L’Italie empêtrée dans une crise politique sans précédent

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Le président a nommé l’économiste Carlo Cottarelli à la tête d’un gouvernement de transition chargé de préparer le budget et d’organiser des législatives anticipées.

«Absurde», «incompréhensible», «irresponsable»: les commentateurs italiens n’avaient pas de mots assez forts lundi pour dénoncer la crise politique d’une gravité sans précédent qui menace le pays. La formation d’un «gouvernement du changement» ayant misérablement capoté dimanche après-midi, le président de la République Sergio Mattarella n’avait d’autre choix que de désigner une personnalité libre de toute affiliation politique et choisie parmi les meilleurs serviteurs de l’État pour former un gouvernement «neutre» devant conduire le pays aux élections.

Carlo Cottarelli (64 ans), un économiste aux lettres de créance incontestables, ancien commissaire à la Révision des comptes publics dans le gouvernement Letta, a été appelé lundi matin au Quirinal pour être investi de cette tâche ingrate par le chef de l’État. En acceptant cette mission, celui qu’on surnomme «M. Ciseaux», en raison de son programme de réductions des dépenses publiques, a annoncé qu’il formerait rapidement un gouvernement de techniciens reconnus pour leur bonne gestion des affaires de l’État. Si le Parlement lui accorde la confiance, il rédigera un projet de budget pour l’an prochain avant de préparer un retour aux urnes au début de l’année 2019, auquel il s’engage à ne pas prendre part. S’il ne l’obtient pas – hypothèse la plus probable – , son gouvernement gérera les affaires courantes jusqu’aux nouvelles élections qui auraient lieu «après le mois d’août», a-t-il dit.

«Représentant des banques et des marchés»

C’est donc lui qui représentera l’Italie dans les prochains grands rendez-vous internationaux: le G7 du 7 au 9 juin au Canada, l’important Conseil européen du 28 juin prochain et le sommet de l’Otan les 11 et 12 juillet à Bruxelles. Les populistes l’ont aussitôt attaqué, voyant en lui le «représentant des banques et des marchés», un «ennemi du peuple italien». En assurant Sergio Mattarella de leur pleine solidarité, deux anciens présidents démocrates du Conseil, Paolo Gentiloni et Matteo Renzi, ont accusé Luigi Di Maio (Mouvement 5 étoiles) et Matteo Salvini (Ligue) de «tenir l’Italie en otage depuis trois mois» et d’abuser d’«alibis pour générer des conflits, voire le chaos».

À la sortie du Quirinal, dimanche, les deux vainqueurs des législatives du 4 mars se sont également répandus en violentes diatribes contre le chef de l’État. Di Maio l’a même menacé d’une procédure d’«impeachment» (destitution) pour avoir «trahi le peuple italien», avant de se rétracter lundi après-midi. Le leader du M5S a été le plus virulent, ce qui a surpris car il avait fait preuve jusqu’à ces jours-ci d’une grande retenue. Cela traduit sans doute les difficultés croissantes qu’il rencontre au sein du Mouvement 5 étoiles. Il appelle à une grande «marche sur Rome» ce 2 juin, lendemain de la Fête nationale.

Luigi Di Maio dit avoir tout tenté pour convaincre l’économiste europhobe Paolo Savona (81 ans) – que Mattarella a refusé de nommer au ministère des Finances dimanche – de se retirer de la course. À ses yeux, comme à ceux du chef de l’État, la candidature du numéro deux de la Ligue, Giorgio Georgetti, était parfaitement acceptable. Mais Matteo Salvini, qui avait besoin de Savona pour nourrir ses thèses souverainistes et antieuropéennes, n’en a pas voulu.

Di Maio devra maintenant se confronter en campagne électorale à Matteo Salvini, tribun virulent, habile à dresser des barricades. Les constitutionnalistes estiment que «le président a scrupuleusement respecté ses prérogatives» : «On court actuellement le risque d’un dérapage vers une conception jacobine de la souveraineté populaire qui pourrait porter à une véritable crise de système», relève l’un d’eux, Michele Ainis. Luciano Fontana, directeur du Corriere della sera, s’indigne de ce «défi aux institutions» : «M5S et Ligue ne peuvent que s’en prendre à eux-mêmes pour cet échec», écrit-il. Il dénonce un «défi arrogant destiné à humilier la plus haute figure de la République au nom d’une (prétendue) investiture populaire». Le directeur de La Repubblica Mario Calabresi se demande, lui, ce que serait devenue l’Italie «si le président avait cédé» au chantage: «L’équilibre entre les pouvoirs de l’État aurait volé en miettes.»

Matteo Salvini est déjà reparti en campagne. Dès dimanche soir, trois heures après avoir rencontré le chef de l’État, il tenait un meeting à Terni (80 km au nord de Rome), où il s’est emporté contre «les pouvoirs forts, le Quirinal, le patronat, la Banque d’Italie» qui commandent l’Italie: «La prochaine consultation ne sera pas une élection politique. Ce sera un véritable référendum. Aujourd’hui, l’Italie n’est plus un pays libre. Elle est occupée financièrement par les Allemands, les Français, les eurocrates. Et cela ne me va pas.»

Avec des populistes prêts à se déchaîner contre les pouvoirs établis, l’été s’annonce incandescent. Le Quirinal dénonçait lundi après-midi l’envoi de menaces par Internet – y compris des menaces de mort – contre la personne du président.

Source www.lefigaro.fr

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