Oman, un ami qui vous veut du bien

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Illustration :  Le sultan d’Oman, Haïtham bin Tariq al-Said

Par Francis MORITZ – Temps et Contremps

          Oman est différent de ses voisins. On évoque souvent sa tolérance et son ouverture envers les différentes confessions. L’appartenance de la majorité des habitants à la secte Ibadiyya est une originalité dans la région. Il y a de l’ordre de 2,5 millions d’Ibadis dans le monde dont 2 millions dans le sultanat. De fait l’ile est considérée comme le «pays des Ibadis» face au chiisme en Iran et au sunnisme en Arabie Saoudite. Contrairement à ces pays qui pratiquent une répression religieuse, l’État a légalisé la liberté de religion des Omanis et des visiteurs. Les citoyens ibadites adhèrent aux lois sur la liberté religieuse, ce qui entraîne un nombre extrêmement faible de cas de discrimination. Ce sont plusieurs siècles de tolérance et d’ouverture des échanges avec l’extérieur qui ont forgé la société et ses gouvernants et non pas les derniers développements de la mondialisation.

Depuis mi-aout, la rumeur court que ce sera le cinquième pays à nouer des relations diplomatiques. Or plusieurs paramètres changent. Les Israéliens voteront pour la quatrième fois en deux ans, en espérant trouver une stabilité politique dans une situation qui est instable et critique à tous égards. Donald Trump sera remplacé par Joe Biden qui sera sans doute amené à poursuivre la même politique au Moyen Orient. Une distanciation entre l’Arabie Saoudite et les États-Unis semble se profiler, en raison du conflit au Yémen et surtout si le président-élu veut mettre l’accent sur la morale et les Droits de l’homme. Il aura fort à faire.

Le sultanat fait preuve d’un prudent équilibre. C’est l’un des trois pays de la Ligue arabe à avoir refusé de prendre des mesures contre l’Égypte en 1979, contrairement aux autres monarchies. Il a toujours respecté le droit de l’Égypte d’officialiser ses relations avec Israël. Sa tolérance n’est donc pas de circonstance. Ce qui en fait un pont possible entre les parties en conflit, l’Iran, Israël, les Palestiniens, d’autres États arabes, les États-Unis et la signature prématurée d’un accord pourrait faire échouer ses objectifs pacifiques et diplomatiques avec certaines factions palestiniennes. Alors que ce territoire, réputé ile de la neutralité, fait face à des défis régionaux et nationaux, Mascate temporisera.

Le facteur Iran est essentiel. Oman a toujours été l’État du Conseil de coopération du Golfe (CCG) le plus sensible aux intérêts sécuritaires de l’Iran. C’est le seul membre du CCG à être resté neutre pendant le conflit Iran-Irak (1980-88) et le seul à s’engager dans des exercices militaires conjoint avec l’Iran. Le sultanat a parfaitement compris que les accords d’Abraham sont perçus par l’Iran comme une menace. C’est pourquoi ses dirigeants pratiquent un savant équilibre dans les relations avec Téhéran et Riyad. Les relations omanais-iraniennes anciennes reposent sur le respect et la confiance mutuels. Le nouveau sultan Haïtham bin Tariq al-Saïd, tient à maintenir ses excellentes relations, qu’un accord avec Jérusalem pourrait mettre à mal.

Téhéran se méfie déjà des relations officieuses entre Mascate et Israël, illustré par un rare exemple de critique publique par l’Iran après la visite de Netanyahou à Mascate en octobre 2018. Les autorités ont une démarche constante en vue d’une paix durable, un processus qui implique de nombreuses années de diplomatie discrète. Le plan d’action global conjoint de 2015 a été un résultat de cette politique. Mascate a facilité les pourparlers initiaux entre les États-Unis et l’Iran en 2012-13. Vue par son gouvernement, la normalisation avec Israël, même si elle est souhaitable, serait prématurée. La position actuelle de Mascate est qu’un accord avec Israël nécessiterait un accord de Jérusalem sur l’initiative arabe de paix.

