« L’Iran, une puissance en mouvement »

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Un essai de Thierry COVILLE

Recension de Jacques BENILLOUCHE – Temps et contreTemps

Le sujet ne pouvait pas être plus d’actualité, d’une part avec l’Iran qui fournit de l’armement et des drones à la Russie et d’autre part avec l’arrivée d’un nouveau gouvernement de droite extrême en Israël qui souhaite en découdre avec les Mollahs. Cet ouvrage analyse l’évolution de l’Iran depuis la Perse jusqu’à la République islamique d’Iran, afin «de mieux comprendre les défis internes» du pays. Il s’agit d’un livre très documenté qui va aux sources de l’information et qui retrace l’histoire de l’Iran et de ses conflits bien avant l’arrivée du régime islamiste. Il permet d’expliquer comment une population très nationaliste a pu s’offrir à des dirigeants anachroniques.

Les Iraniens étaient las de subir des agressions étrangères. La dynastie Pahlavi, très autoritaire, a déçu parce qu’elle n’a pas réussi à supprimer la dépendance à l’égard de l’étranger bien qu’elle soit parvenue à assurer à l’Iran «un indéniable développement économique et social». Le changement par le Shah du nom de son pays, la Perse, s’expliquait parce que le nom était «trop associé à un pouvoir faible, celui des Qadjars». Les États-Unis avaient pour objectif d’utiliser l’Iran pour «faire face à l’URSS et à l’Égypte de Gamal Abdel Nasser». Le Shah a estimé pouvoir gouverner seul avec le soutien de l’armée et de sa police secrète la Savak ce qui a ouvert la voie à l’Ayatollah chiite Rouhallah Khomeiny.

L’arrivée au pouvoir des Mollahs s’est accompagnée d’une disparition des partis de gauche :  les Moudjahidines du peuple et le parti Toudeh mais les affrontements internes se sont alors accentués avec le radical révolutionnaire Khomeiny, la droite pragmatique de Hachemi Rafsandjani, le populiste et conservateur intransigeant Mahmoud Ahmadinejad et le réformiste Hassan Rohani qui a signé l’accord sur le nucléaire en 2015. Mais la décision de Donald Trump d’en sortir a entrainé une grave crise économique en Iran, le «déclin de la popularité de Hassan Rohani et du camp modéré» et l’arrivée d’Ebrahim Raïssi, l’ultraconservateur.

Thierry Coville analyse avec détail la nature du régime qui selon lui n’est pas une théocratie mais un système politique basé sur l’islamisme, le nationalisme et la volonté populaire. Il explique et justifie la modernisation de la société iranienne depuis la révolution. La politique étrangère oscille entre héritage révolutionnaire et pragmatisme et est fondée sur une opposition totale aux États-Unis (le Grand Satan) et à Israël (Petit Satan) d’où la nécessité de développer sa puissance militaire. Les sanctions américaines sont dramatiques pour le pays qui exportait 2 millions de barils de pétrole par jour en 2018 et 150.000 à fin 2020.

L’auteur explique parfaitement la poursuite d’une hégémonie régionale par l’Iran : «Les dirigeants de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, d’Israël, des États-Unis et de l’Europe voient l’Iran comme voulant imposer son hégémonie». Il aborde les relations de l’Iran et du Liban troublés par l’histoire du Hezbollah, «l’allié militaire le plus influent de l’Iran».

Les relations avec Israël ont été marquées par un renversement stratégique total car «Israël avait de bonnes relations avec le régime des Pahlavi». Pour Coville, s’opposer à Israël permettait à l’Iran de prendre le leadership du monde musulman. Il modère cependant la stratégie iranienne vis-à-vis d’Israël car «l’Iran cherche plutôt à faire évoluer favorablement son rapport de forces avec Israël sans risquer un conflit ouvert du fait du soutien américain». Il explique par ailleurs pourquoi, depuis les années 2000, les relations se sont dégradées avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes Unis.

Il s’agit d’un ouvrage très utile pour suivre les évènements d’Iran, autrement que par des articles de presse incomplets ou engagés. Au moment où un début de révolution s’amplifie dans les principales villes iraniennes, où le chef d’Etat-major israélien Aviv Kohavi estime qu’Israël est prêt à attaquer les cibles nucléaires et où un dur, le général Yoav Galant, est nommé à la Défense nationale, cet ouvrage donne les réelles clefs pour comprendre la situation d’un Iran « en mouvement ».

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