Par Francis MORITZ
En septembre 2021 à Erbil/Kurdistan. Une conférence, organisée par l’organisation américaine «Center for peace communication» qui se consacre à la paix et à la réconciliation au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, a réuni environ 300 personnes appelant à la normalisation des relations avec Israël. Le gouvernement central a réagi violemment en délivrant six mandats d’arrêt contre certains participants dont l’un contre un des animateurs, l’ex-député sunnite Mithal al-Alusi (notre photo) qui s’était déjà rendu à la Knesset, ce qui était une provocation pour le régime. S’il osait se rendre à Bagdad, il serait immédiatement arrêté et jugé. L’Irak est toujours en guerre avec Israël et se trouve sous l’influence grandissante de l’Iran et ses milices sur place. Le gouvernement central est faible et la collusion entre les deux régimes n’en est que plus prégnante chaque jour.
Juin est aussi la commémoration du pogrom, le Farhud qui eut lieu durant les fêtes de Chavouot 1941 pendant 2 jours à Bagdad et causa la mort de plusieurs centaines de Juifs, entraina des viols, la destruction et le pillage des boutiques et biens juifs.
La rupture était désormais sans retour entre les communautés qui avaient vécu des siècles en harmonie. La communauté juive était sans doute la plus ancienne de la diaspora. A l’heure où la-bien-connue Commission de droits de l’homme de l’ONU, sous l’autorité de Mme Michèle Bachelet, s’apprête a mettre – une fois de plus – Israël en accusation pour «ses mauvais traitements aux Palestiniens», ce qui est manifestement plus facile que de regarder au delà des rives du Tigre ou d’aller visiter les Ouïgours de Chine, le très influent religieux chiite Moqtada el Sadr et son groupe ont présenté au parlement irakien un projet de loi antisémite qui, de doctrine partisane est devenue loi. Il semble que ce soit la décision d’un tribunal irakien qui avait statué que les biens spoliés, sous contrôle du Trésor, devaient être restitués à leur ancien propriétaire juif, qui aura été le point de départ de la proposition de loi. L’Iran a pesé de tout son poids pour son adoption.
L’antisémitisme s’inscrit désormais dans la loi et la loi s’inscrit dans l’antisémitisme. 275 des 329 députés du Parlement ont voté en faveur de la loi anti-israélienne. Les parlementaires kurdes ont aussi voté pour, ce qui est surprenant quand on connait les relations amicales des Kurdes avec l’État juif et leurs relations très difficiles avec le gouvernement central chiite. On considère les Kurdes comme des alliés américains. On sait aussi qu’Israël entretient des liens avec le Kurdistan dont il reçoit notamment du pétrole. Il est même question de fournitures de gaz. On cite aussi l’existence d’une antenne du Mossad.
Il est donc surprenant que la plupart des députés kurdes aient également voté la loi. La situation a changé au Kurdistan. Deux clans, ceux de Barzani et de Talabani font la loi et il y règne le népotisme et la corruption. Rien ne peut se faire sans leur accord. Ce qui explique aussi que les députés kurdes se soient alignés sur la majorité chiite. De plus, la loi votée fin mai a deux faces : la première, anti-israélienne, car tous contacts, toute discussion au sujet d’Israël sont considérés comme des crimes et des actes de trahison, susceptibles d’emprisonnement, voire de condamnation à mort. La seconde d’anti-juive. En effet, lorsque les Juifs irakiens quittèrent leur pays, ils durent renoncer formellement à leur nationalité et furent tous spoliés de leurs biens.
C’est sur ce second point que la loi exclue toute possibilité de dédommagement des citoyens irakiens juifs qui durent tout abandonner pour avoir la vie sauve et promettre un autre avenir à leurs enfants. On estime à 150.000 le nombre de Juifs irakiens qui émigrèrent en Israël. Ils représentaient un tiers de la population de Bagdad. On évalue le nombre d’ayants droit actuel à plus de 500.000 citoyens israéliens.
Donc lorsque l’éventualité de compenser les spoliations a été évoquée, elle a immédiatement provoqué une levée de boucliers, tant des particuliers que des autorités. Les divers partis chiites, incapables de s’entendre par ailleurs, ont découvert grâce à elle un motif d’accord à moindre prix. L’attitude envers Israël est justifiée par la solidarité avec les Palestiniens. Le ministère irakien des Affaires étrangères souligne sa «position ferme et le plein soutien au peuple palestinien». Ce n’est pas nouveau. Déjà pendant la Deuxième Guerre mondiale ce pays avait accueilli à bras ouverts les nazis et leurs méthodes, pensant ainsi pouvoir chasser les Anglais. Ce fut un échec.
Le conseiller de Barzani, Arafat Karam, prédit que la «loi anti-israélienne» creusera encore le fossé entre Bagdad et Erbil. Il a déclaré à la chaîne de télévision Rudaw que les votes des Kurdes pour la loi ne signifiaient pas qu’Erbil rejoignait le chœur anti-israélien. Haider al-Lami, membre de l’ancienne coalition pour l’État de droit dirigée par le Premier ministre chiite de l’époque Nouri al Maliki, a justifié la décision unanime en invoquant des pressions exercées par différents milieux politiques pour qu’ils acceptent de normaliser les relations avec Israël, ce qui, à son tour, a d’autant plus poussé la loi à être votée. En mars, accessoirement, Téhéran a tiré 12 missiles sur Erbil car selon l’Iran, la ville abriterait une antenne du Mossad, qui planifie des opérations en Iran.
Le constitutionnaliste irakien Maitham Handal y voit également un instrument du pouvoir législatif pour subordonner la liberté d’expression aux intérêts supérieurs de l’État. Il a déclaré à la chaîne de télévision Al Hurra que chaque cas devait être traité séparément en vertu du droit constitutionnel car la liberté d’expression était inscrite dans la constitution irakienne. Néanmoins, il voit aussi le danger que la loi puisse servir à faire taire les opposants politiques.
Depuis la guerre en Irak en 2003 et la chute de Saddam Hussein, la situation juridique n’est pas claire. Depuis, les revenus locatifs de l’immobilier juif sont allés aux Brigades Al-Quds iraniennes ; les maisons étant occupées par des membres des milices financées par l’Iran. Surtout, le quartier de Bagdad à Karrada, où cohabitaient Juifs, Chrétiens et Chiites, est désormais contrôlé par des milices chiites. Les inscriptions au registre de la propriété ont été faites à l’aide de documents falsifiés. Ce qui représenterait des milliards que l’État devrait rembourser et serait un échec pour l’Iran qui considère l’Irak comme son vassal. Une seule réserve, la proposition de loi pour entrer en vigueur, doit être ratifiée par le président Saleh, qui est kurde et qui sera soumis à de très fortes pressions.
À propos du voyage à Bagdad : les Juifs furent déportés une première fois à Babylone en -597 avant l’ère actuelle, puis en exil à nouveau en -587 et enfin une troisième fois en -582. On pouvait imaginer que l’Irak, à l’instar d’autres pays arabes, saisirait cette opportunité. Ce ne sera pas le cas. Bagdad est redevenue Babylone et il n’y aura pas de nouveau voyage.