La Croix : Comment vous êtes-vous intéressé à la question des Juifs dans le Coran ?
Meir Bar-Asher : D’origine juive, je me suis intéressé à ce que l’islam a à dire sur la religion qui est la mienne. Ce travail aide à éclairer un domaine qui est au cœur des relations entre les Juifs et les musulmans. Le conflit israélo-arabe évoque évidemment ces questions, et je me suis demandé qu’elle était l’origine de tout cela.
J’ai essayé d’expliquer ces questions dans toute leur complexité, historique et théologique, de la manière la plus objective possible.
Des préjugés existent des deux côtés, du côté de ceux qui disent que le Coran recommande de tuer les Juifs, comme de ceux qui mettent en avant la conception de la dhimma, le régime de protection accordé aux non-musulmans sous domination de l’islam.
De quelle manière est-ce que le Coran nourrit cette ambivalence ?
M. B.-A. : Dans le même Coran, on trouve des versets qui parlent de façon très positive des Juifs, et d’autres très négatifs. À ses débuts, Mohammed était très positif sur les « fils Israël » (terme décrivant les Juifs à l’époque biblique, évoquant leur élection par D’). Puis sa relation avec les Juifs se détériore, et cela se reflète dans le Coran.
D’un côté, l’islam voit le judaïsme comme l’une de ses sources ; et d’un autre côté, on trouve des accusations disant que les Juifs ont falsifié les Écritures pour en retirer toute référence à la future apparition de Mohammed. Les deux sont le même islam.
Ce qui est intéressant est que ces changements d’attitude vis-à-vis des Juifs se passent dans une période relativement courte, les 22 ans de la période « prophétique » de Mohammed. En réalité, les récits bibliques rapportés dans le Coran sont assez fidèles, et la représentation des Juifs de l’époque biblique assez positive. Mais ce n’est pas le cas des Juifs de l’époque tardive, contemporains de Mohammed.
Comment est-ce que ces divergences se sont-elles exprimées au cours de l’histoire entre Juifs et musulmans ?
M. B.-A. : Elles ont toujours été utilisées pour justifier telle ou telle décision politique. C’est le propre d’un texte sacré d’être ainsi utilisé. On parle souvent de l’âge d’or des Juifs d’Espagne, lorsque la région était sous domination arabe. Mais dès qu’il y a eu un changement de situation pour les musulmans, on note des crises dans les relations judéo-musulmanes et la situation des Juifs se détériore.
Dans ses écrits, Maïmonide relate les tensions et débats qui existent avec les musulmans. Mais il reste positif malgré tout sur l’islam car il le considère véritablement monothéiste.
Depuis la fin du XIXe siècle, jusqu’à aujourd’hui, avec le retour du judaïsme en Terre sainte sous la forme du sionisme, les divergences sont plus présentes que jamais. On ne peut pas séparer la situation politique du religieux.
Le Coran peut-il nourrir un antisémitisme contemporain ?
M. B.-A. : Parler d’antisémitisme dans le Coran est anachronique. Cependant, des versets du Coran peuvent nourrir un rejet des Juifs. Mais c’est aussi le cas des Hadiths, qui présentent les Juifs et chrétiens comme ceux qui n’ont pas respecté la parole divine, qui ont déçu D’. Aujourd’hui, beaucoup de livres sortent dans les pays arabes présentant les Juifs comme ayant trahi Mohammed.
La vision positive des Juifs dans le Coran peut-elle devenir prédominante à l’avenir ?
M. B.-A. : J’ai tendance à être assez optimiste sur ce point, car je crois beaucoup aux rencontres interpersonnelles, aux liens que je peux créer dans des séminaires, des rencontres avec des musulmans. Je suis persuadé qu’un peu de lumière a toujours plus de force que l’obscurité. On ne peut pas rester sur un niveau académique ou universitaire sur un sujet qui a un impact sur la vie des gens.
Mais dans un avenir proche, je ne crois pas malheureusement que les relations s’apaisent au Moyen-Orient. L’islam se trouve actuellement dans une situation militante vis-à-vis des Juifs, mais aussi de l’occident. Les États-Unis sont appelés par les intégristes musulmans « le grand Satan », et Israël « le petit Satan ». À plus long terme, j’espère une amélioration, car dans l’histoire de l’islam, aux périodes de violence ont toujours succédé des périodes plus apaisées.