Le «point Godwin» est désormais bien connu. Il correspond au moment où, dans une conversation souvent animée, quelqu’un fait une analogie entre le point de vue de son contradicteur et le nazisme. Après l’holocauste, le nazisme est devenu dans l’imaginaire collectif l’incarnation du mal absolu, et Adolf Hitler son visage. Aujourd’hui encore, le fantôme du Führer est souvent agité pour dénoncer ce qui est perçu comme une dérive néo-fasciste. Donald Trump, Marine Le Pen et Vladimir Poutine ont tous été comparés au dictateur du IIIe Reich. Toute dictature, tout système autoritaire est désormais étudié à la lumière du nazisme.
Mais avant Hitler, quelle figure était utilisée? À la fois comme personnification du mal et comme mise en garde? Pour le savoir, The Atlantic est allé voir à qui, de son vivant, les journalistes comparaient Hitler.
Les analogies ne sont pas innocentes
Pour Gavriel Rosenfeld, professeur d’histoire à l’université de Fairfield, les comparaisons choisies lors de l’ascension au pouvoir du Führer étaient faites dans le but à la fois d’expliquer aux lecteurs et aux lectrices la situation, mais aussi de les rassurer. Il est ainsi comparé à Napoléon III et au Second Empire par le Brooklyn Eagle et le Middletown Times. L’objectif est alors d’expliquer que l’Allemagne traverse une période de transition, comme la France entre le Premier Empire et la Troisième République, et qu’il n’y a pas lieu d’être inquiet.
Les comparaisons sont aussi dressées dans le but de servir un agenda politique. Hitler est par exemple comparé au roi Philippe II de Macédoine, en insistant sur le fait que ce dernier avait pu soumettre les cités grecques car elles n’avaient pas su s’allier contre lui. Une manière de plaider pour une intervention des États-Unis sur le sol européen.
Plus la guerre avance, plus les comparaisons sont violentes
Lorsque la magnitude des crimes nazis commence à être comprise par le reste du monde, les journalistes ne trouvent plus de personnes réelles à qui comparer Hitler. En 1939, le Times évoque un «Nabuchodonosor des temps modernes» (qui avait déporté les juifs de Jérusalem à Babylone en 587 avant J.-C.), mais pour souligner que les personnes concernées étaient bien inférieures en nombre à celles visées par les nazis.
Les journalistes ont, au bout d’un moment, abandonné les comparaisons historiques pour en venir aux personnages mythologiques. À la fin de la guerre, c’est finalement la comparaison avec le personnage qui représente le mal ultime qui s’impose, le diable lui-même. C’est donc logiquement qu’Adolf Hitler s’est ensuite imposé, et encore aujourd’hui, comme figure indépassée de la malfaisance.
Source www.slate.fr