Le procès de l’attentat au Musée juif de Belgique suit son cours. Après avoir témoigné durant six jours sans interruption et contradiction possible, les enquêteurs et les juges d’instruction répondent ce mardi aux questions du jury, des parties civiles (victimes), du ministère public (accusation) et des avocats de la défense.
Aucun élément n’indiquait que les époux Riva allaient se rendre au musée
Le procès a repris avec l’avocat de Miriam et Emanuel Riva. « Nous avons entendu M. Nemmouche nous dire qu’il fallait être patient, qu’il s’exprimerait plus tard. Va-t-il affirmer que les époux Riva ont été victimes d’un assassinat ciblé ? »
L’avocat a alors posé cette question aux juges d’instruction: « Existe-t-il un élément quelconque dans l’enquête qui laisse penser que Monsieur et Madame Riva avaient rendez-vous au musée ce jour-là ? » « Non », répond une juge d’instruction, « aucun élément n’indiquait que les époux Riva allaient se rendre au musée juif de Belgique. »
Par sa question, et la réponse induite, l’avocat a voulu montrer que la famille Riva ne pouvait pas avoir été victime d’un assassinat ciblé puisque sa présence sur les lieux de la fusillade n’était pas prévisible.
L’avocat qui représente les membres de la famille de Dominique Sabrier, bénévole au Musée, s’est ensuite exprimé. Nemmouche a toujours affirmé que lorsqu’il a trouvé la Kalachnikov dans le sac, il l’a examinée pour voir si elle était verrouillée. L’avocat demande alors au douanier qui a procédé à l’arrestation si l’arme était verrouillée. « Le fusil d’assaut et le revolver étaient chargés et prêts à l’emploi ». La juge d’instruction a finalement ajouté: « On a sécurisé ces armes après l’arrestation. Il n’y a de sécurité que lorsqu’on enlève les munitions.
L’avocat a, par sa question et la réponse induite, montré que Medhi Nemmouche avait manipulé les armes pour une autre raison que les principes de prudence avancés par la défense.
Mehdi Nemmouche connaissait les surnoms des kamikazes des attentats de Bruxelles
La juge d’instruction Berta Bernardo Mendez a confirmé que des policiers avaient surpris une conversation entre Mehdi Nemmouche et Salah Abdeslam à la prison de Bruges le 22 mars 2016. Mehdi Nemmouche commentait à l’attention de Salah Abdeslam ce qu’il était en train de voir à la télévision concernant les attentats de Bruxelles, en citant les surnoms des kamikazes et des suspects.
La juge d’instruction a confirmé cette information, en réponse à une question de Me Michèle Hirsch, conseil du Comité de Coordination des Organisations Juives de Belgique (CCOJB).
« Si je résume, les enquêteurs en charge du dossier des attentats de Paris se trouvent dans le quartier de haute sécurité de la prison de Bruges pour y interroger Salah Abdeslam. Les détenus peuvent parler d’une cellule à l’autre et les enquêteurs entendent une conversation entre Mehdi Nemmouche et Salah Abdeslam. Mehdi Nemmouche relate ce qu’il est en train de voir à la télévision et transmet les informations du journal télévisé. Il dit: Brahim et Sofian de Schaerbeek sont morts à l’aéroport. Ils cherchent l’homme au chapeau. La troisième bombe a été retrouvée intacte à l’aéroport« , a relaté la juge.
« Mehdi Nemmouche est en effet capable de donner les surnoms. Je confirme que Sofiane de Schaerbeek est le surnom de Najim Laachraoui et que ce nom ne figurait pas encore dans la presse« , a-t-elle précisé.
L’avocat de Nemmouche : les images sont « manipulées »
Me Courtoy, conseil de Mehdi Nemmouche, a réitéré son argumentaire sur un « trucage » des images de vidéo-surveillance du Musée juif de Belgique. Il affirme que des lunettes sont visibles sur le visage du tueur au début de la scène, avant de « disparaître » à un moment. Me Courtoy, qui a interrogé les juges d’instruction et enquêteurs, estime que les lunettes sont bien visibles et que cela serait clair pour tout le monde si les images étaient visionnées sur un « petit écran« . « Je pourrais alors me rasseoir« , a-t-il ajouté, pour souligner que cet élément prouverait l’innocence de son client. Les images sont « manipulées« , a martelé l’avocat.
« C’est grave de dire que les policiers font des faux, il faut des éléments« , a souligné de son côté la présidente de la cour. « Ce qui est grave, c’est ce que je dois constater. Je suis responsable de la vie d’un homme« , a répondu Me Courtoy.
L’enquêteur en charge des images a, lui, une nouvelle fois confirmé qu’elles étaient scrupuleusement identiques aux originales, sans modification. « Plus la résolution est mauvaise, plus votre cerveau fait des suppositions« , a-t-il commenté.
L’avocat de Mehdi Nemmouche avait soulevé ce « problème » dès la première chambre du conseil, a-t-il encore dit. La juge d’instruction a confirmé cette affirmation et précisé qu’elle avait dès lors demandé une expertise supplémentaire pour y répondre. « Normalement on ne fait pas ça, normalement on croit les (enquêteurs) qui déposent sous serment« , a-t-elle taclé.
