L’Iran redoute plus que tout l’alliance Bin Salman – Israël

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L’accession du nouvel héritier de la couronne saoudienne génère de sérieuses inquiétudes en Iran

Les récents changements au sein des cercles dirigeants saoudiens ne représentent guère une surprise pour l’Iran. « Nous savions tous que cela allait se produire. Ce n’était qu’une question de temps », a déclaré un haut-responsable iranien, requérant l’anonymat, à Al Monitor.

En fait, en octobre dernier, longtemps avant l’adoubement de Mohammed Bin Salman en tant que nouveau prince héritier du trône d’Arabie Saoudite, le commandant des forces Al Quds Qassem Soleimani avait déclaré lors d’un rassemblement à Téhéran : « Mohammed Bin Salman, le second héritier de la couronne, est pressé et il veut marginaliser celui qui le précède [à l’époque, le prince Mohammed Bin Nayef], il pourrait même tuer son propre père pour le remplacer ».

Le Général-major iranien rappelait alors une conversation qui se serait déroulée entre Mohammed et un responsable syrien en Russie, un beau jour de 2016 et il citait les propos rapportés par ce responsable syrien, qui disait que l’héritier royal saoudien « demandait des nouvelles du Président syrien Bachar el Assad, comme il allait, ainsi que sa famille ». Soleimani poursuivait : « Le responsable syrien lui a alors dit : « Quand je m’aperçois que l’atmosphère est aussi bonne, je me dis que Daesh est une menace globale contre nous tous, et que nous devrions tous nous unir pour le combattre ». C’est alors que Bin Salman a répliqué : « Ce n’est rien ».

« Nous pourrions en finir avec Daesh et Jabhat al Nusra en moins d’une journée, ne vous inquiétez pas pour ça. Vous n’avez qu’un seul problème. Votre problème, ce sont vos relations avec l’Iran. Mettez un terme à ces relations et prenez vos distances avec ce régime et tout sera terminé ».

Cette vision de Mohammed à propos de l’Iran comme étant le principal problème du Moyen-Orient inquiète Téhéran. Les propos âpres tenus par le prince couronné contre la République Islamique et les menaces publiques qu’il a proférées en mai de mener le combat sur le sol de l’Iran a poussé les décideurs iraniens à répliquer en prenant les positions les plus radicales contre Riyad. Selon un autre responsable iranien anonyme : « L’Arabie Saoudite traverse une de ses pires phases à présent. Peut-être que, pour la première fois, le royaume est menacé de s’effondrer de l’intérieur. Ils sont sérieusement confrontés à une crise de gouvernance. Les nations ne peuvent pas être dirigées par des aventuriers inexpérimentés et c’est le cas avec ce nouveau prince héritier ».

« Ce responsable iranien va plus loin : « Pour ce qui est des intérêts immédiats de l’Iran, tout ce que Bin Salman fait peut avoir un impact positif : il n’y a qu’à regarder cette dernière aventure de la rupture avec le Qatar. Il a risqué l’unité des pays du Golfe Persique à seule fin d’imposer sa vision à son voisin et, qu’est-ce qui se passe après? Il ne serait même pas lui-même ce qu’il va faire après et c’est la pire chose qui puisse lui arriver ». Au Yémen, ajoute ce responsable iranien,  Ansar Allah (les Houthis) n’étaient pas aussi proches de l’Iran. Mais avec toutes les bombes qui leur tombent sur la tête, l’Iran devient le seul ami du peuple yéménite, parce que nous pourrions bien être le seul pays qui leur témoigne ouvertement de la sympathie. L’Iran veut avoir des amis partout, même en Arabie Saoudite, mais les Saoudiens, de nos jours, sont très forts pour se constituer des ennemis ».

Selon le responsable iranien, l’orientation politique de Salman envers l’Iran est perçue comme globalement hostile. « Les menaces permanentes contre l’Iran que profère le prince et son ministre des Affaires étrangères véhicule un message dont je doute que les Saoudiens voudraient qu’on le lise. Toucher à nos croyances religieuses est imprudent.  Les commentaires de Bin Salman [ à propos] de l’Imam Mahdi n’ont rien d’une posture politique [l’impossibilité de dialoguer avec un pouvoir messianique et eschatologique]. Il a tenté d’intimider tout croyant -même ceux qui s’opposent à la République Islamique se sont sentis insultés ».

