« Afin que le sang innocent ne soit pas répandu au sein de ce pays que l’Éternel, ton D’, te donne pour héritage, et qu’une responsabilité sanglante ne pèse point sur toi » (Devarim 19,10).
On relate une anecdote à propos de mon vénérable et saint ancêtre, rabbi Tsvi Hirsch de Ziditchov zatsal, qui logea un jour dans la maison d’un célèbre philanthrope dans la ville de Lvov. Celui-ci possédait chez lui une malle dans laquelle il exposait ses belles pièces d’argenterie, et un miroir poli était collé sur toute la surface arrière. C’était une nouvelle tendance adoptée par les personnes aisées de cette époque.
Lorsque mon ancêtre passa devant la malle, il s’arrêta et l’observa attentivement, et l’on devinait sur son visage une expression de satisfaction. Le propriétaire des lieux comprit que le saint rabbi ne s’émerveillait pas à la vue d’objets matériels, et il l’interrogea pour savoir ce qui lui plaisait. Le rabbi lui répondit : « J’ai eu le bonheur de résoudre une question difficile d’un texte de nos Sages. »
Et de s’expliquer : « Il est écrit dans le Midrach Rabba (Kohéleth 1,13) : « Lorsque l’homme meurt, il n’a pas apaisé la moitié de ses désirs, et s’il possède cent choses, il en veut deux cents. » Ce passage m’a toujours posé problème : si les inclinations de l’homme le poussent à obtenir le double de ce qu’il possède, de toute façon, il n’aura obtenu que la moitié de ses désirs, et il ne lui manque que l’autre moitié ?
« Mais j’ai maintenant compris le sens de cette idée. J’ai remarqué que l’on dépose dans ces boîtes un miroir, car le maître de maison désire que les visiteurs s’imaginent qu’il possède le double d’argenterie. De ce fait, le maître de maison lui-même a le sentiment de posséder le double : s’il a, par exemple, dix chandeliers, il aura le sentiment d’en avoir vingt. Et comme l’homme cherche naturellement à obtenir le double, il aspire à en obtenir quarante. En vérité, il n’a pas obtenu la moitié de ce qu’il désirait, mais seulement un quart ! »
Ces propos de mon saint ancêtre reflètent bien la situation actuelle, pas uniquement à propos de l’argenterie, mais dans d’autres domaines encore. Les hommes veulent toujours montrer aux autres qu’ils possèdent le double de ce qu’ils ont en réalité, et à cet effet, ils mènent un train de vie supérieur à leurs moyens, achètent des vêtements et du mobilier de luxe, pour se donner l’illusion d’être plus riches, mais concrètement, ils perdent ainsi leur argent et se gâchent la vie à la poursuite de la richesse puis du remboursement des dettes.
Ce phénomène se retrouve fréquemment pour la préparation des mariages. Des familles modestes contractent des emprunts pour des dépenses superflues, dépassant de loin leurs moyens, comme l’organisation d’un grand repas de noces dans une salle somptueuse, où l’on sert aux invités toutes sortes de plats et de boissons raffinés, l’achat d’une abondance d’arrangements floraux et de vêtements onéreux, et d’autres ornements destinés à embellir les lieux.
De ce fait, les parents des mariés ne peuvent se réjouir véritablement le jour de leur célébration, mais sont rongés de soucis à l’idée de devoir rembourser leurs dettes. Cela peut même leur provoquer des maladies de cœur ou d’autres maux.
Cette attitude provient uniquement d’un manque d’émouna. Celui qui ancre dans son cœur l’idée que tout ce que l’homme possède provient de D’ sait que la richesse n’est pas une marque d’honneur et qu’il n’est pas honteux d’être pauvre. De plus, il n’y a aucune raison de vouloir étaler une fortune qu’on ne possède pas réellement.
De la même manière, l’homme n’a pas honte du fait que D’ l’a créé avec des handicaps physiques. L’ouvrage Avoth de-rabbi Nathan, chapitre 41, relate qu’un tel homme répondit à son interlocuteur qui s’était moqué de lui : « Va trouver l’artiste qui m’a fabriqué» ; ainsi, si D’ a restreint les finances d’un homme, et qu’il ne gagne pas très bien sa vie, il ne doit pas en éprouver de honte.
On perçoit aisément que la fortune ne dépend pas de l’intelligence, de l’assiduité ni de la diligence, car de nombreux riches sont bêtes et paresseux, tandis que de nombreux pauvres sont intelligents et diligents, comme il est dit (Kohélet 9,11) : « Ni le pain aux gens intelligents, ni la richesse aux sages. »
Il peut arriver qu’un riche attribue sa réussite à son intelligence et à sa dextérité, tandis qu’un pauvre pensera qu’il ne réussit pas du fait qu’il est dénué d’intelligence et de savoir-faire, mais lorsque ces deux hommes se rencontrent et bavardent, ils remarquent que le pauvre est plus intelligent, et ils constatent alors que seul D’ décide du sort de chacun, qu’il soit riche ou pauvre. À ce sujet, le roi Chelomo a dit (Michlé 22,2) : « Riche et pauvre sont sur la même ligne : l’Éternel les a faits l’un et l’autre. »
Un riche qui sait que tous ses revenus proviennent du Ciel, et qu’il n’en est pas responsable, ne dépense pas son argent de manière inconsidérée pour étaler sa fortune. De la même manière, un homme démuni, mais croyant, n’a pas honte de sa situation ni de son statut, et réduit ses dépenses en fonction de sa situation.
Nous pouvons y voir ici une allusion dans le verset, du fait que le terme Dam (sang) peut également se traduire par « argent », comme l’ont dit nos Maîtres (Meguila 14b) : le terme Damim a deux sens. Ainsi, on interprète le texte : « Afin que le sang innocent ne soit pas répandu » : ne dépensez pas d’argent pour des achats superflus et inutiles, « au sein de ce pays que l’Éternel, ton D’, te donne pour héritage » : lorsque tu sais que ton attrait pour la matérialité est une sorte d’héritage donné par Hachem, ton D’, et « que ne pèse sur toi (Vehaya)» : il s’agit d’un langage de joie, afin que tu puisses te réjouir, « une responsabilité sanglante» : que tu bénéficies des deux sortes de « sangs» : un sang sain, c’est-à-dire l’absence de maladie, et le sang qui désigne l’argent.
Il convient de se renforcer à ce sujet, dans une période où, compte tenu des circonstances, tout le monde réussit à organiser des fêtes plus modestes dans une atmosphère de joie intense. Que ce soit la volonté du Ciel que tous les individus et les communautés œuvrant pour limiter les excès dans ce domaine, se voient couronnés de succès dans leur noble entreprise.
Chabbath Chalom !