Lors de l’inauguration du « Centre Européen du Judaïsme », l’enjeu même de cette fondation au centre de Paris (17ème arr.) semble s’être cristallisé dans la réponse du Président Macron à une journaliste l’interrogeant sur le sens de l’Aliyah : ainsi donc, la France officielle vivrait le départ d’un nombre fluctuant de Français Juifs (ou de Juifs de France) pour Israël, non pas comme une destination naturelle, logique, après 2000 ans de présence aléatoire en Europe, mais comme une “amputation” (?).
De fait, comment alors interpréter l’établissement de ce centre “européen”? Va t-il pouvoir fonctionner à plein régime comme un foyer de “renaissance”, plus prosaïquement, de préservation du patrimoine de ce Judaïsme soudain dépeint comme “en voie de possible disparition” ? Ou comme un “Musée du souvenir” de ce que fut, “autrefois” ce Judaïsme florissant, alors qu’il s’essouffle, dans une Europe bien plus accueillante envers des populations migrantes issues souvent de pays musulmans, eux-mêmes très intolérants, voire radicalement hostiles, à l’existence même d’un Etat né de l’appel à tous les Juifs de retourner sur leur Terre ancestrale ?
On peut, d’abord, dire, qu’il n’y a nul hasard à ce que le site géographique trouvé se situe dans un des arrondissements de Paris marqué par un phénomène récent décrit comme “L’Aliyah intérieure” : les Juifs de Paris et région se recentrent, d’eux-mêmes, vers des quartiers moins dangereux ou agressifs, faisant ainsi, pour un temps, l’économie de la réflexion sur un “exode” plus conséquent et difficile à réaliser : celui de l’Aliyah véritable ou du départ vers des pays plus “accueillants” à l’heure qu’il est : Canada, Etats-Unis, Australie, voire Londres, tout simplement. Cette situation stratégique est un gage de réussite de ce Centre… Au moins provisoirement et laissons sa chance au produit.
Pourquoi la République devrait-elle se présenter comme un régime en concurrence avec l’Etat Juif, un choix à faire, à prendre ou à laisser, plutôt que comme une étape, un système certes imparfait, mais ouvert aux uns comme aux autres, où le pluralisme peut s’exercer, dans un monde en mouvement, en circulation, devenu multipolaire, où l’appartenance à une culture n’induit aucun renoncement ni aucune “mutilation” particulière?
L’expression tient lieu de lapsus révélateur d’un profond malaise dans les représentations des Juifs et d’Israël, dans la pensée macronienne fort ambivalente : Macron reconnaît, au niveau du discours explicite, que la fameuse définition de travail de l’antisémitisme (de l’IHRA) est utile, voire indispensable à l’approche de ce phénomène, dans sa dernière version, comprenant le rejet du sionisme comme indice d’une haine plus intériorisée. Mais il est paralysé et paralysant, absolument incapable de passer à des applications pratiques, parce que cela remettrait en question la plupart des dogmes de l’Intelligentsia française et de ses diplomates, médias, etc.
Mais ce Président est tout aussi incapable d’arrêter une position franche, “politique” sur le port du voile dans l’espace (de la ré-) Publique. En réalité, ce président comme tant d’autres n’est pas un décideur, une “autorité”, mais un gestionnaire, comptable de la situation, sans plus de volonté ni de “pouvoir” réel.
Le Président Macron, tout à son inauguration, semble avoir besoin de la violence de l’image de ce présumé “arrachement”, de cette dispute entre les deux mères exigeant de Salomon qu’il tranche par le discours au risque, finalement, de tuer le bébé par l’outrance même du conflit entre elles…
En reprenant les excellents travaux sur l’histoire juive, rédigés par le philosophe et sociologue Shmuel Trigano, “La société juive à travers l’Histoire” (en quatre tomes), on s’aperçoit, au contraire, que le “Centre” du Judaïsme, exilique, mais y compris dans sa version pré-exilique, ne cesse d’être mouvant : il se déplace sans cesse, de Jérusalem à Babylone, Alexandrie, Rome, le Rhin, puis la Champagne et l’Espagne, le Maghreb, la Turquie et la Grèce, vers l’Est pour devenir polonais – terre qui en deviendra le plus grand cimetière, à une époque reculée – puis retournant vers sa terre, au début d’un vingtième siècle extrêmement marqué par la violence des guerres, notamment le génocide des Juifs et d’autres peuples (arméniens, tutsis, etc.).
