Parachath ‘Houkath : le brûlement du Talmud en place de Grève à Paris (780 ans)

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Ce vendredi est le jour où a eu lieu en 1242 ou 1244 le « brûlement du Talmud » en place de Grève à Paris, aujourd’hui place de l’hôtel de ville, à la suite d’un procès du Talmud, auquel ont assisté des hauts rabbanim d’alors tels que rabbi Ye’hiel de Paris et que le « Sar de Coucy ». Ce fut un événement majeur de l’histoire des Juifs et de leur relation à la chrétienté, ainsi que de leur présence en France.

Tenu à l’instigation de Nicolas Donin, un Juif converti au christianisme, ce procès a opposé ce dernier et des ecclésiastiques à quatre grands de la Tora, dirigés par rav Ye’hiel de Paris, en présence du roi Louis IX de France. Commencé en 1240, il se conclut par la crémation de nombreux exemplaires du Talmud sur la place de Grève en 1242 ou en 1244. Il crée de la sorte un précédent sur lequel s’appuieront d’autres disputations judéo-chrétiennes, principalement en Espagne.

Bien que la condamnation de la Tora orale remonte à Justinien et se soit fréquemment retrouvée dans les sermons des théologiens chrétiens, il n’existe aucune campagne de destruction des livres juifs avant le 13e siècle.

Cette période voit l’autorité de l’Église catholique menacée sur le front extérieur par les Sarrasins et, sur le front intérieur, par l’émergence de mouvements dissidents comme les Cathares et le rationalisme.

Le pape Innocent III instaure des mesures énergiques, tant sur le plan théologique lorsqu’il décrète en 1199 que le peuple ne peut se baser que sur le clergé pour interpréter la Bible, que sur le plan politique, lorsqu’il fait inclure dans le concile du Latran de 1215 nombre de mesures destinées à exclure les Juifs et les Sarrasins de la société chrétienne.

Ces mesures trouvent un écho important chez le roi Louis IX, dit saint Louis, qui souhaite réaliser l’idéal du roi chrétien, bras séculier de l’Église. Outre les diverses restrictions et l’apparition de la formule assimilant les Juifs à des biens meubles du roi, le roi encourage personnellement les conversions au christianisme en versant notamment une pension aux convertis et à leur famille afin de compenser la confiscation de leurs biens.

Les défections au judaïsme suscitant à la fois le mépris des Juifs et la méfiance des chrétiens devant ces néophytes, le zèle de certains à se faire accepter s’accompagne d’une distanciation extrême de leur ancien milieu. Ainsi, c’est un Juif baptisé qui convainc Louis IX de rétablir l’usage de la rouelle. D’autre part, ils ne manquent pas de rapporter aux autorités ecclésiastiques chrétiennes diverses accusations envers les Juifs et leur littérature, au point que dans la littérature contre-missionnaire des Juifs, les « infidèles » ne désignent pas les chrétiens mais bien les Juifs convertis.

Nicolas Donin de La Rochelle est l’un de ces convertis. Renvoyé de la Yechiva de rav Ye’hiel de Paris et excommunié par celui-ci, il a vécu reclus plusieurs années avant de se convertir au christianisme et d’entrer dans les ordres franciscains. Il rédige en 1236 une lettre au pape Grégoire IX condamnant le Talmud.

Une bulle papale est émise trois ans plus tard. Grégoire y ordonne, au terme de la tenue d’une enquête, que soient saisis et brûlés « les livres dans lesquels on trouverait des erreurs de la sorte ». Louis IX n’est pas le seul à accéder à cette requête positivement : des actions à moindre échelle ont lieu en Angleterre et en Italie ; le roi exige toutefois que les Juifs soient autorisés à se défendre. Le 3 mars 1240, le pouvoir royal fait saisir tous les exemplaires du Talmud possible pendant que les Juifs sont à la synagogue.

La controverse est organisée à Paris le 12 juin 1240, en présence de Blanche de Castille. Y participent du côté chrétien l’archevêque de Sens Gauthier le Cornu, l’évêque de Paris Guillaume d’Auvergne et l’inquisiteur Henri de Cologne, Eudes de Chateauroux, Chancelier de l’Université de Paris et Nicolas Donin ; du côté juif, les rabbanim rabbi Ye’hiel de Paris, rav Moché de Coucy, rav Yehouda ben David de Melun et rav Chemouel ben Chelomo de Château-Thierry.

Rabbi Ye’hiel, qui a laissé un compte-rendu du procès répond aux accusations en mettant l’accent sur l’antiquité du Talmud ainsi que sur sa qualité de commentaire et non substitut à la Bible.

Par ailleurs, les Gentils auxquels fait allusion le Talmud sont des païens et non des chrétiens ainsi qu’on peut le voir des bons rapports que les Juifs entretiennent avec leurs voisins, commerçant et étudiant même la Bible avec eux. Les chrétiens peuvent avoir une part au monde à venir en tant que Noa’hides. Quant au Yeshou prisonnier de la Géhenne dont il est question dans le Talmud, il ne s’agirait pas de Jésus de Nazareth.

Le tribunal, réuni après la disputation, rend sa sentence deux ans plus tard : il estime que le Talmud est un livre infâme et qu’il doit être brûlé selon les recommandations de Grégoire IX (bien que celui-ci fût mort entretemps, et ait été remplacé par Innocent IV). Le 17 juin 1242 (ou 1244, en particulier selon l’historien Chim’on Schwarzfuchs), vingt-quatre charretées du Talmud sont solennellement brûlées en place de Grève à Paris en présence du Prévôt et du clergé.

Plus tard, le Maharam de Rothenbourg écrira à cet égard une seli’ha que nous disons à Ticha Beav : Chaali seroufa beEch (demande, la passée au feu).

Cette date est restée importante dans le Judaïsme, en particulier le vendredi veille de la lecture de « Zoth ‘Houkath haTora », considéré comme redoutable. Rabbi ‘Hayim Faladgi (Izmyr 1787-1868) rapporte : « Je me souviens, quand j’étais enfant, que l’on pouvait trouver des commerçants qui évitaient de se rendre au marché en veille du Chabbath ‘Houkath. Ce qu’ils devaient faire en ce jour-là, ils l’avançaient au jeudi. Et de même, même de nos jours, nombreux sont ceux qui évitent de quitter la ville en ce jour-là. » Le rav Faladgi conclut : « Que l’Eternel assure la garde de Son peuple, le peuple d’Israël, partout et en tous temps, pour que rien de mal ne leur arrive ». C’est donc que ce jour-là reste dans la mémoire des gens comme étant dangereux pour le peuple juif.

Le Michna Beroura (580,3,16) écrit : « On trouve dans nos écrits qu’il est bon pour tout Juif de pleurer en souvenir du brûlement de la Tora… Le Tanya (il s’agit du Tanya Rabbati, de rav Ye’hiel de Rome, qui a vécu quelques 50 ans après ce drame) écrit que le vendredi d’avant parachath ‘Houkath des individus ont l’habitude de jeûner car en ce jour 20 charrettes pleines de livres saints ont été brûlés en France ».

Que dire pour nous, si ce n’est que de rappeler les événements qui se sont passés en début de cette semaine douloureuse pour le peuple juif, avec les élections en… France ?
Rappelons qu’un numéro de Kountrass a été consacré en son temps à cet événement, le 46, 750 ans après qu’il y ait eu lieu.

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