Rentrée des classes houleuse en Pologne alors qu’une vaste réforme scolaire suscite la controverse. En plus de la suppression du collège, les nouveaux programmes semblent revisiter l’Histoire afin de glorifier une mythologie nationale.
Rentrée des classes en Pologne sous le signe de la contestation. Les enseignants de ce pays d’Europe centrale étaient en grève lundi, au premier jour de la reprise des cours, contre une vaste réforme scolaire. Des parents d’élèves ont également manifesté devant le ministère de l’Éducation nationale.
La suppression du collège
Cette réforme, adoptée en urgence en début d’année, supprime le collège et repasse à un système à deux niveaux, école primaire et lycée. Une configuration qui existait jusqu’en 1999, et pendant la période communiste, comme le rappelle RFI. Au lieu des six années de primaire, trois de collège et trois autres de lycée, les petits Polonais âgés de 7 à 14 ans fréquenteront donc le même établissement durant huit ans avant quatre années de lycée.
Le texte est vivement contesté. Une pétition, qui a recueilli un million de signatures pour que cette réforme fasse l’objet d’un référendum, a été rejetée par le Parlement, selon la radio et chaîne de télévision allemandes Deutsche Welle. En novembre 2016 déjà, l’annonce de cette réforme avait provoqué des manifestations. Plusieurs dizaines de milliers de personnes étaient descendues dans les rues. Les enseignants s’étaient mobilisés au mois de mars dernier et avaient fait grève, sans succès.
Les programmes axés sur l’héroïsme polonais
Outre la question des suppressions de postes – fermeture de 7000 établissements scolaires et licenciement de 9000 enseignants, selon le puissant syndicat de professeurs ZNP – les enseignants s’inquiètent des nouveaux programmes qui concernent tous les niveaux et toutes les matières. Car, comme l’explique à BFMTV.com Jean-Yves Potel, historien et politologue spécialiste de l’Europe centrale, ils sont désormais axés sur l’héroïsme polonais.
« L’idée centrale c’est de rendre les programmes plus patriotiques dans un esprit nationaliste, tout en écartant les zones sombres. Pour le gouvernement, le travail historique qui a été effectué ces vingt-cinq dernières années sur la Seconde Guerre mondiale permettant de reconnaître les responsabilités correspond à une pédagogie de la honte. Il ne vont pas mentir mais procéder par omission. L’holocauste ne sera pas nié mais l’héroïsme des Polonais qui ont sauvé des Juifs sera exacerbé. Le pogrom de Jedwabne, qui a eu lieu en 1941, sera présenté comme le fait de bandits manipulés par les Allemands, alors qu’il y avait eu une reconnaissance par les autorités polonaises digne du discours de Jacques Chirac pour la rafle du Vélodrome d’Hiver. »
Le rôle de Lech Walesa réduit
Pour ce qui correspond à la classe de 6e, les cours d’histoire ne commenceront plus par Rome et la Grèce antique mais Mieszko Ier, un souverain polonais du 10e siècle. Sans aucune référence au reste du monde. En littérature, une bataille est ouverte: il est question que l’écrivain juif polonais Bruno Schulz, assassiné par la Gestapo, ne soit plus au programme. Autre point non négligeable: Lech Walesa, héros national fondateur du syndicat Solidarité qui a joué un rôle clé dans l’opposition au communisme, prix Nobel de la paix et ancien président, ne sera plus cité en exemple.
« Il ne va pas disparaître des programmes mais n’apparaîtra plus comme un personnage clé, alors qu’il est toujours considéré comme un Panthéon national pour les Polonais », indique pour BFMTV.com Ewa Tartakowsky, du Centre Max Weber à Lyon.
Un projet idéologique nationaliste
La chercheuse assure que d’autres personnages seront promus, comme Roman Dmowski, dirigeant politique de l’entre-deux-guerres, fondateur d’un parti politique nationaliste, qui prônait l’existence d’un État polonais catholique. L’homme est connu pour ses positions anticommuniste et antisémite.
« Le projet idéologique est clair, analyse Frédéric Zalewski, chercheur à l’Institut des Sciences sociales du Politique au CNRS et maître de conférence en sciences politiques à l’Université Paris-Nanterre pour BFMTV.com. Il s’inscrit dans le cadre de la ‘politique historique’ pour construire la légitimité du pouvoir actuel sur une réécriture de l’Histoire. Ce changement de programme est un sous-produit de ce climat d’exacerbation nationaliste. »
Cette ‘politique historique’ vise à tourner la page de l’ère communiste et solder la transition démocratique, qui suscite toujours la controverse. « Contester la manière dont le pays est sorti du communisme, c’est aussi contester l’ordre politique actuel dont les dirigeants du parti conservateur au pouvoir Droit et justice (PiS) avaient été exclus », ajoute-t-il.
Une attaque des acquis démocratiques
Depuis que le nationaliste PiS a pris le pouvoir en Pologne -il a emporté la présidentielle et les législatives en 2015- le pays a amorcé un virage très à droite. À la fin du mois de juillet, le président de ce parti a assuré que la réforme de la justice, dont la controversée réforme de la Cour suprême – accusée par ses détracteurs de réduire l’indépendance de la justice – serait maintenue malgré le veto du président. La commission européenne a appelé à suspendre cette réforme, menaçant la Pologne de possibles sanctions. Les États-Unis s’étaient quant à eux dits « préoccupés » par une législation qui semblait « affaiblir l’état de droit ». En 2016, les conservateurs au pouvoir ont aussi tenté -sans succès- d’interdire totalement l’interruption volontaire de grossesse, déjà fortement limitée.
« Le gouvernement mène des attaques sur les acquis de ces vingt-cinq dernières années aussi bien sur la démocratie, la justice, les médias et maintenant l’éducation, ajoute Jean-Yves Potel. Le gouvernement parle de repolonisation, comme en France le Front national peut vouloir ‘refranciser’. »