Michel Onfray : « Face au Hamas, pourquoi la gauche a-t-elle abandonné son combat contre la torture ? »

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TRIBUNE – D’Henri Alleg pendant la guerre d’Algérie à Michel Foucault, les grandes figures de gauche ont toujours dénoncé l’usage de la torture. Avant que les exactions du Hamas ne les rendent aveugles à ce fléau, déplore le philosophe.

« Quand la gauche était de gauche, l’un de ses marqueurs était la critique de la torture. Mais c’était avant que le nihilisme ne la contamine. La voilà désormais qui, comme au bon temps de la Sainte Inquisition médiévale, fait l’éloge de la « question » en estimant qu’elle est un moteur efficace de la réalisation de l’Histoire, efficace et … éthique car progressiste !

C’est en effet Beccaria, philosophe des Lumières, qui, avec son traité « Des délits et des peines », a réglé son compte à la torture en estimant qu’elle était indigne de l’homme. Il y eut ensuite un cortège de progressistes pour la critiquer, du Henri Alleg qui en stigmatise l’usage pendant la guerre d’Algérie avec « La Question », au Michel Foucault de « Surveiller et punir » qui ouvre son livre sur une description minutieuse du supplice de Damiens, en passant par le combat d’un Robert Badinter canonisé depuis l’abolition de la peine de mort en 1981 et bientôt panthéonisé pour avoir offert à la gauche ce qui reste de notable après son exercice calamiteux du pouvoir, la « gauche » n’a pas manqué de pourfendeurs de la torture.

Désormais, la gauche, qu’elle soit radicale – c’est elle qui théorise et légitime l’infamie – ou sociale-démocrate alliée sur le principe de la soumission électoraliste intéressée, tolère ce qu’elle a abhorré chez Massu, Aussaresses ou Le Pen. Quant à ceux qui comparent ce mouvement à la Résistance, doit-on comprendre qu’ils considèrent l’usage de la torture non pas comme un mal nécessaire mais comme un bien désirable en tant que tel, non pas au nom de la raison d’État mais au nom du ressentiment antisémite ?

La preuve : le chœur des « progressistes » ne tarit pas d’éloges sur les terroristes du Hamas, transfigurés en saints du palestinisme, en héros de la Résistance au sionisme mondial, qui pratiquent la torture, la scénarisent, la théâtralisent dans des cérémonies retransmises en mondovision comme il y en eut à Nuremberg, et qui permettent au pouvoir de montrer sa puissance par sa cruauté. Chaque scénographie de libération des otages met en scène le sadisme des maîtres qui, armés jusqu’aux dents, dissimulés par des lunettes noires et des cagoules, transforment en marionnettes leurs esclaves sortis des geôles et jouent avec eux comme des guépards avec des antilopes. La terreur anime ceux qui ignorent probablement si on ne va pas les exécuter en public lors de cette fête morbide initiée avec de l’humiliation.

À quoi riment en effet ces séances de signatures retransmises sur les chaînes mondiales, ces attestations de libération tenues comme un diplôme un jour de remise des prix dans une école, le tout sous le regard de photographes, de vidéastes ou de pilotes de drones qui fabriquent les images de cette humiliation afin d’édifier le monde entier ? À quoi riment ces sacs en papier dérisoires qui, dit-on, contiennent ce qu’on emporte avec soi quand on effectue un voyage en voiture ou en train ? Une feuille de papier dans une main, un sac en kraft dans l’autre, tenu par le bras, saisi à l’épaule, retenu à la taille, l’otage est mené dans la foule hystérique pour un trajet dont il ne sait pas s’il va aboutir à un peloton d’exécution. Ou à autre chose à redouter.

