Après le triomphe électoral du comédien Volodymyr Zelensky, l’Ukraine va être dirigée par un président juif non pratiquant, une évolution remarquée pour cette ex-république soviétique à l’histoire marquée de nombreux massacres antisémites, et parfois accusée de laxisme envers les groupes néo-nazis.
Dans une synagogue du centre de Kiev, le rav Moche Reouven Azman a le sourire : « J’ai des amis en Russie, en Europe, en Israël qui me demandaient : que se passe-t-il chez vous, il y a des nazis partout ! Désormais on n’a plus besoin d’expliquer quoi que ce soit ».
Acteur, humoriste et entrepreneur prospère du spectacle de 41 ans, Volodymyr Zelensky, juif par sa mère, a remporté dimanche 73 % des voix face au chef de l’Etat sortant Petro Porochenko.
Après son investiture prévue d’ici début juin, il rejoindra au sommet de l’Etat le Premier ministre Volodymyr Groïsman, lui aussi 41 ans et juif, qui reste en poste en attendant les législatives prévues pour l’instant en octobre.
« L’Ukraine est le seul pays au monde, à part Israël, où le président et le Premier ministre sont juifs », s’est félicité sur Twitter Eduard Dolinsky, un des leaders de la communauté juive ukrainienne.
Non seulement le score de Volodymyr Zelensky est massif mais l’ascendance juive du populaire artiste, qui dit considérer la religion comme une affaire privée et a baptisé ses enfants selon le rite chrétien orthodoxe selon des médias ukrainiens, n’a pas constitué un motif d’attaques, dans une campagne qui n’a pourtant pas manqué de coups bas.
C’est loin d’être anodin dans un pays où pendant la période soviétique, être juif était considéré non pas comme relevant de la foi mais comme l’une des « nationalités » de l’URSS inscrite comme telle sur les papiers d’identité.
Sa victoire « est un miracle », se félicite Moche Reouven Azman, rabbin en chef de Kiev. « Cela dit beaucoup de la maturité du peuple ukrainien », ajoute-t-il, rappelant que « les Ukrainiens et les Juifs n’ont pas toujours eu des relations faciles ».
Les premiers massacres de Juifs sur le territoire de l’Ukraine actuelle remontent au 18e siècle pendant un soulèvement anti-polonais mené par le chef militaire cosaque Bogdan Khmelnytsky, faisant des dizaines de milliers de morts. Au 19e siècle, une nouvelle révolte anti-polonaise fait des milliers de morts juifs.
Les années 1917 à 1921, période de violents combats entre armées blanche, soviétique et nationaliste ukrainiennes, sont marquées par une vague de pogroms meurtriers.
La Shoah, organisée par l’Allemagne nazie avec la participation de collaborateurs ukrainiens, a décimé la communauté juive du pays, alors partie de l’URSS. Rien qu’à Babi Yar, un ravin à Kiev, plus de 34 000 Juifs furent tués par balles par les nazis les 29 et 30 septembre 1941, l’un des pires carnages de la Seconde Guerre mondiale.
Plus de 2 600 Ukrainiens ont cependant été reconnus « Justes parmi les nations » par le mémorial de la Shoah Yad Vashem de Jérusalem pour avoir mis leur vie en danger en sauvant des Juifs.
« Paix avec le passé »
Désormais indépendante, l’Ukraine a de nouveau été accusée d’antisémitisme depuis l’arrivée au pouvoir à Kiev en 2014 des autorités pro-occidentales, suivie de l’annexion par Moscou de la péninsule ukrainienne de Crimée et de la guerre avec les séparatistes pro-russes dans l’est.
Des groupes ultra-nationalistes ont joué un rôle actif sur les barricades du soulèvement du Maïdan qui a porté au pouvoir les pro-occidentaux et sur le front au début de la guerre, poussant Moscou à dénoncer le « régime néo-nazi » et « fasciste » à Kiev.
Un tableau aussi noir n’a rien à voir avec la réalité, assure le rav Moche Reouven Azman : « Malheureusement, l’Ukraine est loin d’avoir été le seul pays des pogroms », souligne-t-il. « A ce jour, le niveau d’antisémitisme en Ukraine est plus inférieur qu’en Russie et en Europe, je le vois clairement ».
Selon une étude publiée l’an dernier par l’institut américain Pew Research Centre, 5 % des adultes en Ukraine disent ne pas vouloir accepter les Juifs comme concitoyens, chiffre parmi les plus bas en Europe de l’Est et bien plus faible que ses voisins : 14 % en Russie, 18 % en Pologne ou 22 % en Roumanie.
Source TOI