L’intention exterminatrice et génocidaire était bien présente dans le camp arabe, dès l’origine du conflit, et elle n’a pas disparu à ce jour. Citons, à titre d’exemples récents, les déclarations génocidaires du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, affirmant de manière récurrente que le Hezbollah est “capable de détruire Israël”, et les déclarations de dirigeants du Hamas ou de l’Iran qui vont dans le même sens. Ainsi, le dirigeant iranien du Corps des Gardiens de la Révolution islamique, Qassem Soleimani, récemment tué dans une frappe américaine, avait déclaré en septembre 2019 que la “destruction d’Israël n’était plus un rêve”.
Cette intention exterminatrice arabe (ou iranienne) n’a jamais disparu et a reçu un commencement d’exécution à plusieurs reprises (en 1948, en 1967, etc.). Elle s’accompagne d’un discours auto-justificatif, qui prétend faire d’Israël le coupable d’un plan d’extermination génocidaire des Palestiniens. Tout se passe donc comme si les ennemis d’Israël projetaient sur celui-ci leurs propres intentions génocidaires. C’est dans cette projection permanente que réside le fondement du mythe du génocide du peuple palestinien.
Pour comprendre comment fonctionne ce mécanisme, constant dans le discours et dans la stratégie politique arabe, prenons pour exemple le discours prononcé à Davos par Yasser Arafat, dirigeant de l’OLP et chef de l’Autorité palestinienne, en janvier 2001. Cet épisode révélateur se situe quelques mois après le déclenchement de la “Deuxième Intifada”, vague de violences ayant pris pour prétexte la visite du Premier ministre israélien Ariel Sharon sur le Mont du Temple, mais avait été en réalité préméditée plusieurs mois à l’avance par Arafat lui-même, après l’échec des négociations de Camp David.
Comme le rapporte l’historien Benny Morris dans son livre Victimes, le dirigeant israélien Shimon Pérès – qui était encore porté par l’euphorie du “processus de paix” et du “Nouveau Moyen-Orient”, malgré la sanglante vague de violences déclenchée l’année précédente par Arafat – évoquait “la nécessité et le caractère inévitable d’un partenariat, de la paix et de la coopération entre Israël et les Palestiniens”. Le dirigeant palestinien, de son côté, peu soucieux de polir son propos devant le forum économique mondial, qualifiait l’État juif de “fasciste”, de “colonialiste” et “d’assassin” et accusait Israël “d’utiliser des munitions à l’uranium” contre les Palestiniens, en s’efforçant de les “affamer”, pour “détruire le peuple palestinien”. Ce faisant, Arafat reprenait à son compte le mythe du génocide, soi-disant fomenté par les Juifs contre le peuple palestinien.
Benny Morris, qui relate cette anecdote, décrit bien le décalage entre l’état d’esprit du dirigeant de la gauche israélienne, qui croyait toujours que la paix pouvait être atteinte au moyen de concessions territoriales, et celui des Palestiniens (et des Syriens) qui lui opposaient une attitude radicale et intransigeante. “L’Intifada, explique Morris, réponse palestinienne aux efforts de paix israéliens, sema la confusion dans l’idéologie de la gauche israélienne... Il y régnait un sentiment de désarroi et de trahison par le raïs palestinien”. Ce désarroi tient en large partie à l’incompréhension, chez une partie de la gauche israélienne, de la nature profonde de l’hostilité arabe envers Israël, c’est-à-dire de l’antisionisme.
La filiation historique entre l’antisionisme et l’antijudaïsme
En réalité, ce mécanisme d’inversion permanent consistant à vouloir détruire l’adversaire tout en l’accusant de ses propres intentions n’a rien de nouveau. L’historien Georges Bensoussan écrit à ce propos que “tout discours meurtrier impute en effet à sa victime le dessein qu’il nourrit à son endroit”. Pierre André Taguieff analyse également ce mécanisme, auquel il a donné le nom, que nous lui empruntons, d’inversion victimaire, dans ses “trois grands moments historiques” : celui de l’antijudaïsme antique et médiéval, celui de l’antisémitisme moderne, et enfin celui de l’antisionisme contemporain. Cette perspective historique plus large nous permet de comprendre comment le mythe du “génocide du peuple palestinien” s’inscrit dans le droit fil de l’accusation de crime rituel, qu’il reprend à son compte et auquel il donne des formes nouvelles.
P. Lurçat
(Extrait de mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain, éditions L’éléphant 2021)