Le Hamas pratique les tortures physiques. Enlèvement donc, coups et blessures volontaires, viols, mutilations, privation de soins et de médicaments, de chirurgies après les blessures qu’ils ont infligées, séquestration, encagement, privations sensorielles en infligeant une vie sous terre pendant plus d’une année, une vie d’animal dans un terrier. Parmi d’autres horreurs indicibles, des images tournées par les terroristes eux-mêmes ont fait le tour du monde et montré du sang, des larmes, des pantalons souillés par le sang, l’urine et les excréments. La faute de ces otages ? Être juifs. C’est tout, rien d’autre.

On ne sait combien d’otages reviendront dans des cercueils scellés. Il sera dit par les communicants du Hamas qu’ils auront été tués par les bombardements israéliens, bien sûr. Les Juifs ne sont-ils pas coupables de tout ? Surtout d’être juifs. Saura-t-on jamais, après une putréfaction d’un an, quels sévices ces femmes et ces hommes, sinon ces enfants, auront subi ? Des tortures qui tournent mal ? Des exécutions volontaires après raffinements dans la sauvagerie ? Des abattages en règle comme ceux de la Shoah par balles ?

Le Hamas pratique des tortures psychiques. Toutes les cruautés corporelles entraînent des dommages psychologiques. Qui douterait qu’être esclave sexuelle ne détruit pas autant une âme qu’une balle dans le cœur anéantit une chair ? Que peut bien signifier prendre en otage un enfant de 9 mois pour faire de telle sorte que sa vie ait été plus longue en captivité qu’auprès de ses parents ? Kfir Bibas, qui a 2 ans, a célébré ses deux anniversaires dans une geôle. Le Hamas affirme qu’il est mort tué par Tsahal, évidemment.

On sait qu’il y a eu des simulacres d’exécution : qui peut imaginer quelle destruction de l’être s’ensuit ? Que reste-t-il de cet être sinon ? En même temps, il y eut des simulacres de libération. Je te tue, non, je t’épargne ; je te libère, non, je te garde : aucun animal n’a jamais pratiqué ce raffinement dans la barbarie. Aucun serpent, aucune mygale, aucun saurien. On sait également que des femmes ont été utilisées comme des esclaves domestiques : faire la cuisine, la vaisselle, le ménage, des tâches considérées comme humiliantes, donc, dont les textes coraniques nous expliquent pourtant que ce sont les devoirs des femmes.

Sur la bâche qui sert de fond de scène à cette théâtralisation des libérations d’otage, on peut lire, en anglais, quelques slogans, dont celui-ci qu’étrangement la presse ne commente jamais : « Le nazisme sioniste ne gagnera pas ».

Le sionisme, un nazisme ? Où sont les camps d’extermination juifs avec leurs fours crématoires où périraient méthodiquement, systématiquement, quotidiennement, des Palestiniens ? Où sont les rafles de tous les Arabes palestiniens qui vivent en Israël et sont enseignants, médecins, pharmaciens, commerçants, artisans, imams, etc. ? Pourquoi entend-on toujours l’appel du muezzin du haut d’un minaret de Tel-Aviv ? Ou de Jérusalem ? Imagine-t-on des synagogues actives dans l’Allemagne nazie ? Où sont les bombardements massifs de la Cisjordanie pour la rayer de la carte ? Quid de la rafle mondiale des Palestiniens pour les envoyer dans des chambres à gaz ? Et quels lieux pour cette extermination ?

En revanche, les tortures physiques et psychiques étaient le lot du régime national-socialiste. Des femmes, des enfants, des vieillards maltraités, torturés, tués, du simple fait qu’ils aient été juifs, ce fut le cas du nazisme, c’est même sa signature. C’est aujourd’hui celle du Hamas. Qu’à gauche on puisse accepter la torture d’un enfant de 2 ans coupable d’être juif montre ce qu’est devenue la religion du progrès, un poison qui agit à rebours du progrès ! Voici venu le temps d’une régression présentée comme un grand bond en avant – mais c’est un grand bond vers l’abîme éthique et politique ».

© Michel Onfray (notre photo)

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