Dans l’Antiquité, les démographes relèvent une population juive d’environ 8 millions de membres, natifs judéens ou vivant en Diaspora proche ou éloignée, mais le véritable centre de la vie juive ne se tient nullement en Gaule, même si des carrefours et marchés pré-existent à la constitution des peuples francs, alamans,… à un centre administratif quelconque, au douzième siècle, en Île-de-France. Ce centre, c’est Jérusalem, par son rayonnement et un Temple, où, au moins à l’occasion des trois fêtes, le peuple, aussi éloigné soit-il, se doit de venir présenter ses offrandes. Nulle “amputation” que de venir se libérer de ses dettes morales ou fautes, ou simplement, choisir d’honorer ses ancêtres et son D’ unique, universel…
De même, la “renaissance” du centre politique, populationnel, géopolitique d’Israël au XXème siècle, a changé la donne, individuellement, pour chaque Juif connaissant ses devoirs et ses droits historiques, et en tant que collectivité. “Comme” dans cette Antiquité lointaine, mais avec la puissance attractive de tous les moyens mis à notre disposition par la modernité, nous pouvons ou devons (selon ce que dicte chaque conscience) reconnaître où et ce qu’est notre “centre”, notre point d’équilibre spirituel, moral et très concret, y compris dans sa variable économique. Concrètement, tous les Juifs d’Europe et du monde ne réaliseront peut-être pas le rêve de Théodore Hertzl, mais tous se doivent de l’entretenir, par les moyens à leur disposition. Et, peut-être qu’une des destinées du peuple juif est bien de maintenir cette tension entre l’Exil et le Retour, certains seulement bénéficiant finalement du “mérite” d’accéder à sa pleine réalité et les autres cherchant à s’y raccorder… Les peuples ou nations, quant à elles, parviennent à l’universalité du Message en portant un œil plutôt bienveillant (pour ne pas dire totalement “partisan”) à cette “Alliance” en cours de connexion, vraisemblablement pas en la considérant comme une “perte” d’un “membre… L’expression macronienne prend alors un sens “barbare” d’incompréhension des raisons mêmes qui seraient à l’origine du départ de ces Juifs de France : soit par fidélité à un message ancestral, soit face au rejet de l’idée même de souveraineté juive, dans l’esprit des peuples et des dirigeants. Ainsi continuer de condamner perpétuellement l’Etat Juif naissant comme la source des maux, de tous les maux, est-elle bien, comme l’exprime simplement Yvan Attal, le soir même sur I24news, l’une des causes profondes de la blessure vécue par beaucoup de Juifs qui s’en vont, et de la rupture collective de ces citoyens français juifs, tiraillés entre deux “appartenances”, parce que leur environnement même leur reproche d’être viscéralement ce qu’ils se ressentent et se recentrent être…
La “concurrence” des mémoires, revendiquée par Emmanuel Macron relève donc plutôt de l’anachronisme et de l’angoisse “que tout fout l’camp” (même les Juifs de France), d’un manque d’humilité devant l’histoire, que de la sérénité et de la conscience d’un accomplissement utile ou jalon, dans la pose de cette “première pierre” qu’incarnerait le “Centre Européen du Judaïsme”.
Par Marc Brzustowski,
Pour JForum, centre virtuel du Judaïsme Européen débouchant naturellement sur le Sionisme, mouvement ou tendance vers le Retour… vers l’intégrité, l’identité.
Pour Macron, le départ des Juifs de France «est une amputation» de ce qu’est la République
Le président de la République a inauguré les 5 000 m2 du nouveau Centre européen du judaïsme, à proximité de la place de Jérusalem, à Paris. Il s’est adressé aux juifs français choisissant d’émigrer en Israël, qualifiant leur départ d’«amputation».
Le soir du 29 octobre, Emmanuel Macron a participé à l’inauguration du Centre européen du judaïsme (CEJ) à proximité de la place de Jérusalem, elle-même récemment inaugurée à Paris par la maire Anne Hidalgo malgré l’opposition de militant pro-palestiniens.
Interrogé en marge de cet événement sur le sujet des juifs choisissant de faire leur aliyah (terme qui désigne l’émigration en Israël), le chef de l’Etat a répondu, devant les caméras de la chaîne basée à Tel Aviv i24 News : «Je respecte chacun, mais bien évidemment je leur dis qu’ils ont leur place [en France], qu’ils y sont aimés et qu’ils ont surtout une Histoire qui est ancrée dans la République.» Le président a alors conclu : «Et leur départ, c’est une amputation d’une part de ce qu’est la République dans son Histoire [et] dans ses valeurs.»