[Tribune]
La coalition Likoud-sionistes religieux-partis orthodoxes n’avait pas fait mystère de son intention : si elle revenait au pouvoir en novembre 2022, elle réformerait la Cour Suprême. Le constat était établi depuis longtemps (et notamment par des leaders de gauche comme Yair Lapid, président de Yesh Atid) : la Cour suprême occupait une place disproportionnée dans le système démocratique en Israël, elle intervenait abusivement dans un trop grand nombre de domaines et surtout le système de cooptation des juges empêchait le renouvellement idéologique de cet organe-clé du pouvoir politique en Israël. Pour résumer, la droite en avait assez d’être majoritaire en voix, et de constater qu’une fois au pouvoir, en raison de la Cour Suprême, du Procureur général et des conseillers juridiques qui encadrent chaque ministre, elle ne menait jamais qu’une politique de centre gauche.
Une bataille sur deux fronts
Une réforme de ce système pouvait-elle faire l’économie d’une bataille politique ? Non, bien sûr. Sauf que la bataille politique ne s’est pas bornée à l’enceinte de la Knesset, le parlement israélien. Elle a débordé dans toutes les sphères de la société. Elle s’est même internationalisée. Pour bloquer la réforme judiciaire, la gauche s’est dotée d’un cadre idéologique simple et elle a mené la bataille sur deux fronts, intérieur et extérieur.
Le seul précédent connu d’une telle brutalisation médiatique contre un individu a eu lieu aux États-Unis entre janvier 2017 et janvier 2021 : du premier au dernier jour de son mandat, Donald Trump a été insulté, vilipendé, traité de raciste, de criminel, de fasciste, de brute, d’idiot (et on en passe) par la quasi-totalité des médias américains. Éric Zemmour en France a été également diabolisé. Le tour de Benjamin Netanyahou est arrivé.
Les manifestants ont paralysé les rues et l’autoroute nationale ; ils ont brûlé des pneus ; ils ont intimidé les ministres à leur domicile et une foule hurlante a entouré leur voiture ; Mme Netanyahou a dû être exfiltrée par la police du salon où elle se faisait coiffer.
Pour empêcher la réforme judiciaire, la gauche progressiste a développé une stratégie sur deux fronts, intérieur et extérieur. Sur le front intérieur, la brutalisation médiatique de la droite et de Benjamin Netanyahou a été accompagnée de manifestations de masse organisées sur une base hebdomadaire et même bi-hebdomadaire. Les manifestants ont paralysé les rues et l’autoroute nationale ; ils ont brûlé des pneus ; ils ont intimidé les ministres à leur domicile et une foule hurlante a entouré leur voiture ; Mme Netanyahou a dû être exfiltrée par la police du salon où elle se faisait coiffer. Ces mouvements de foule ont alterné avec des prises de positions médiatiques de personnalités politiques, économiques ou militaires qui prédisaient la catastrophe, menaçaient de quitter le pays, de ne plus le défendre, de ne plus investir, etc. Qu’il s’agisse des patrons de la Tech qui promettent de délocaliser leur entreprise, des officiers de l’armée de l’air qui refusent de participer à l’entrainement ou du gouverneur de la banque centrale qui dit craindre la fuite des cerveaux ou le départ des investisseur étrangers… ces prises de position médiatiques accréditaient l’idée que les fous avaient pris le contrôle de l’asile.
Mais la gauche progressiste israélienne disposait également d’une force de frappe internationale. C’est le front extérieur. Les médias et les leaders politiques de gauche ont appelé à la rescousse les organisations juives américaines, les médias progressistes américains (New York Times, Washington Post) et le gouvernement américain lui-même. Cette offensive par l’extérieur réussira au-delà de toute espérance.
Benjamin Netanyahou a été bombardé d’avertissements de l’administration Biden selon lesquels il mettait en péril la réputation d’Israël en tant que véritable démocratie au cœur du Moyen-Orient.
Thomas Friedman publiera des tribunes retentissantes dans le New York Times pour dénoncer la trahison de la démocratie en Israël ou pour appeler les Juifs américains à ne plus soutenir l’Israël de Netanyahou. Des hommes d’affaires juifs comme Michael Bloomberg hurleront au désastre. En France, des leaders juifs influents comme Maurice Lévy feront part de leur « inquiétude ». Finalement, le 12 février, Joe Biden, président des Etats Unis, répond enfin à l’appel de la gauche israélienne et des organisations juives américaines et émet ses premières critiques sur la réforme judiciaire. Haaretz estime que Biden manque de punch sur cette affaire, mas il ne s’agit que d’un début.
La pression américaine va monter inexorablement travers les médias américains, à travers les associations rabbiniques ou de défense des droits de l’homme juives américaines, à travers l’ambassadeur de États-Unis à Jérusalem. « Dans les 48 heures qui ont précédé l’annonce par le Premier ministre Benjamin Netanyahou du gel de la réforme du système judiciaire israélien, son gouvernement a été bombardé d’avertissements de l’administration Biden selon lesquels il mettait en péril la réputation d’Israël en tant que véritable démocratie au cœur du Moyen-Orient » écrit le New York Times.
Le 27 mars, Benjamin Netanyahou jette l’éponge. La veille il a limogé son ministre de la défense qui a réclamé publiquement l’abandon de la réforme. Ce renvoi a provoqué une nuit d’émeutes. Vaincu, Netanyahou annonce une « pause » dans la réforme judiciaire. Le 28 mars Joe Biden presse Netanyahou de l’abandonner totalement et informe la presse qu’aucune invitation de Netanyahou à Washington n’est à l’ordre du jour.
Que le lecteur bien au fait du théâtre politique et médiatique français s’amuse à remplacer « Benjamin Netanyahou » par « Marine le Pen » (ou Éric Zemmour), la Cour suprême par le Conseil constitutionnel, Haaretz par L
e Monde.
Aujourd’hui, la seconde phase de la guerre que la gauche progressiste israélienne mène contre la droite nationaliste a commencé. Dans le New York Times, Thomas Friedmann a commencé à traiter Netanyahou de « fou » dont le « comportement irrationnel met en danger Israël, mis aussi les Etats Unis ». Jusque-là, Bibi était un dangereux fasciste qui attaquait la démocratie, dans cette seconde phase, il est fou. Haaretz commence à parler de son caractère « imprévisible ». Le but est clair, il s’agit d’acculer le premier ministre à la démission. Si sa coalition ne campe pas fermement autour de lui, le chef du Likoud devra partir. Le pays devra alors retourner aux urnes. Une sixième fois en quatre ans.
Que le lecteur bien au fait du théâtre politique et médiatique français s’amuse à remplacer « Benjamin Netanyahou » par « Marine le Pen » (ou Éric Zemmour), la Cour suprême par le Conseil constitutionnel, Haaretz par L
Yves Mamou est essayiste et ancien journaliste au journal Le Monde.