par Khaled Abu Toameh – Gatestone Institute
Le tollé sans précédent né de la participation d’Abbas à l’enterrement d’un dirigeant israélien est une preuve supplémentaire du niveau de radicalisation des Palestiniens.
Voilà ce qui arrive quand on déclenche une vague de haine contre Israël et ses dirigeants dans les médias, les mosquées et les discours officiels. Après un tel lavage de cerveau, quelle autre réaction peut-on attendre d’une population qui voit un de ses dirigeants associé d’une façon ou d’une autre à un dirigeant israélien ?
Si le simple fait d’assister aux funérailles d’un dirigeant israélien, lequel a consacré les vingt dernières années de sa vie à la paix entre Israël et les Palestiniens, déclenche une telle condamnation, il est facile d’imaginer ce qui se produira si un dirigeant palestinien esquisse une ouverture de paix vers Israël.
La tempête actuelle finira par s’étioler, mais le message envoyé aux prochains dirigeants palestiniens est clair : « Pas de paix avec Israël, pas aujourd’hui, ni jamais ».
Depuis qu’il a assisté aux funérailles de l’ancien président israélien Shimon Peres à Jérusalem, le président de l’Autorité palestinienne (AP), Mahmoud Abbas, subit un puissant tir de barrage. La fureur anti-Abbas qui sévit aujourd’hui, n’a toutefois rien de surprenant pour qui suit l’incessante campagne d’incitation anti-israélienne qui se déverse depuis de nombreuses années sur la société palestinienne.
Si assister aux funérailles d’un dirigeant israélien, surtout quand ce dernier a consacré les vingt dernières années de sa vie à la paix entre Israël et les Palestiniens, déclenche une telle condamnation, il est facile d’imaginer ce qui se produira si un dirigeant palestinien esquisse un jour une initiative de paix avec Israël.
Quel retour de bâton pour le président Abbas ! Le voici victime de la vague de haine qu’il a lui-même organisée contre Israël et ses dirigeants dans les médias, les mosquées et les discours officiels. Lui qui a répété à son peuple que les dirigeants israéliens étaient des « criminels de guerre » passibles de la Cour pénale internationale (CPI) ; lui qui a accusé publiquement les Juifs d’avoir profané de leurs « pieds souillés » les lieux saints islamiques de Jérusalem ; lui qui accusé Israël de « nettoyage ethnique », « d’exécutions extra-judiciaires » et « d’empoisonnement » de Yasser Arafat… le voici à son tour piégé par sa propre propagande.
Face à un tel lavage de cerveau, comment s’étonner de la violence des réactions de la population palestinienne quand son principal dirigeant participe à une cérémonie aux côtés d’un dirigeant israélien ?
Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, serre la main du premier ministre israélien Benyamin Netanyahu à l’enterrement de Shimon Peres, ancien président d’Israël, le 30 septembre. Depuis, Abbas est confronté à un tir de barrage et les membres de son propre parti évoquent carrément la « trahison ».
Il est difficile de croire qu’Abbas et ses acolytes puissent avoir été surpris de la réprobation qu’ils ont déclenché. Mais la violence au vitriol qui les frappe aujourd’hui n’avait surement pas été anticipée.
C’est peu dire qu’Abbas est attaqué de toutes parts. Les dénonciations viennent certes de ses adversaires politiques, le Hamas, le Jihad islamique et le Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP), mais elles émanent aussi de groupes et de personnalités qui appartiennent à sa propre faction, le Fatah.
Les Palestiniens affirment que Abbas, âgé aujourd’hui de 81 ans, et qui poursuit la 11e année de son mandat présidentiel de quatre ans, affronte aujourd’hui son plus sérieux défi. Car rien n’indique que les récriminations vont aller en s’étiolant. Au contraire, chaque jour apporte une nouvelle vague de blâmes et les responsables de l’Autorité palestinienne à Ramallah en sont à quasi menacer ceux qui profitent de la situation pour « inciter » contre Abbas. Aucune menace n’y fait et les détracteurs d’Abbas multiplient les exigences de démission.
