En juin 1967, après la victoire éclair d’Israël sur ses ennemis, la fureur du monde arabe toucha Aden, petite colonie britannique à la pointe sud-ouest de l’actuel Yémen, sur la péninsule arabique. La florissante communauté juive d’alors – déjà très appauvrie – allait encore être une cible.
« Je n’ai jamais vu une telle haine et une destruction délibérée » raconta un survivant. « Même les jeunes Arabes hurlaient qu’ils voulaient nous tuer. C’était horrible ».
Trois Juifs piégés dans le districit Kraytar du port d’Aden furent attaqués par une foule armée ; deux d’entre eux furent sauvagement assassinés, tandis que le troisième a été retrouvé vivant, mais pouvant à peine respirer.
Pour ceux qui sont assez âgés pour se souvenir, l’histoire semblait alors se répéter.
Vingt ans auparavant, à la suite du vote de l’ONU sur le partage de la Palestine, les entreprises juives, les magasins, les maisons furent attaquées à Aden. Deux écoles juives furent incendiées. Au bout de trois jours de violence en décembre 1947, plus de 80 Juifs furent assassinés.
« Ce n’étaient pas des émeutes, mais des meurtres » se souvient Joseph Howard, qui était alors un enfant.
Une commission d’enquête britannique sur les troubles a conclu par la suite que les tirs de soldats à la gâchette facile de l’Aden Protectorate Levies – une force militaire arabe formée et armée par les Britanniques pour protéger sa colonie – étaient responsables de la plupart des morts juifs. Ces forces locales, conclut l’enquête, étaient favorables aux émeutiers et n’ont pas tenté de les contenir. L’enquête recommande de stationner des troupes britanniques de façon permanente dans la colonie.
Pour la Grande-Bretagne, qui enjoignait les pays arabes à protéger leur population juive locale au moment même où elle échouait si manifestement à le faire, ces événements furent une source considérable d’embarras.
A l’été 1967, la Grande-Bretagne a eu l’occasion de se racheter. Le soleil se couchait sur l’Empire britannique ; le gouvernement d’Harold Wilson était sur le point de retirer ses forces d’Aden, une des dernières colonies britanniques, mettant ainsi fin à 128 années de domination britannique.
Les quatre dernières années de cette domination – qu’on appelle « l’Aden Emergency » [état d’urgence d’Aden] – ont été particulièrement sanglantes, alors que l’Angleterre et l’armée de sa nouvelle Fédération d’Arabie du Sud combattaient contre l’insurrection menée par le Front de Libération Nationale (FLN) et le Front pour la Libération du Yémen Sud Occupé (FLOSY).
En 1967, la population juive d’Aden s’était réduite à seulement quelques centaines d’âmes, comparée à 4 500 en 1945. Les tensions grandissant au Moyen-Orient les semaines précédant la guerre des Six Jours, des attaques contre les maisons et magasins juifs eurent lieu. Avec le déclenchement du conflit, les Juifs se massèrent à Tawahi, un quartier de la ville qui abritait le gouverneur britannique et l’un des endroits les plus sûrs à Aden, où les troupes britanniques les protégèrent.
Le sergent britannique Dougie Skilbeck, qui a aidé les Juifs d’Aden à sauver un rouleau de la Tora durant leur évacuation.
Dougie Skilbeck, un des soldats, avait alors 24 ans. Cinquante ans après, il divulgue un récit admirable de sagesse et de bravoure, qui contribue peut-être à clore sur une bonne note le chapitre des relations britanniques avec les Juifs d’Aden.
Malgré son jeune âge, le sergent Skilbeck n’était pas un novice. Appelé du Yorkshire dans le nord de l’Angleterre, il a rejoint le régiment Lancashire à l’âge de 15 ans. Quand il est arrivé à Aden début 1967, il avait déjà servi au Swaziland, puis dans la colonie britannique en Afrique du Sud.
On avait donné peu d’information aux soldats concernant la population juive assiégée et Skilbeck ne savait même pas, au début, qu’il y avait des tensions. Il se souvient dans un premier temps d’une ville « calme, pacifique et plutôt sympa », avant que les choses deviennent « amères ».
Basé au camp de Radfan dans le désert, le peloton de Skilbeck devait protéger la population juive et aider à préparer leur évacuation, organisée à Londres par Barnett Janner, un député travailliste juif et ancien président du Conseil Représentatif des Juifs Britanniques.
Skilbeck se souvient de beaucoup de Juifs qui vivaient dans les arrières-boutiques à Tawahi ou à l’hôtel Victoria, propriété d’un Juif, en attendant leur évacuation par avion.
L’atmosphère était « extrêmement tendue et pénible pour la population juive » dit-il. « Ils avaient été la cible des Arabes et certains d’entre eux avaient été humiliés, voire même tués ».
