L’Ukraine, les Juifs et Israël

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Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps

Illustration : Rassemblement de membres des partis d’extrême droite Svoboda, à Kiev

      Le risque d’invasion de l’Ukraine par la Russie et les tensions entre Washington et Moscou posent le problème de la sécurité des Juifs d’Ukraine. Bien que les Juifs ukrainiens ne soient pas spécifiquement ciblés ou partie prenante dans ce conflit, ils pourraient être amenés à fuir les lieux du conflit si la guerre se déclenchait. Les relations entre Israël et l’Ukraine sont au beau fixe, même si parfois elles sont traversées par des incidents locaux nationalistes, voire antisémites, qui ramènent à l’époque nazie et qui ternissent les échanges.

Par son voyage en 1999, Netanyahou avait tout fait pour consolider des liens forts entre Israël et l’Ukraine d’où sont d’ailleurs originaires de nombreux immigrants israéliens. En rencontrant le président Volodymyr Zelensky il avait affirmé : «Nous pouvons nous emparer de l’avenir séparément, mais nous pouvons mieux le faire ensemble». Avant la Shoah, une majorité de la population ukrainienne était juive. D’ailleurs le président est lui-même d’ascendance juive, même s’il estime qu’il s’agit pour lui d’une affaire privée, ainsi que son premier ministre Volodymyr Groïsman. Le mémorial de Babi Yar est là pour rappeler que 33.000 Juifs ukrainiens y avaient été assassinés en avril 1941. Les deux pays se sont reconnus de facto le 11 mai 1949 sous le régime soviétique et ont établi des relations diplomatiques de jure le 26 décembre 1991.

         L’Ukraine est devenu un lieu de tourisme pour les Israéliens alors que les relations économiques et militaires se resserrent. En effet, Israël vend du matériel militaire à l’Ukraine à travers la société Elbit dans les domaines des systèmes de communication, de surveillance et de reconnaissance terrestres et aériennes, des stations radars, des équipements pour la protection portuaire et pour la modernisation des véhicules blindés.  En 2015, Netanyahou avait signé des accords dans le domaine du hightech, de la recherche scientifique de la sécurité, des transports et de l’agriculture. De son côté l’Ukraine exporte vers Israël des céréales, des métaux, des graines et oléagineux et des machines électriques.

L’Ukraine a poussé son amitié jusqu’à exprimer son désir d’installer son ambassade à Jérusalem, située pour l’instant à la rue Yirmeyahu à Tel-Aviv. Mais Israël se trouve aujourd’hui devant un choix cornélien. En raison de ses bonnes relations avec la Russie, le gouvernement israélien n’envisage pas de s’interférer dans ce conflit mais au contraire d’intervenir comme arbitre et même comme conciliateur entre les deux belligérants, voire entre la Russie et l’Europe. Par ailleurs il n’a pas échappé à Israël que l’Ukraine est soutenue par l’allié le plus puissant d’Israël, les États-Unis.

            Fidèle à sa mission de protéger les Juifs partout dans le monde, Israël anticipe une éventuelle conflagration en se préparant à accueillir des réfugiés juifs. Mais il en profite surtout pour convaincre les 48.000 Juifs, qui vivent encore en Ukraine, à faire leur alyah avant toute déflagration, 70.000 si l’on tient compte des ressortissants non-juifs éligibles en vertu de la loi du retour (grand-parent ou conjoint juif). La population juive d’avant-guerre était d’environ 1,5 million de personnes et a été pratiquement anéantie lors de la Shoah.

L’alyah ukrainienne ne s’est jamais arrêtée : 2.971 en 2020 et 3.080 en 2021, beaucoup plus que l’alyah française. C’est de bonne guerre sachant que seul le danger pourrait convaincre les indécis. Tous les ministères concernés et l’Agence juive ont été mobilisés lors d’une réunion le 23 janvier. Une deuxième réunion est planifiée pour le 1er février afin d’évaluer les nouvelles options dans un contexte d’aggravation de la crise russo-ukrainienne. Selon le ministre de la diaspora Nahman Shai : «L’État d’Israël a la responsabilité morale d’aider les Juifs en détresse. Nous avons prouvé par le passé que nous assumons cette responsabilité et, si nécessaire, nous agirons à nouveau. Néanmoins, cela ne signifie pas qu’il y aura des avions qui voleront d’Ukraine en Israël immédiatement demain matin. Nous examinerons les circonstances et trouverons les moyens d’aider de toutes les manières possibles». 

            L’invasion russe, que certains estiment imminente, n’aura certainement pas lieu car toutes les parties auraient beaucoup à perdre d’une guerre. Il s’agit en effet d’un rapport de forces classique où le chantage et la menace constituent l’unique stratégie des dirigeants. Les diplomates trouveront certainement une solution qui satisfasse toutes les parties et ménage la susceptibilité de chacun. Cependant, si Israël veut rester neutre, il n’a pas oublié les récentes manifestations des nationalistes ukrainiens vénérant l’Allemagne nazie au point que les protestations de l’ancien ambassadeur d’Israël en Ukraine Joel Lion, qui avait critiqué cette attitude nationale et officielle, avaient suscité des réactions glaciales de Kiev. Des jeunes militants nationalistes en armes et portant des uniformes SS ont défilé à Lvov.

Certes le président Volodymyr Zelensky a tendu la main à Israël à plusieurs reprises : «Nous savons ce que c’est que de ne pas avoir son propre État . Nous savons ce que cela signifie de défendre son propre État et sa terre les armes à la main, au prix de nos propres vies». Il a même demandé à Naftali Bennett d’intercéder en son nom auprès de la Russie et d’envisager une médiation avec Moscou. Mais Poutine a rejeté cette proposition.

            Par ailleurs Israël ne fera rien contre la Russie car ses relations avec Moscou sont de la plus haute importance stratégique et sécuritaire. Il ne s’agit pas de rompre les canaux de communication entre les deux armées concernant l’espace aérien syrien. Moscou reste un élément clé contre l’Iran en Syrie sachant surtout que la Russie est membre du Conseil de Sécurité au moment où des pourparlers nucléaires avec l’Iran. Les relations diplomatiques et de sécurité bilatérales sont une priorité absolue pour le gouvernement israélien. Si Israël devait choisir, le choix est déjà fait.

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