Le lieutenant-colonel Oussama Mansour, officier supérieur chargé de la liaison au sein de l’appareil militaire de l’AP a déjà payé le prix de sa rébellion. Sur Facebook, Mansour a vivement condamné le geste d’Abbas :
« Celui qui a pris sur lui d’assister à l’enterrement du tueur de nos fils, a commis une erreur. Et s’il a pris cette décision sous l’influence de ses conseillers, il a été induit en erreur ».
Mansour a été suspendu de ses fonctions, quelques heures après que son post ait été publié sur Facebook. Immédiatement après, des agents du renseignement militaire de l’AP ont forcé la porte de sa maison et mené une perquisition qui a rapidement pris les apparences d’un saccage selon les membres de sa famille. Un tribunal de l’AP a également ordonné la mise en détention de Mansour pendant quinze jours.
La suspension et l’arrestation de cet officier ont déclenché une vague de rage contre Abbas et ses forces de sécurité. Les Palestiniens se sont rués sur les médias sociaux pour protester contre la répression, donnant à l’officier une stature de héros et traitant Abbas de « chien » et de « collaborateur » des Israéliens. Certains ont suggéré que le courage de l’officier lui valait un poste de ministre.
Les représailles contre l’officier n’ont pas empêché nombre de loyalistes d’Abbas d’exprimer également, leur hostilité à sa présence aux funérailles de Peres.
Le « Mouvement de jeunesse » du Fatah, Al-Shabiba, a rendu public un communiqué exigeant qu’Abbas présente des « excuses » aux Palestiniens pour la « grave erreur » qu’il avait commise. Al-Shabiba a jugé que la présence d’Abbas à l’enterrement de Peres était non seulement « humiliante et dégradante » pour les Palestiniens mais représentait également une forme de « trahison ». Le groupe a souligné que le geste d’Abbas violait la doctrine du Fatah qui prévoit la « libération totale de la Palestine et l’élimination de l’occupation israélienne sous toutes ses formes, économique, politique, militaire et culturelle ». Dans le communiqué, on peut lire :
« Monsieur le Président de l’Etat de Palestine, Mahmoud Abbas. Vous avez commis un crime contre notre peuple en assimilant le bourreau à la victime. Nous ne permettrons pas que cette trahison devienne un point de vue ».
Plusieurs cadres dirigeants du Fatah ont pris leurs distances, affirmant qu’ils n’ont pas été consultés.
L’un d’eux, Tawfiq Tirawi, ex-chef des services de renseignement de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie, a déclaré qu’il était personnellement opposé au geste d’Abbas. Il a affirmé qu’Abbas n’avait pas consulté la direction du Fatah sur sa participation à l’enterrement :
« Si j’avais été consulté en tant que membre du Comité central du Fatah, j’aurais fait état de mon opposition de principe ; le sioniste que l’on a enterré se vautrait de la tête aux pieds, dans le sang de notre peuple et des autres arabes ».
Tirawi a décrit Peres comme « l’ingénieur du projet nucléaire israélien conçu pour déjouer toute tentative qui nous permettrait de récupérer notre terre ».
Les manifestations qui vont en s’élargissant contre la participation d’Abbas à l’enterrement de Peres ont aussi pris une tournure violente. Le 3 octobre, les policiers de l’AP ont eu recours à la force pour disperser une manifestation pacifique à Ramallah. Organisé par le FPLP, la manifestation doit être considérée comme un signe de l’importance des griefs que les Palestiniens ont accumulé contre Abbas, mais aussi contre Israël.
Muhanad Karajeh, avocat d’une organisation humanitaire palestinienne à Ramallah, a déclaré que les organisateurs de la manifestation lui avaient demandé d’être présent pour témoigner. Sa participation lui a valu d’être tabassé par les agents de sécurité de l’AP. « Ils m’ont frappé à plusieurs reprises dans le visage et différentes parties du corps… Je connais certains officiers personnellement. Ils ont déchiré mon costume alors que je leur disais que j’étais avocat. Ils m’ont humilié, moi et ma profession ».