Alors qu’ils se préparaient à partir, certains avaient laissé des affaires en cours. Ils se tournaient vers Skilbeck pour demander de l’aide. La veille de l’évacuation, un rabbin l’a approché.
« Il m’a imploré de l’aider à sauver les rouleaux saints de la Tora » rappelle-t-il.
C’était une mission pleine de danger. Les rouleaux se trouvaient à Kraytar, secteur alors contrôlé par les guérillas du FLN et de FLOSY, et donc pas seulement une zone interdite pour les Juifs, mais aussi pour les Britanniques.
Skilbeck et un autre soldat anglais ont été d’accord pour l’aider. Il avait une raison simple de le faire : c’est en Allemagne qu’il a eu sa première affectation militaire, et il était stationné dans la même caserne que son père à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
« Je savais beaucoup de choses sur ce qui s’était arrivé aux Juifs en Allemagne, et j’ai ressenti une grande pitié en voyant que les Juifs étaient de nouveau persécutés. Insensé ou non, j’étais jeune mais je voulais aider si je le pouvais » raconte Skilbeck.
A la nuit tombée, les deux soldats anglais, le rabbin et deux Juifs l’accompagnant prirent la route de Kraytar. Skilbeck, qui n’était pas en service à ce moment, conduisait un minibus militaire banalisé qu’il avait emprunté pour cette mission « totalement non officielle ». Ignorant la route, le rabbin le guidait.
Heureusement, le minibus n’a pas été arrêté aux différents checkpoints par lesquels il est passé lors de ce voyage de 30 minutes « extrêmement tendu ».
« On aurait pu nous ordonné de faire demi-tour, ou nous saisir le véhicule. Avec la mitrailleuse sur nos genoux, ils auraient pu facilement ouvrir le feu, ne sachant pas qui l’on était » ajoute Skilbeck.
Quand ils arrivèrent, Kraytar était plongé dans l’obscurité et semblait désert. Ils s’arrêtèrent à la synagogue – dans laquelle les Arabes avaient tenté sans succès de s’introduire – et il monta la garde devant tandis que les autres pénétraient à l’intérieur.
A ce stade, Skilbeck admet qu’il a commencé à se poser des questions : « Qu’est-ce que je suis en train de faire ici ? Pourquoi fais-je cela ? »
Son malaise grandit quand il entendit une voix de l’autre côté de la rue lui demandant : « Qu’est-ce que tu fais là ? » Encore aujourd’hui, Skilbeck est perplexe sur l’origine de cette voix, mais il pense qu’elle appartenait à un membre de l’unité SAS – une unité d’élite britannique – qui était encore présente à Kraytar à ce moment-là.
Environ 20 minutes plus tard, Skilbeck a entendu un fusil mitrailleur tirer à l’aveugle et des balles filer à toute vitesse en bas de la rue.
Le groupe avait sauvé trois rouleaux et voulaient en récupérer davantage, mais les hommes se sont engouffrés dans le minibus et ont foncé vers Tawahi. En regardant en arrière pendant leur fuite, ils virent que la synagogue avait commencé à prendre feu.
« Nous avons eu une chance incroyable et D’ devait être en notre faveur » pense Skilbeck.
De retour à Tawahi, ils allèrent dans un magasin de tissus où de nombreux Juifs s’étaient rassemblés. Quand le rabbin sortit les rouleaux, se souvient Skilbeck, les femmes et les hommes dans la pièce furent bouleversés, beaucoup éclatant en sanglots et enlaçant les deux soldats anglais. « C’était tout simplement une très belle leçon d’humilité » dit-il.
Skilbeck et son ami ne repartirent pas les mains vides. Le propriétaire du magasin leur donna sa clé, leur disant « de prendre ce qu’ils voulaient, demain, quand nous serons partis, les Arabes viendront et pilleront tout de toute façon »
« Je ne pouvais pas refuser », en rit Skilbeck. « Nous avons pris pas mal de choses, des chemises, des chaussettes, des sous-vêtements, et les avons mises à l’arrière du minibus pour rentrer à notre caserne ».
Le jour suivant, Skilbeck prenait part à l’escorte qui a transporté les membres de la communauté juive de Tawahi à l’aéroport et en sûreté. Ironiquement, leur voyage vers la liberté les a d’abord emmenés à Téhéran. Vingt réfugiés trouvèrent refuge en Israël, 80 autres allèrent à Londres, où ils furent accueillis à l’aéroport par Janner.
De nombreux réfugiés ont par la suite honoré Abraham Marks, un enseignant formé en Angleterre et devenu directeur de l’école juive Selim d’Aden dans les années 50. En 1967, il était revenu en Grande-Bretagne où il était directeur exécutif du Conseil Représentatif. Pourtant, à ce moment de grand péril, il retourna à Aden faire du porte à porte pour accompagner ses anciens voisins en lieu sûr, à l’hôtel Victoria avant leur évacuation.
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