La reconstruction de l’Ukraine doit également porter sur la numérisation des institutions étatiques. C’est ce qu’a déclaré le ministre ukrainien en charge de ce dossier, Mykhailo Fedorov, lors de la conférence sur la reconstruction de l’Ukraine à Lugano.
Un ministre de la transformation numérique âgé de 31 ans
Beaucoup d’observateurs et d’observatrices s’attendaient à un effondrement rapide de l’État ukrainien après l’invasion de l’armée russe. Quatre mois plus tard, leurs prévisions n’ont pas été confirmées. «Et nous continuons à faire avancer la numérisation de notre administration malgré les combats», a tenu à souligner Mikhailo Fedorov, le ministre ukrainien de la transformation numérique, à l’occasion de la Conférence sur la reconstruction de l’Ukraine. Le jeune ministre (31 ans) faisait partie de la délégation ukrainienne à Lugano, la plus importante à s’être rendue à l’étranger depuis le début de l’invasion russe. Un message transmis dans le style de communication adopté par les autorités ukrainiennes depuis le début de la guerre: branché, résolument optimiste et multimédia. Sa présentation pourrait facilement passer pour une conférence TED et démontre pourquoi l’Ukraine a gagné la bataille de la propagande, du moins en Occident.
Depuis 2019, Mikhailo Fedorov est responsable de la vitrine numérique du gouvernement: l’application Diia. Grâce à elle, l’ensemble des services de l’État devraient pouvoir être gérés via smartphones d’ici 2024.
Des cartes d’identité numériques
Ce projet ambitieux a dû être adapté très tôt aux exigences de la guerre qui dure depuis 2014. Les personnes déplacées du Donbass et de la Crimée ont pu enregistrer leurs biens dans les territoires occupés ou inscrire les nouveau-nés à l’état civil depuis ces régions. Certains pays voisins de l’Ukraine acceptent depuis peu, lors du passage des frontières et de l’enregistrement dans les centres d’asile, les cartes d’identité numériques des personnes réfugiées qui ont perdu leurs documents dans le chaos de la guerre. L’Ukraine est le premier pays à utiliser pleinement la carte d’identité électronique.
Une plateforme dédiée à la collecte de fonds et une « armée informatique »
Par ailleurs, le ministère dirigé par Mikhailo Fedorov joue également un rôle important dans la collecte de fonds. Avec l’aide de la plateforme United24, par exemple, une collecte de fonds a été lancée pour permettre à l’Ukraine de se procurer des biens militaires et médicaux. Le pays a en effet besoin d’argent. En mars et avril, les exportations ont chuté de moitié par rapport à la même période de l’année précédente. Les dépenses pour la défense et la reconstruction des infrastructures détruites ont augmenté rapidement.
Le changement des priorités lié à la guerre s’est fait rapidement. L’application Diia diffuse désormais des informations, envoie des messages d’alerte et les citoyens et citoyennes peuvent enregistrer les dommages causés à leurs maisons ou s’inscrire pour une aide financière. Même le versement de ces aides se fait via l’application. En outre, les civils peuvent télécharger des images des mouvements des troupes russes dans un chatbot – il s’agit apparemment d’une source d’information de qualité pour l’armée ukrainienne. Mikhailo Fedorov a également évoqué avec fierté «l’armée informatique» composée de volontaires qui aident à contrer les cyberattaques russes et ont piraté des sites web des autorités russes.
L’«État le plus numérique» du monde
À Lugano, Mikhailo Fedorov a présenté l’initiative Digital4Freedom, dont l’objectif n’est rien de moins que de faire de l’Ukraine l’«état le plus numérique» du monde en l’espace de trois ans. Le ministre a parlé d’un plan Marshall numérique nécessaire pour restaurer l’infrastructure bombardée de son pays et la hisser au niveau supérieur dans le monde de la technologie.
Le rôle de la Suisse
Le fait que le coup d’envoi du plan Marshall numérique ait été donné à Lugano est une coïncidence intéressante. En effet, dans le cadre de sa coopération avec les pays de l’Est, la Suisse s’est engagée très tôt en Ukraine, que ce soit dans le cadre de la grande réforme de la décentralisation ou de la promotion de la paix, mais aussi spécifiquement dans la numérisation. Divers projets de cyberadministration devraient faciliter l’accès de la population aux informations et lutter contre la corruption, deux problèmes auxquels l’Ukraine est confrontée de longue date. «Dans certains domaines, nous avons une longueur d’avance sur la Suisse en matière de numérique, a déclaré Mikhailo Fedorov. Mais dans d’autres, nous avons beaucoup à apprendre, par exemple en matière d’instruments financiers numériques ou d’e-démocratie.» Cette visite a été pour lui une bonne occasion de nouer des contacts dans ce domaine. Parmi les 1000 participants et participantes à la conférence, beaucoup étaient issus du secteur économique et de la technologie.
Le jeune ministre n’est pas avare de superlatifs lorsqu’il décrit l’avenir numérique de son pays, et sa vision semble parfois grandiloquente – le pays se trouve en effet au milieu d’une guerre d’usure coûteuse qui mobilise d’énormes ressources. Mais, au moins, il a un plan et Mikhailo Fedorov est certain que ce plan survivra à la guerre.
Jforum – Swissinfo