Avocate pénaliste depuis plus de vingt ans, Muriel Ouaknine Melki a récemment été désignée par le frère de Sarah Halimi, aux côtés de Me Oudy Bloch, pour faire avancer le dossier devant la justice. Dans cet entretien exclusif, celle-ci revient sur les derniers rebondissements judiciaires de l’affaire.
Actualité Juive : William Attal, le frère de Sarah Halimi, vous a demandé d’être son avocate aux côtés de Me Oudy Bloch, en raison de votre appartenance à l’association OJE (Organisation Juive Européenne). Quelle est la démarche de cette association ?
M. M. : L’OJE est une association dirigée par Fabien Belhasen, un militant de la première heure dont le parcours est connu et reconnu au sein de notre communauté. Il a décidé de créer cette association en 2014, au lendemain des émeutes qui ont touché Sarcelles et la synagogue de la Roquette pour armer les victimes d’antisémitisme devant la justice. L’OJE est spécialisée dans les questions d’antisémitisme et la lutte contre le boycott d’Israël. Cette association est forte de plusieurs départements, dont une cellule juridique qui regroupe une cinquantaine d’avocats aux quatre coins de la France, dont nous faisons partie avec mon confrère Oudy Bloch. Nous avons une visibilité assez large du traitement de la circonstance aggravante de l’antisémitisme par les tribunaux français et c’est fort de cette expérience que William Attal s’est adressé à nous pour l’aider.
A.J.: Comment avez-vous la conviction que l’assassinat de Sarah Halimi est bien un crime antisémite et non un « fait divers », comme certains s’acharnent à le dire ?
M. M. : Dans le cas de Sarah Halimi, nous sommes convaincus que l’antisémitisme doit être retenu. Pour nous, la manière dont Sarah a été massacrée puis tuée, démontre une haine caractéristique, spécifique, que malheureusement notre expérience dans les dossiers teintés d’antisémitisme nous permet désormais d’identifier assez rapidement.
Les rapports d’autopsie de ces dossiers témoignent de ce déchaînement de haine « gratuite », ce déchaînement de violence inouïe que nous ne voyons nulle part ailleurs.
La veille du meurtre, l’assassin s’est rendu deux fois dans une mosquée bien connue pour son islam radical.
Les propos tenus par l’assassin de Sarah au moment où il la torture sont une preuve de plus s’il en était besoin, de la véritable motivation de ce crime barbare.
La difficulté que nous rencontrons au sein de la justice tient à ce déni d’une certaine partie de nos magistrats qui ne veulent pas nommer les choses.
Il y a comme une présomption d’antisémitisme dont il faudrait tenir compte lorsque les assassins sont connus pour appartenir à la mouvance de l’islam radical.
Nous savons, nous autres avocats qui luttons contre l’antisémitisme que lorsque ce type de profil figure dans l’un de nos dossiers, la motivation antisémite est malheureusement inéluctable.
Déchainement de haine
A.J.: Comment comprenez-vous le fait que la juge d’instruction n’ait toujours pas reconnue la circonstance aggravante d’antisémitisme ? Est-ce de la pure idéologie ? de l’excessive prudence ?
M. M. : Il faut reconnaître quelque chose de particulier dans ce dossier, à savoir, le profil du mis en examen. Cet homme-là a un profil psychiatrique particulier et c’est ce qui conduit la magistrate à différer les auditions qui auraient dû suivre sa mise en examen.
Par ailleurs, une sorte de bras de fer s’est cristallisé autour de cette circonstance aggravante d’antisémitisme. Un bras de fer qui pour le moment, n’a pas permis de faire avancer les choses, ni dans un sens ni dans l’autre, et qui ne permet pas à notre justice de nommer les choses.
Or mal nommer les choses c’est ajouter à la misère du monde. C’est encore plus vrai dans le dossier de Sarah, qui en plus d’avoir été une première fois assassinée par son bourreau, serait assassiné une deuxième fois si la justice refusait de reconnaître le caractère antisémite de son homicide.
A.J.: Un article de l’AFP intitulé « la juge ne donne pas suite à une demande de requalification antisémite » a été interprété comme un rejet de la part de la juge de reconnaître la circonstance aggravante d’antisémitisme… Où cela en est-il ?
M. M. : Contrairement à ce qui a été compris, la juge n’a pas refusé de retenir cette circonstance aggravante. Elle n’a toujours pas répondu au réquisitoire supplétif du parquet, ni dans un sens, ni dans un autre. Elle a rejeté une demande émanant de l’une des parties civiles qui a fait cette demande sur le fond d’un article de procédure pénale qui ne permet pas à la magistrate de lui faire droit. Elle a rendu une ordonnance qui rejette cette demande et qui rejette également la demande de reconstitution des faits également formulée par la partie civile. Le parquet a ensuite fait appel de cette décision.
La chambre de l’instruction aura donc à tenir une audience à laquelle le parquet et tous les avocats des parties civiles pourront être présents et faire valoir leur position.
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