Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps
Beaucoup de questions se posent après l’attaque du Hezbollah sur le mont Dov, les fermes de Shebaa, à la frontière libanaise. L’action de Tsahal a suscité des doutes auxquels les Israéliens ne sont pas habitués. Rien ne s’est passé comme d’habitude et cela amplifie le mystère. Depuis quelques jours de nombreuses troupes blindées avaient été dépêchées à la frontière nord en prévision d’une attaque. L’armée israélienne a contrecarré une tentative d’infiltration d’une escouade de terroristes qui tentait de traverser la frontière. Cette escouade, qui comptait trois ou quatre terroristes, n’a réussi à franchir la «ligne bleue» que de quelques mètres. Ils ont pu ensuite rejoindre leur base de départ, librement, en toute impunité. Des ordres auraient été donnés pour ne pas tirer sur ces assaillants libanais. Cette bienveillance à l’égard de terroristes sanguinaires étonne.
Le Hezbollah et toutes les autres organisations terroristes profitent d’ordinaire de chaque petit incident pour faire preuve de fanfaronnades afin de stimuler l’ardeur de leurs troupes. Ils grossissent souvent l’événement pour se glorifier. Or, mystère, le Hezbollah a nié toute participation à des «accrochages ni à une tentative d’infiltration».
Dans une déclaration sur sa chaîne de télévision al-Manar, le Hezbollah a précisé : «Tout ce que l’ennemi prétend dans les médias sur le fait de contrecarrer une opération d’infiltration du territoire libanais vers la Palestine occupée, ainsi que sur la chute des martyrs et des membres du Hezbollah blessés lors d’opérations de bombardement qui ont eu lieu à proximité des sites d’occupation dans les fermes de Shebaa, est absolument faux».
Trois ou quatre miliciens, qui ne se sont pas vantés d’avoir affronté Tsahal, ont mis en émoi le gouvernement israélien comme s’il s’agissait d’une attaque d’envergure. Des ordres auraient été donnés pour ne pas tirer sur les assaillants libanais et les laisser rentrer chez eux indemnes, pour éviter d’aggraver les rapports avec les Libanais.
Alors, ou bien l’attaque n’a pas eu lieu selon les détails cités et il s’agit du gonflement d’un événement mineur de la part du gouvernement israélien qui cherche à détourner l’attention sur les effets désastreux de la crise du coronavirus, sur les manifestations quotidiennes de rues devant le domicile du premier ministre et sur la situation économique désastreuse. En effet, en cas de danger sécuritaire, les clivages disparaissent et la population se rassemble. En tant qu’expert de la guerre psychologique interne, le Premier ministre est d’ailleurs monté au créneau pour commenter cet incident face un ministre de la défense conciliant et un chef d’État-major discret. Le chef militaire de la région nord n’a fait aucune déclaration alors qu’il lui appartient de commenter les opérations de l’armée.
On a tenu la population en haleine comme si la guerre était presque déclarée alors que ce n’est pas la première fois que l’on connaît pareille situation d’infiltration depuis Gaza ou le Liban. Il est difficile de ne pas croire que cet incident est venu à point nommé pour rehausser le prestige du gouvernement. Le chef adjoint du Hezbollah avait pourtant annoncé la couleur dès dimanche en rejetant la perspective d’une escalade de la violence. Pour Cheikh Naim Qassem : «L’atmosphère n’indique pas une guerre … C’est peu probable dans les prochains mois». Il existe certes une règle de toujours croire aux menaces des ennemis mais ce quarteron de miliciens avait plutôt l’allure de sacrifiés.
Une autre hypothèse à ce déferlement des médias vient à l’esprit. Le Hezbollah n’admet pas l’attaque qu’il a subie parce qu’il n’a pas la volonté de lancer des représailles. Un de ses membres a été tué sur le territoire syrien lors d’une attaque contre les forces iraniennes. L’agence de presse syrienne Sana avait rapporté une attaque contre des «cibles de profondeur», en fait des dépôts d’armes à l’aéroport international de Damas. Le Hezbollah n’a pas donné l’impression de vouloir réagir, au moins sur un plan symbolique. Ni Israël et ni le Hezbollah n’ont intérêt à se lancer dans une guerre comme en 2006. Les deux parties ont donc tendance à minimiser tout incident. Le seul incident sérieux, il y a quelques jours, a été le tir raté de peu contre une ambulance de Tsahal qui avait cependant réussi à évacuer ses blessés vers l’hôpital de Rambam de Haïfa. L’incident avait été clos sans conséquences.
En pleine crise économique et sanitaire au Liban, le Hezbollah subit de fortes pressions populaires et veut éviter tout conflit avec Israël d’autant plus que le Liban est le dernier des soucis du Hezbollah qui reçoit directement ses ordres d’Iran. Or les Iraniens tentent par tous les moyens de riposter aux attaques ciblés contre leurs troupes en Syrie et aux explosions dans l’usine nucléaire de Natanz attribuées à Israël. La passivité du Hezbollah et de l’Iran pourrait cacher des projets plus inquiétants. Mais ce ne sont pas les vantardises de l’ancien ministre de la défense, Naftali Bennett, qui «auraient changé les règles du jeu en Syrie». Il est certain que les Iraniens ont imposé le comportement du Hezbollah.
Selon des informations de source militaire, après la démonstration de force de matériel militaire et le déplacement de milliers de soldats israéliens à la frontière libanaise, les Israéliens ont voulu réduire les risques de conflit en se montrant plus discrets. Les forces ont été éloignées et les bâtiments évacués. Israël a tout fait pour ramener la situation à la normale pour ne pas provoquer le Hezbollah. En fait il existe une sorte de dissuasion mutuelle. Cela explique que le mouvement chiite démente sa tentative d’intrusion sans pour autant renoncer à venger la mort d’un de ses membres sans en donner les modalités.
Un doute subsiste sur le comportement de Tsahal après l’intrusion d’une commando le 27 juillet vers 15 h 30. L’armée leur a permis d’évacuer le champ de bataille, sains et saufs, alors qu’un Palestinien muni d’un couteau est immédiatement abattu. Le porte-parole de Tsahal, le lieutenant-colonel Jonathan Conricus, a déclaré : « Nous les avons surveillés grâce à nos observateurs de terrain, notre renseignement et nos caméras. Juste après qu’ils aient franchi la ligne bleue, nous avons ouvert le feu. Nous avons été capables de déjouer l’attaque. Nous avons confirmé visuellement que les terroristes sont retournés au Liban ». Ouvrir le feu sans toucher l’ennemi n’entre pas dans les habitudes de Tsahal. Mais cela a permis à Netanyahou d’occuper les premières pages des médias pour s’élever contre le Hezbollah qui «joue avec le feu» selon lui. Une bonne manière de montrer qu’il contrôle seul la situation.
Cet incident sans blessés ni morts a donné l’occasion au Hezbollah de confirmer que «Israël avait fabriqué un affrontement frontalier» et que «notre réponse au martyre du frère moudjahid Ali Kamel Mohsen – qui a été martyrisé dans l’agression sioniste à la périphérie de l’aéroport international de Damas – arrive définitivement et les sionistes n’ont qu’à attendre la punition pour leurs crimes». L’hypothèse la plus probable reste que le Hezbollah prépare une réponse plus significative tout en excluant un conflit à grande échelle. Peut-être a t-il appris des Israéliens la guerre psychologique puisqu’il laisse le doute s’installer et l’inquiétude se répandre en Israël..