Dans une tentative désespérée pour enrayer la vague de protestations, les conseillers d’Abbas ont organisé des contre manifestations de soutien au président de l’Autorité palestinienne. La consigne du leader de l’AP était d’occuper la rue partout où la tension pouvait se manifester. Arborant des photos d’Abbas et les drapeaux jaunes du Fatah, des dizaines de militants du Fatah ont défilé dans les rues de Ramallah pour afficher leur force et lancer un avertissement à ceux qui chercheraient à censurer Abbas. « Nous soutenons notre leadership historique et le président Abbas », a déclaré Oussama Qawassmeh, un cadre du Fatah. « Le Fatah est une ligne rouge et fait face à une conspiration ».
Sur les médias sociaux, les attaques contre Abbas se sont révélées impitoyables. Des activistes palestiniens ont multiplié les caricatures ridiculisant Abbas. L’une d’elles le représentait en rabbin revêtu d’un uniforme militaire israélien, la tête ornée d’une calotte juive et pleurant sur le mur des Lamentations à côté de la tombe de Peres. Une autre représentait un arabe déposant une couronne sur une botte à côté de la photo de Peres.
Sur Twitter, on a vu fleurir des hashtags comme « Offrir ses condoléances au décès de Peres est une trahison » ou « La normalisation est une trahison ».
Le Hamas n’a pas été en reste sur la « trahison » d’Abbas. Mahmoud Zahar, l’un des leaders du mouvement islamiste dans la bande de Gaza, a estimé que, selon les enseignements de l’islam, Abbas doit maintenant être considéré comme Juif. « Nous espérons qu’il rejoindra à Peres en enfer », a déclaré Zahar. « Abbas est un produit israélien. L’homme qui prétend représenter tout le peuple palestinien s’est dressé contre les Palestiniens et tous les arabes ».
Nombre d’universitaires, de journalistes et de militants politiques palestiniens et arabes ont signé une pétition qui exige qu’Abbas présente ses excuses, sa présence aux funérailles de Peres étant considérée comme une « erreur historique et politique ». 150 personnalités palestiniennes et arabes au moins ont signé la pétition qui témoigne du « choc » subi par les Palestiniens.
L’émotion a gagné les camps de réfugiés palestiniens en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et dans les pays arabes voisins. Au camp de Balata près de Naplouse en Cisjordanie, des milliers de Palestiniens ont scandé des slogans appelant Abbas à la démission. La manifestation a eu lieu à l’occasion de l’enterrement d’un Palestinien abattu une semaine plus tôt par des policiers de l’Autorité palestinienne.
Le tollé sans précédent qui a suivi la participation d’Abbas à l’enterrement d’un dirigeant israélien est une preuve supplémentaire du niveau de radicalisation des Palestiniens. La frustration et la rage qui se déclenchent aujourd’hui contre Abbas et sa politique trop « clémente » envers Israël n’ont rien de neuf. La coordination continue entre les forces de sécurité de l’AP et Israël est restée en travers de la gorge de nombreux Palestiniens. Cette « trahison » mais aussi le refus d’Abbas de partager le pouvoir et de ne pas favoriser l’émergence de nouveaux leaders, nourrissent la colère.
Abbas et l’AP portent une lourde responsabilité dans la radicalisation du peuple palestinien. Quand on boycotte Israël, il faut s’attendre à être attaqué quand on s’associe à un Israélien, mort ou vif. Les protestations tendent aujourd’hui à se calmer, mais le message que cet épisode adresse aux dirigeants palestiniens, actuels et futurs, est parfaitement clair : « Pas de paix avec Israël, ni aujourd’hui, ni demain ».
Khaled Abu Toameh, journaliste primé à de nombreuses reprises, est basé à Jérusalem.