Face à l’étonnement de la présidente quant à son absence de demande de récusation des enquêteurs ou de la juge d’instruction s’il les jugeait partiaux, Me Courtoy a répondu que « la seule chose qui peut (le) sauver, c’est un jury populaire« .
Me Courtoy a également interrogé les témoins sur les raisons pour lesquelles certains devoirs n’ont pas été faits, notamment tenter de savoir si l’auteur de l’attentat n’a pas fui en voiture ou encore leur a demandé de confirmer que deux ADN inconnus avaient été décelés sur l’intérieur des deux morceaux de la crosse du revolver.
Toucher une porte sans laisser d’ADN
Plus tôt dans la journée, la tension est montée d’un cran entre le procureur fédéral et la défense de Nemmouche.
Le procureur fédéral, Yves Moreau a tenté, par certaines questions de devancer les arguments de la défense de Nemmouche, qui a annoncé soutenir la thèse d’un complot, d’une enquête manipulée dont le principal accusé serait la victime. Il a ainsi demandé à revoir les images de l’intervention des douaniers qui ont interpellé Mehdi Nemmouche à Marseille le 30 mai 2014, visant à démonter l’hypothèse d’une arrestation « préparée ».
« On voit arriver les militaires et on remarque que l’arrestation n’a pas été préparée », note le procureur. « De plus, si cela avait été une souricière, je suppose qu’on n’aurait pas laissé les badauds, dont des enfants, à proximité. »
Le procureur s’est ensuite attaqué à l’absence de l’ADN de Nemmouche sur la poignée de la porte du musée. La défense de Mehdi Nemmouche utilise l’absence de trace de l’accusé sur cette porte pour affirmer qu’il n’est pas le tueur.
Il a donc demandé à l’enquêteur si Emanuel Riva, tué le jour de l’attentat, portait des gants. Ce que l’enquêteur dément. Le procureur demande alors la diffusion des images de vidéosurveillances sur lesquelles on aperçoit Emanuel Riva qui touche la poignée de la porte du musée, pratiquement au même endroit que le tueur un peu plus tard. « On ne retrouve pas de trace d’Emanuel Riva sur cette poignée de porte, ni de trace de Mehdi Nemmouche. »
Le procureur fédéral a donc voulu montrer ici qu’on peut toucher une porte sans laisser de trace ADN.
« La téléphonie de guerre »
Le procureur fédéral a ensuite posé ses questions. Le procureur fédéral (ministère public) soutient l’accusation et demande l’application de la loi. Il lui appartient d’apporter la preuve de la culpabilité des accusés et, si le jury le suit, de réclamer une peine.
Le procureur a posé des questions aux enquêteurs concernant les numéros de téléphone utilisés par Nacer Bendrer en 2014, ce que les enquêteurs appellent « la téléphonie de guerre », autrement dit l’usage de multiples numéros et téléphones par le milieu criminel afin de brouiller les pistes. Nacer Bendrer est accusé d’avoir fourni des armes à Mehdi Nemmouche.
Cette période est importante pour l’enquête car c’est en avril 2014 que Nacer Bendrer vient à Bruxelles à la demande de Mehdi Nemmouche, puis que Mehdi Nemmouche se déplace à Marseille où il voit Nacer Bendrer.
Interpellé par la présidente de la cour au sujet de l’utilisation de plusieurs numéros d’appel un jour d’avril 2014, Nacer Bendrer a affirmé avoir sans doute dû changer de téléphone « à cause d’un problème de batterie ». Le procureur a alors demandé aux enquêteurs de détailler les éléments de téléphonie répertoriés. Il est apparu que le téléphone dont la batterie aurait pu être déchargée selon l’accusé a bien fonctionné ce jour-là.
Difficultés à retracer le parcours de la Kalachnikov
La journée a commencé par les questions des jurés aux policiers et responsables de l’enquête. Douze jurés effectifs et anonymes composent le jury de la cour d’assises. Ils doivent veiller à ne pas laisser transparaître d’opinion personnelle à propos de la culpabilité ou de l’innocence des accusés ou de la valeur d’un élément de preuve. « Si tel était le cas, je devrais vous couper », avait prévenu lundi la présidente de la cour d’assises.
Un premier a interrogé un enquêteur concernant la téléphonie, un second a demandé des précisions au sujet de pistes françaises refermées par les enquêteurs. Concernant l’origine de la Kalachnikov, retrouvée en possession de Nemmouche lors de son arrestation, les enquêteurs ont exprimé les difficultés à retracer son parcours.
« Une analyse graphologique a-t-elle été réalisée en rapport avec les inscriptions visibles sur le drap (le drap qui apparaît notamment dans les vidéos revendicatrices de l’attentat, avec des inscriptions en langue arabe) »?, interroge ensuite un autre juré.
« Non, l’écriture est nécessairement déformée sur un drap. Donc même avec une éventuelle participation de Mehdi Nemmouche pour réaliser une analyse de ce type, cela aurait été compliqué. »
Source www.rtbf.be