Un manifeste, écrit par Philippe Val et signé par 300 personnalités, s’insurge de la flambée d’un « nouvel antisémitisme », fruit d’un islam identitaire, voire radical, avec la complicité d’une partie des élites françaises – sous le couvert de l’antisionisme –, le tout dans le « silence médiatique ». Alors que le Premier ministre a récemment annoncé un nouveau plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, les signataires réclament que cet antisémitisme, responsable « d’une épuration ethnique à bas bruit », soit une « cause nationale ». Le texte a été signé par des personnalités politiques de gauche comme de droite (Nicolas Sarkozy, Laurent Wauquiez, Manuel Valls, Bertrand Delanoë…), des artistes (Charles Aznavour, Gérard Depardieu…), des intellectuels (Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut, Élisabeth Badinter…), des responsables religieux juifs, musulmans et catholiques.
Dans la presse ce matin, certains éditorialistes s’en félicitent. D’autres sont plus critiques, jugeant que le texte caricatural ajoute de l’huile sur le feu.
La République ne peut pas continuer à fermer les yeux
Hervé Favre défend le manifeste : « À l’heure où la République écarte les œuvres de Charles Maurras et de Louis-Ferdinand Céline du catalogue des célébrations nationales, elle ne peut pas continuer à fermer les yeux sur cette nouvelle forme d’antisémitisme beaucoup moins littéraire, mais tout aussi détestable », écrit-il dans La Voix du Nord.
C’est le cas aussi de Michèle Cotta, dans les colonnes de Nice-Matin : « […] Le péril est grave, immédiat. Pour ceux qu’il vise d’abord, évidemment, ces citoyens juifs qui font partie de la communauté française depuis des siècles et sans qui, comme l’a dit Manuel Valls à la tribune du Palais-Bourbon en 2016, la France ne serait pas la France. Mais aussi pour l’islam modéré, qui ne doit pas laisser sa religion dénaturée, défigurée, par les extrémistes qui parlent en son nom. »
Alain Dusart est plus circonspect dans L’Est républicain : « Val et ses cosignataires inventent le nouvel antisémitisme. Ce dernier, certes inadmissible, n’a rien de nouveau en France. De l’affaire Dreyfus au régime de Vichy. Il s’agit ici de faire porter le chapeau de ce nouvel antisémitisme à l’ensemble des musulmans. C’est caricatural et ridicule, mais le texte n’y va pas par quatre chemins puisqu’il attend de l’islam de France qu’il ouvre la voie, allant jusqu’à demander l’abrogation de versets du Coran, comme si un musulman français, fût-il érudit, emblématique et reconnu, avait la moindre légitimité pour amender le texte sacré. »
Une plaie qu’élargit ce texte sous l’argument de l’alerte
Ironisant sur « des signataires qui n’ont probablement jamais mis les pieds » dans les « no-go zones de nos périphéries », Denis Daumin (La Nouvelle République du Centre Ouest) juge que le texte pointe un « vrai sujet », mais sans le résoudre : « Cette plaie qu’élargit ce texte sous l’argument de l’alerte et sans apporter de remède d’ailleurs, c’est celle de la République laïque qui s’effrite, du choc des communautés portées par la religion, de l’ennemi intérieur prospérant en camouflé, de notre yougoslavisation annoncée. Nicole Belloubet, notre garde des Sceaux, s’est engagée dimanche à un effort de cohésion nationale, nous pouvons respirer », conclut-il cruellement, manière de souligner que, selon lui, la séquence tient surtout de la gesticulation.
Dans La République des Pyrénées, Jean-Michel Helvig pense lui aussi que le texte apporte une mauvaise réponse à une bonne question : « Chacun sait que l’islam n’est pas une Église unifiée où une autorité peut officiellement toiletter un dogme anachronique. Au demeurant le nouvel antisémitisme visé par le texte est porté par des individus qui s’embarrassent peu d’une lecture interprétative de textes séculaires. Plutôt que de se lancer dans une bataille de procédure théologique sans issue, mieux eût valu que l’appel encourage à des initiatives de la société civile – et les artistes en sont des fers de lance – pour dépasser les préjugés antisémites avec des actions réunissant Juifs, Arabes, Chrétiens et bien sûr athées, dans un dépassement commun de préjugés devenus de plus en plus criminels à l’égard des Juifs. »
Une « violence dévastatrice »
Dans une longue analyse sur Slate, le journaliste Claude Askolovitch est encore plus sévère. Certes, il souscrit à la cause de la tribune : « Comment ne pas rejoindre un texte contre l’antisémitisme, quand depuis les années 2000, des Juifs ont subi la violence et l’opprobre ? Comment ne pas saluer un texte qui se scandalise du départ de Juifs de quartiers populaires vers des havres plus apaisés, de Garges vers Sarcelles, de la France vers Israël ? »
Mais il dénonce dans le texte une « violence dévastatrice », qui repose sur un « syllogisme » qui exclut les musulmans de la communauté nationale : « La France, sans les Juifs, ne serait pas elle-même ? Les Juifs, de musulmans, sont les victimes ? La France, par ces musulmans, ne sera plus la France. » Il voit dans cet « étrange texte », « des mots qui voudraient, par force, arracher quelque nouvelle loi, quelque nouvel oukaze, pour faire denos concitoyens musulmans des Français malheureux, dont chacun se méfiera, qui se méfieront de tous ».
Source www.lepoint.fr