Paris Match. Pourquoi avez-vous eu envie de vous intéresser à “l’homme qui collectionnait les yeux bleus” ?
Olivier Guez. Quand j’ai travaillé sur le scénario de Fritz Bauer, un héros allemand, sorti en 2015, je me suis retrouvé sur les traces de Mengele puisque nous racontions la coopération du Mossad pour l’arrestation d’Eichmann.
J’ai alors beaucoup lu sur l’Argentine des années 1950 et forcément sur lui. J’étais intrigué par la relation hallucinante entre ces deux hommes qui se détestaient et se méprisaient.
Par ailleurs, j’ai longtemps travaillé sur cette période.
Ce qui m’intéresse surtout, c’est de comprendre comment le continent le plus sophistiqué au monde qui s’inflige 85 millions de morts se remet de cette folie, de tels massacres.
Et parmi les tueurs, Mengele est le plus fascinant.
Quelle est la part de création dans votre livre ?
Il est très documenté. Il n’y a pas d’inventions historiques mais c’est avant tout un travail littéraire.
Je raconte la descente aux enfers de Mengele, et c’est une matière littéraire. Pour moi, c’est vraiment La colère de D’ de Werner Herzog.
Vous décrivez son sentiment d’impunité sans aucune culpabilité et son besoin de considération.
Oui, c’est fascinant chez cet homme. Ce n’est pas un aventurier mais un fils de bonne famille qui n’était pas taillé pour être un fuyard. Il s’est réjoui de partir à Auschwitz, pour lui le plus grand laboratoire du monde.
Sa seule ambition était, en cas de victoire de l’Allemagne, d’obtenir une chaire universitaire, il avait donc besoin de considération. Il est le pur produit du système.
Il ne comprendra pas pourquoi il a été déchu de ses titres universitaires. Parce que le médecin nazi ne soigne pas l’individu, mais le peuple. Né trente ans plus tôt, il aurait été un sale type, mais pas un tueur de masse. S’il avait pris conscience de ses actes, il se serait écroulé.
“Mengele sait qu’on ne s’échappe pas d’une prison à ciel ouvert”, écrivez-vous. Pourquoi hésite-t-il à mettre fin à ses jours ?
Parce que ce n’est pas un homme courageux. Pendant les vingt dernières années, il a dû y penser souvent.
Mais aussi parce qu’il espérait que les choses s’inversent, qu’il puisse vivre tranquillement. Il voulait également revoir son fils.
Qui avait intérêt à ce qu’il reste en liberté ?
L’Allemagne de l’Ouest, notamment. Mengele fait partie de ces centaines de médecins qui ont sévi dans les camps, il n’était pas non plus le plus recherché. Mais regardez Eichmann : les services secrets allemands et américains savaient où il se trouvait et n’ont rien fait pour ne pas affaiblir l’Allemagne de l’Ouest face à l’Allemagne de l’Est.
On est en pleine Guerre froide. Quant au Mossad, il a, à ce moment-là, autre chose à faire : protéger Israël. Il voulait “s’occuper des Juifs vivants, pas des Juifs morts”.
Mengele est le nazi en cavale qui va bénéficier du plus grand soutien, comment l’expliquez-vous ?
L’argent. Sa famille finance sa cavale. Sinon, il n’aurait pas tenu.
Le passé de l’Allemagne est-il digéré ?
Cette histoire reste le socle de l’Allemagne contemporaine. La façon dont ce pays a géré la crise des réfugiés est révélatrice.
Ils ont rembobiné leur histoire. Ils ont des contrepoisons par rapport à l’extrême droite mais ont du mal à comprendre le danger de l’islamisme radical.
Comment êtes-vous sorti de l’écriture de ce roman ?
J’ai traversé plusieurs périodes. J’ai passé trois ans avec Mengele, cela a été compliqué.
Je ne voulais pas être sa marionnette mais le marionnettiste. Il paraît que, certaines nuits, je criais “Mengele” pendant mon sommeil !
« La disparition de Josef Mengele », d’Olivier Guez, éd. Grasset, 236 pages, 18,50 euros.
Source Paris Match _ koide9enisrael.blogspot.co.il