« Ni Gaza, ni Liban – je donne ma vie pour l’Iran ! »

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Depuis le 15 novembre dernier, des millions d’Iraniens protestent contre le régime de Téhéran, après l’annonce de la fin des subventions de l’essence et de la surtaxation des hydrocarbures. Pour Alexandre del Valle, les insurgés dénoncent de plus en plus l’interventionnisme des Pasdarans et des Mollahs au Liban, en Irak ou à Gaza. Les durs de la République islamique sont condamnés à la fuite en avant.

Dans plus d’une centaine de villes du pays, les Iraniens ont manifesté leur colère contre des privations imposées par le régime. Selon l’agence officielle Fars, le bilan s’élèverait à un millier d’arrestations et, d’après Amnesty International, à une centaine de morts (300 selon certains opposants). Il est vrai qu’à cause des sanctions américaines décidées par l’administration Trump depuis la sortie de l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien, Téhéran ne vend plus que 300 000 barils de pétrole par jour, ce qui le rend incapable d’acheter la paix sociale comme auparavant. Faits nouveaux : il y a bien plus de villes touchées (110) que durant les grandes manifestations de 2009 et 2017-18. La violence des manifestants a d’ailleurs surpris (banques, mairies, supermarchés, voitures de police et écoles théologiques brûlées), des forces de l’ordre ayant même été agressées par des chômeurs ou des travailleurs paupérisés. Même des milieux traditionnellement pro-régime comme le Bazar ont été touchés par la révolte.

L’interventionnisme au Proche-Orient dénoncé par le peuple iranien

Et les manifestants ont pour la première fois dénoncé massivement fait que Téhéran dépense des milliards pour le soutien financier et militaire à ses satellites irakiens, libanais (Hezbollah) et de Gaza (Hamas/Jihad islamique), lesquels reçoivent des milliards de dollars chaque année alors que le peuple iranien manque de tout. Rappelons que le financement accordé au Hamas est de 1 milliard de dollars par an et celui du Hezbollah de cinq milliards annuels. La défense du régime syrien a impliqué l’envoi de milliers de combattants iraniens (et de milices chiites d’Irak, du Liban, d’Afghanistan) et l’envoi de dizaines de milliards et d’armes. Au moment même où d’importantes manifestations sévissent au Liban, notamment contre le Hezbollah, le président Michel Aoun et Téhéran, un slogan leur fait écho dans les révoltes iraniennes: “Ni Gaza, ni Liban, je donne ma vie pour l’Iran !” D’évidence, les insurgés iraniens ne supportent plus que la république islamique finance ses « proxys » au Proche-Orient, en Irak ou au Yémen. Pour eux, la cause palestinienne est une importation étrangère arabe contre-nature qui détourne le pays des intérêts nationaux iraniens réels. A la différence du soulèvement de 2009, le régime est ainsi contesté à la fois par les peuples de la région (Libanais) et par les Iraniens.

Ce ras-le-bol ne date pas du retrait américain de l’accord de 2015 et des sanctions renforcées. Si l’accord avait permis à Téhéran – sous Barack Obama – de récupérer des avoirs gelés et de revenir sur le marché international des hydrocarbures, les masses iraniennes ont été scandalisées du fait que le « Hezbollah international » et autres bras armés extérieurs de l’Iran (brigades Al-Qods, légions chiites pilotées par le général Souleimani et ses Pasdarans en Irak ou en Syrie) ont absorbé ces avoirs. La République islamique a en fait raté une occasion de revenir dans le concert des nations. En effet, abandonner le Yémen, le Liban et Gaza et se contenter de soutenir le régime d’Assad et le Hezbollah libanais sans menacer l’Arabie saoudite et Israël à leurs frontières aurait été sage, mais le régime des Mollahs est prisonnier de sa propre rhétorique antisioniste/panislamique qui consiste à rechercher une “profondeur stratégique” en propageant la “révolution islamique” notamment en milieu arabe. En ne sachant pas limiter son champs d’action, le régime risque de tout perdre. D’où la stratégie de “pressions maximales” de Donald Trump visant à le ruiner avec des sanctions renforcées : d’ici six mois, l’Etat iranien ne pourra plus payer ses fonctionnaires, ce qui poussera des millions d’indignés dans la rue. L’idée de Washington est d’obliger le régime à accepter un renoncement définitif au programme nucléaire et balistique et la fin de l’interventionnisme au Proche-Orient en échange d’une levée partielle des sanctions. Toutefois, les Mollahs/Pasdarans ne sont pas encore prêts à renoncer à leurs “acquis stratégiques” au Proche Orient qui ont d’ailleurs coûté la vie de milliers de combattants chiites.

Rivalités entre durs et modérés

L’un des scénarii alternatifs à celui escompté par Trump serait une dérive à la nord-coréenne, qu’a préfiguré la coupure d’internet et les répressions mortelles, car les durs du régime, qui contrôlent l’économie gangrenée par la corruption, ne peuvent rien lâcher. Outre les raisons objectives des manifestations qui expriment un ras-le-bol des masses révoltées que le pouvoir augmente drastiquement les prix à la pompe alors que le pays dispose d’énormes réserves de pétrole et de gaz, la lutte clandestine au sein du pouvoir explique aussi les révoltes. La mesure impopulaire d’augmentation du prix de l’essence voulue par le Guide suprême Ali Khamenei était certes inévitable en raison des sanctions américaines qui étouffent l’économie iranienne : le PIB a diminué de 10 % en 2019 ; les exportations ont chuté de 80 %, le rial est en chute libre ; l’inflation est à 35 % ; le taux de chômage atteint 30 % chez les jeunes. Jamais, pas même pendant la guerre avec l’Irak de Saddam Hussein dans les années 1980, la République islamique ne s’était retrouvée dans une situation économique aussi difficile, selon le FMI. Il est toutefois possible que les durs du régime aient imposé au président Hassan Rohani, supposé “modéré”, des décisions impopulaires afin de l’affaiblir via les manifestations. Khamenei aurait ainsi voulu mettre en difficulté un exécutif qui a longtemps été ciblé par les Pasdaran comme « traître » en raison de l’accord sur le nucléaire iranien négocié par Rohani avec Barak Obama en 2015.

En guise de conclusion…

Le coup de poker du régime consiste à miser sur la non-réaction militaire des “ennemis” israélien et états-unien, que Téhéran essaie de diviser des Européens. Ces derniers sont en effet plus enclins à une “politique d’apaisement” et vivent très mal les amendes/extorsions du Trésor américain permises par des lois extraterritoriales américaines. Le harcèlement anti-israélien par les attaques terroristes pilotées depuis Gaza ou le Liban-Sud par Téhéran paraît stupide, certes, puisque ce choix géo-civilisationnel “pro-arabe” est étranger au peuple iranien, ami millénaire du peuple juif. D’autant qu’il justifie des représailles éventuellement fatales contre Téhéran. Mais le calcul des Mollahs intègre une autre réalité : détruire l’arsenal balistique et nucléaire iranien et renverser le régime par la guerre impliquerait des centaines de milliers de morts (nombre de centrales et missiles étant cachés sous des zones urbaines) ainsi qu’une réaction nationaliste de la part du peuple iranien hostile à toute intervention étrangère. Tel est peut-être le calcul du régime: déclencher une intervention occidentalo-israélienne vouée à l’échec qui créerait des “martyrs” et resserrerait ainsi les liens entre la population et le régime présenté face aux “impérialistes-croisés-sionistes”.

Source www.valeursactuelles.com

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