Sa position lui permet de collaborer avec n’importe quelle administration américaine. En retardant la reconnaissance d’Israël, les dirigeants restent fidèles à la continuité de leur politique, Le nouveau ministre des Affaires, Sayyid Badr bin Hamad al-Busaidi, la poursuivra. En 2003, il avait résumé la «voie omanaise» en déclarant : «Nous essayons d’utiliser notre position intermédiaire entre les grandes puissances pour réduire le potentiel de conflit dans notre voisinage immédiat (…) nous pouvons créer un espace pour nos propres actions. Et de plus, et cela me semble crucial, c’est précisément dans cet espace que nous – c’est-à-dire les petits États – pouvons être capables d’agir d’une manière que d’autres ne peuvent pas»

Une déclaration du gouvernement publiée après l’annonce le 11 septembre de l’ouverture par Bahreïn de ses relations avec Israël, caractérise l’approche prudente d’Oman : « Cette nouvelle voie stratégique empruntée par certains pays arabes contribuera à instaurer une paix fondée sur la fin du conflit. L’occupation israélienne des terres palestiniennes et la création d’un État palestinien indépendant avec Jérusalem-Est pour capitale». Son gouvernement attendra de voir comment les accords d’Abraham seront appliqués.

On peut imaginer que les États-Unis et les EAU inciteront leur voisin à franchir le pas, surtout si les difficultés économiques du sultanat s’aggravent. Ce serait confondre vitesse et précipitation. L’État hébreu aurait avantage à conserver le sultanat comme partenaire plutôt qu’un allié soumis aux États-Unis qui perdrait ipso facto son rôle d’intermédiaire. Les Américains devraient soutenir la position de leur partenaire de longue date.

En revanche, comment le nouveau gouvernement traitera-t-il l’Iran ? Le sultan Haïtham bin Tariq a pris des mesures claires vers plus d’ouverture. Les récents changements ont donné une première indication, forte, Il faut se souvenir que l’Iran du Shah a aidé le sultanat à éviter une sécession dans les années 1970. C’est dit-on, un lien fort qui subsiste. De même, les deux pays sont riverains du Golfe persique et se font face.

Les pressions saoudiennes. La rébellion imâmiste, la révolution de la Montagne Verte, la question de l’oasis de Buraymi et le cas récent du gouvernorat de Mahra au Yémen sont autant de préoccupations qui pèsent sur la politique interne. Oman est déjà présent sur la scène diplomatique syrienne. Depuis 1970, le pays n’a jamais rompu les relations avec aucun pays. Par pragmatisme, le seul au sein du CGC qui n’a pris aucune mesure contre Damas.

Le nouvel ambassadeur omani, Turki Mahmoud Al Busaidi, a présenté ses lettres de créances à Damas début octobre. Le sultanat est le premier pays du CCG, depuis 2011, à l’avoir fait. Mascate se positionne comme intermédiaire avec le régime d’Assad pour jouer un rôle éminent dans le rétablissement des relations y compris entre les États-Unis, la Syrie et pourquoi pas Israël et les Palestiniens ?

Collectionner de nouvelles adhésions a certainement des effets médiatiques mais il faut parfois savoir refréner une mise en scène qui risque d’avoir des répercussions sur le long-terme, qu’il faut anticiper. Pour Israël il est sans doute plus avantageux d’avoir Oman comme un ami qui vous veut du bien et avec qui on pourra construire l‘avenir. On ne peut faire la paix qu’avec ses ennemis, car c’est avec eux qu’on fait la guerre. Ce qui est le plus difficile, avec ses amis, c’est de le rester pour ne pas les perdre.

Notes

L’Ibadisme est aussi présent dans certaines régions du Maghreb, notamment dans la région du Mzab en Algérie avec le Kharidjisme (dont est issu l’ibadisme), dans l’île de Djerba en Tunisie, en Libye, ainsi qu’en Tanzanie et au Kenya. Les ibadites ont leur propre école juridique. Ils se considèrent de nos jours comme la cinquième école du sunnisme. L’ijtihad est réservé aux savants et les ibadites ont leurs propres recueils de hadiths.

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