Ce responsable iranien faisait référence à une interview télévisée du 2 mai dans laquelle Mohammed Bin Salman répondait à une question sur les possibilités de dialogue avec l’Iran. Le National (émirats arabes) résumait l’interview comme suit : « Le prince Mohammed a déclaré qu’il est impossible de discuter avec une puissance qui planifie le retour de l’Imam Mahdi. Les Chiites pensent que l’Imam Mahdi était le descendant du prophète Mahomet, qui s’est caché il y a mille ans et qu’il reviendra pour faire régner la shari’a (loi islamique) mondialement avant la fin du monde ».

Cet article cite Mohammed disant lors de cette interview : « La logique de l’Iran veut que l’Imam caché viendra et que la république islamique doit préparer l’environnement fertile pour l’arrivée de ce Mahdi tant attendu et donc qu’il doit (l’Iran) contrôler la totalité du monde musulman ».

Les tensions actuelles entre l’Iran et l’Arabie Saoudite ne sont pas sans précédent. Les deux nations du Golfe Persique ont presque faille déclencher des affrontements en juin 1984, quand les avions de chasse saoudiens ont abattu deux F4 Iraniens à leur entrée dans l’espace aérien saoudien. Plus tôt en avril de la même année, plusieurs pétroliers saoudiens et koweitiens avaient été touchés, l’Iran étant accusé d’avoir frappé certains d’entre eux.

Ces incidents se déroulaient en pleine guerre entre l’Iran et l’Irak, dans les années 1980-1988, lors de laquelle l’Arabie Saoudite et plusieurs autres états du Golfe arabo-persique étaient du côté de Saddam Hussein et que la République Islamique intensifiait sa rhétorique contre Riyad. En août 1987, on a assisté à la pire crise entre les deux Etats : les pèlerins iraniens ont mis en scène le 31 juillet leur protestation annuelle contre Israël et les Etats-Unis en plein milieu du pèlerinage du Hajj, où 400 d’entre eux ont été abattu par la police anti-émeute saoudienne à la Mecque. En représailles, les Iraniens en colère ont déferlé sur l’Ambassade saoudienne à Téhéran, dans une scène qui s’est répétée 28 ans plus tard, après l’exécution d’un religieux chiite dissident par Riyad.

En ce qui concerne les relations entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, le passé ne semble pas exister indépendamment du présent. A cause de cela, la désignation du nouveau Prince héritier soulève des inquiétudes à Téhéran. L’Iran est très inquiet parce qu’il perçoit Mohammed,le dirigeant de facto de son pays archi-rival, comme manquant de sagesse et comme une personne conduite par ses illusions de supériorité, ce qui pourrait mettre la région à feu et à sang.

Mais alors que les relations étroites de Mohammed avec l’Administration américaine ne font pas particulièrement l’objet de préoccupations à Téhéran, les reportages indiquant que le jeune Prince se rapproche d’Israël est précisément ce que les Iraniens prennent bien plus en considération. La coopération israélo-saudienne représenterait, du point de vue de Téhéran, une menace sérieuse autant pour sa sécurité nationale que ses ambitions hégémoniques régionales et au-delà.

En d’autres termes, les probabilités d’une confrontation ouverte, depuis les bords de la Méditerranée jusqu’au coeur du Golfe Persique, pourraient continuer de s’accroître. Dans cette équation, les guerres continuelles par procuration dans la région, avec toutes leurs répercussions et leurs bilans meurtriers pourraient être réduites à la dimension d’une note de pied-de-page dans le grand livre de l’histoire du Moyen-Orient moderne. Un des deux camps pourrait lancer une guerre bien plus vaste,mais personne ne peut avoir la capacité de savoir quand un tel conflit prendrait fin.

Par Ali Hashem : ce journaliste en affaires iraniennes écrit pour Al Jazeera, Al-Mayadin et la BBC. Il n’est donc pas étonnant de le voir adopter une terminologie qui semble accuser l’Arabe Saoudite d’être « l’agresseur » dans cette guerre larvée entre les deux puissances régionales, l’Iran apparaissant « sur la défensive », partout, en Syrie, Irak,Yémen, etc. Il s’agit, en fait, d’une forme d’inversion de la preuve pour soutenir la rhétorique perse contre son rival historique. D’autre part, les Chiites étant moins nombreux que les Sunnites, numériquement parlant, cette présentation trouve une certaine logique « paranoïaque », l’agression permanente devenant la « meilleure forme de défense ». 

Lire : al-monitor.com/saudi-israel-tension.html

Adaptation : Marc Brzustowski
En savoir plus sur http://jforum.fr/liran-redoute-plus-que-tout-lalliance-bin-salman-israel.html#wMEythdUr3LwjFRF.99

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