L’Iran connaît depuis jeudi 28 décembre une vague de manifestations contre les difficultés économiques et le pouvoir, qui ont fait 21 morts. Cette agitation est suivie de près en Israël, ennemi juré du régime des mollahs,où la presse oscille entre espoir de changement et prudence.
Les observateurs israéliens suivent de près les manifestations de ces derniers jours en Iran. Inquiets du fait que la guerre de Syrie ait permis à la République islamique d’avancer ses pions sur l’échiquier moyen-oriental et des conséquences sur le programme nucléaire iranien, ils s’interrogent sur la portée de ce mouvement. Pour certains, il s’agit d’un véritable espoir pour toute la région de voir diminuer l’influence iranienne. D’autres préviennent que le régime iranien n’a pas dit son dernier mot.
Sur le site anglophone de Yediot Aharonot, le chroniqueur Eyal Nadav revient sur les raisons des manifestations, en remontant aux espoirs soulevés par l’accord historique sur le nucléaire de 2015 : “L’accord était censé aider l’Iran à réintégrer la communauté internationale, ouvrir son économie et renouer avec la croissance. Au lieu de ça, le système socio-économique est au bord de la rupture, à cause du prix du pétrole bon marché et d’une gestion économique scandaleuse”, écrit-il. “Les investisseurs, loin d’affluer en masse, ont continué d’avoir peur de l’Iran, à la fois en raison de son implication dans les conflits militaires régionaux et du rôle destructeur joué par le régime envers sa propre économie”.
Pour le journaliste, les manifestations en cours sont une menace plus sérieuse pour la République islamique que la “révolution verte” de 2009, le soulèvement de protestation qui a suivi la réélection de Mahmoud Ahmadinejad :
Par rapport aux manifestations de 2009, les slogans actuels ont franchi une ligne jaune. On entend crier : ‘Mort [au guide suprême] Khamenei !’, ‘Mort au Hezbollah !’, ‘Ni conservateurs, ni réformateurs, le jeu est fini !’ et, surtout, reprendre le slogan de la révolution de 1979 : ‘Le peuple s’est sacrifié pour l’armée, l’armée se sacrifiera pour le peuple’. En clair, les manifestants demandent à l’armée, comme au temps du chah, de se soulever contre le régime et ses services spéciaux, à commencer par les gardiens de la révolution.”
Une bénédiction pour Israël et le Moyen-Orient
Dans les colonnes du journal de centre droit Maariv, Ephraïm Ganor voit dans cette contestation “un grand espoir pour l’État d’Israël en particulier et pour le Moyen-Orient en général” :
Les manifestations violentes qui se propagent dans le pays comme une traînée de poudre ont un parfum de révolution. Ce qui est en train de se passer fait songer aux débuts de la ‘grande révolte syrienne’ qui a désintégré la Syrie. La chute du régime des ayatollahs apportera la rédemption non seulement aux Iraniens qui ploient sous le joug d’un régime cruel, tyrannique et corrompu, mais elle ne peut que transformer radicalement et pour un mieux tout le Moyen-Orient, du Liban au Yémen en passant par la Syrie et la bande de Gaza dominée par le Hamas.”
Toujours dans Maariv, Ben Caspit appelle à soutenir les manifestants : “Pour des raisons tant morales que stratégiques, le monde libre et Israël doivent offrir un soutien sans faille mais intelligent aux protestataires iraniens. Il ne faut pas que l’Occident commette la même erreur qu’en 2009 en laissant l’appareil répressif iranien écraser sans entrave et en 24 jours la ‘révolution verte’.”
Une arme de double tranchant
Tout autre est le ton des chroniqueurs du quotidien de gauche Ha’Aretz. Dans une première analyse, Anshel Pfeffer abonde dans le sens d’Eyal Nadav :
Au départ, les manifestations avaient été encouragées par les factions les plus dures du régime pour déstabiliser le gouvernement du président modéré Hassan Rohani. Mais les manifestations sont en train d’échapper à tout contrôle et les pyromanes découvrent qu’ils sont en fait les premiers visés par les slogans de manifestations qui dénoncent désormais l’engagement militaire et financier au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen, engagement fait au détriment de la reconstruction économique de l’Iran.”
Dans une seconde analyse, le même Anshel Pfeffer met en garde les Israéliens : “Les dirigeants israéliens sont mal placés pour donner des leçons de démocratie à la République islamique et encore moins pour encourager les manifestants – ce qui peut être une arme à double tranchant, voire le baiser de la mort pour les opposants iraniens. Enfin, une question se pose : une déstabilisation durable en Iran est-elle réellement bénéfique à Israël ?”
Pour son collègue de Ha’Aretz Zvi Barel, la chose est carrément entendue :
Il ne faudrait pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Depuis la révolution verte de 2009, le régime iranien a tiré les leçons et s’abstient pour l’instant d’actionner des leviers aussi redoutables que les gardiens de la révolution ou les bassidjis [force de sécurité]. Les manifestations restent encore limitées en termes de participation réelle et en nombre de foyers allumés. La République islamique est loin d’avoir dit son dernier mot.”