y trouve. Israël n’a manifesté aucune volonté d’y retourner.
- Evoquer « la résistance » du peuple palestinien est dans ce contexte particulièrement malhonnête. Les lecteurs de Paris-Match ont-ils été informés que dans le vocabulaire employé par le Hamas, « la résistance » signifie en fait les attentats terroristes contre les civils ?
- Non, le « peuple palestinien » ne manifeste pas un « soutien fort et profond » au Hamas. Depuis qu’il a pris le pouvoir à Gaza en 2007, le Hamas n’a organisé aucun scrutin démocratique et fait régner un régime de terreur sur le territoire palestinien.
Le reste de l’interview est à l’avenant…
Sur une page entière, le chef du Hamas poursuit sur sa lancée.
« Quel est le but de la marche pour le droit au retour, initiée le 30 mars ? », lui demande Paris-Match.
Réponse de Haniyeh : « Le peuple exprime sa colère de manière pacifique et novatrice (…). Nous privilégions les méthodes pacifiques. Nous n’aimons pas les effusions de sang, mais nous avons dû prendre les armes pour nous défendre contre un ennemi équipé d’armes de toutes sortes, y compris de destruction massive, interdites par les conventions internationales », affirme le chef de l’organisation terroriste sans susciter la moindre objection du journaliste qui l’interviewe.
On n’en saura guère plus. Ni sur les « méthodes pacifiques » du Hamas. Ni sur les « armes de destruction massives interdites par les conventions internationales », qui seraient utilisées par Israël contre les Palestiniens.
Une interview réalisée par un mystérieux journaliste, inconnu au bataillon…
Au fait, qui est Charles Marlot, le journaliste qui a réalisé cette interview « exclusive » ?
Il s’agit sans doute un grand professionnel, puisqu’il est capable d’obtenir un rendez-vous avec le patron du Hamas à Gaza (ce qui n’est pas à la portée d’un perdreau de l’année) puis de publier sur une pleine page dans un hebdo aussi prestigieux que Paris-Match.
Or Charles Marlot est un inconnu sur la place de Paris.
Aucun journaliste interrogé ne l’a jamais croisé. Renseignement pris auprès de la très officielle Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels (CCIJP), aucune carte de presse n’a jamais été délivrée à ce nom, aucun pigiste ne s’est manifesté sous cette identité.
Curieux tout de même ce profil bas, cette discrétion qui confine à la modestie… non ?
Après une enquête approfondie, InfoEquitable a fini par identifier cet énigmatique thuriféraire
Charles Marlot est en réalité le pseudonyme d’un journaliste réputé, spécialiste du Proche-Orient. Reporter de terrain apprécié, il a obtenu dans le passé plusieurs distinctions professionnelles prestigieuses.
Pourquoi alors fait-il preuve d’une telle humilité en renonçant à faire figurer en bonne place sur son CV cette « interview exclusive » du chef terroriste ?
Est-ce parce qu’il n’a pas souhaité associer son nom à cette interview complaisante et mensongère qui s’apparente plus à une oeuvre de propagande qu’à un véritable travail journalistique ?
Si Charles Marlot souhaite nous apporter un éclairage à toutes ces questions, InfoEquitable publiera volontiers sa réponse.
Source infoequitable.org