L’insolite imam saoudien qui aime les Juifs

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Par Francis MORITZ – Benillouche

Saoudien sunnite, le Dr Mohammed Abdelkrim al-Issa (notre photo), en sa qualité de Secrétaire générale de la ligue musulmane mondiale, ONG sous contrôle de l’État, avait déjà fait la une des médias israéliens le 23 janvier 2020 lorsqu’à la tête d’une délégation, il s’est recueilli devant le monument commémoratif du camp de concentration d’Auschwitz. Ce qui constituait déjà un événement en soi, s’agissant d’un représentant officiel du monde musulman et saoudien de surcroit, alors que les accords d’Abraham n’étaient pas encore actuels.

Il revient sur le devant de la scène à l’occasion du pèlerinage de la Mecque. Sa précédente sortie avait déjà provoqué de nombreuses protestations dans le monde musulman. Ce qui vient de se passer à l’occasion de la dernière étape du pèlerinage de la Mecque, riche de symbole et de spiritualité, mérite d’être relaté.

Des milliers de pèlerins prient sur le mont Arafat (mont des Miséricordes) afin de consacrer leur dernière journée à la prière et à la méditation. Pour l’adepte, il s’agit d’effacer ses péchés et de renaitre symboliquement comme Hajj, avant de redescendre vers la Mecque. Les pèlerins célèbrent l’Aïd el Kébir en Afrique du Nord et Aïd Al Adha en Arabie, pour commémorer le sacrifice d’Abraham. Tout se termine habituellement par un prêche. Mais ce jour-là, le prêcheur n’était pas un inconnu.

       Retour au-devant de la scène du Dr Mohammed A. Al Issa, le judéophile, celui qui connait, qui fréquente, qui parle avec les Juifs. Stupeur et tremblements au sein du monde musulman. Comment les autorités saoudiennes, gardiennes de la Mecque, ont-elles pu autoriser ce choix ? Le Dr Al-Issa ancien ministre de la Justice, théologien réputé, proche de MBS est emblématique de la nouvelle approche modérée et progressive du régime. Il a été surnommé avec dérision par certains «l’imam sioniste» pour avoir participé à des séminaires avec des Juifs israéliens, alors qu’il affirme lui-même être contre la politique israélienne envers les palestiniens.

Son geste interconfessionnel le plus significatif et le plus symbolique aura été sa visite à Auschwitz, où il a dirigé une prière. Le symbolisme d’un haut clerc religieux prosterné lors d’une visite au camp de concentration ne peut être sous-estimée, étant donné le négationnisme généralisé de l’Holocauste dans la région qui prévalait jusque-là et est amplifié par le sentiment anti-israélien général après des décennies de guerre et de litiges avec les Palestiniens. Al-Issa a généralement été promoteur d’une version plus tolérante de la pratique islamique, exhortant les musulmans à l’étranger à mieux s’assimiler dans leurs sociétés et à suivre les règles même lorsqu’elles semblent cibler les musulmans, comme l’interdiction du hijab. Il a explicitement soutenu les mesures proposées par le président français durant sa visite à Paris.

La nomination d’Issa pour diriger les prières en un jour aussi important a été interprétée comme un geste de conciliation par les Saoudiens et un mouvement pro-normalisation. Le royaume n’a pas encore signé de traité de paix avec Israël, bien que ses alliés du Golfe, les Émirats arabes unis et Bahreïn aillent de l’avant avec les accords d’Abraham. Une vidéo pro-Issa habilement produite a mis en lumière la désinformation sur ses initiatives interreligieuses, les imputant aux Frères musulmans.

Le sermon lui-même était passe-partout, exhortant les bonnes actions et l’adhésion aux piliers de la foi, dans une version on ne peut plus classique. Mais un autre aspect retient l’attention. La démonstration du pouvoir de l’État sur l’establishment religieux, dans un moment particulièrement symbolique, ainsi que la façon dont il l’amène à servir ses objectifs politiques et change radicalement de position sur ce qu’il tolérera en termes de discours religieux. Ce qui reflète précisément la volonté du Prince MBS d’engager des réformes et donc d’obtenir que le clergé wahabite le soutienne. Ce qui était loin d’être acquis il y a encore quelques années.

Les États arabes ont longtemps détourné le mécontentement face à leur autoritarisme, leur corruption et leur incompétence en mettant en avant les abus réels ou supposés attribués à Israël, une piste que l’establishment clérical a toujours exploité avec empressement. Il était même assez courant d’entendre des imams appelant à l’intercession de Dieu «en faveur des Palestiniens opprimés».

La défense d’Issa, critiqué pour son comportement, a été de faire la distinction entre les sionistes, auxquels il se dit opposé, et les adeptes du judaïsme. Al-Issa prône un islam du juste milieu. Il appelle les musulmans d’Europe «à se conformer aux législations des pays où ils vivent et les États européens à lutter contre l’islamophobie» qu’il voit comme un terreau favorable au recrutement et à l’endoctrinement des jeunes. Il a défendu les règles de laïcité en France et demande aux musulmans français de «respecter la Constitution» : «Nous avons toujours appelé les Français musulmans ainsi que les résidents musulmans en France à respecter la Constitution, les lois et les valeurs de la République française». Il a poursuivi : «Vous avez fort heureusement dans votre pays une grande majorité des musulmans qui aiment la France (…) En opposition à ces honnêtes patriotes, vous avez ceux qui veulent vivre séparés de leur société française alors qu’ils doivent respecter la cohésion française. Personne n’est obligé de rester dans un endroit où il ne veut pas vivre».

       Il avait par ailleurs, approuvé la volonté française de créer un Comité national des imams de France. En effet, le président Macron avait donné deux semaines aux fédérations du Conseil français du culte musulman (CFCM) pour créer un code de déontologie destiné aux imams. Le président avait indiqué au CFCM lors d’une rencontre à l’Elysée : «Je vous fais confiance, et ma confiance vous oblige». Lors d’un discours aux Mureaux, Emmanuel Macron avait demandé au CFCM d’établir un «Conseil national des imams » en six mois. «Mais entre-temps, il y a eu trois attentats», avait rappelé un conseiller du chef de l’État. Pour rappel, le projet doit aboutir à une structure pour la formation des imams, lesquels seraient labellisés, dotés d’une carte officielle et rémunérés. Ils devraient aussi se plier à un règlement intérieur, pouvant être sanctionnés en cas de propos antirépublicains.

Ce qui se passe est emblématique d’un changement de paradigmes alors que la normalisation s’installe dans certains pays du monde arabe. Les Émirats arabes unis sont en tête des efforts de normalisation, pour l’élargir à une large coopération. Si le pouvoir de l’État sur la religion devient une réalité, MBS pourra remodeler la société saoudienne face à ses archaïsmes. Quand bien même si certains décrivent Al-Issa comme une émule musulmane du Dr Jekyll et Mr Hyde, il aurait été responsable de centaines d’exécutions comme ministre, la real politique démontre chaque jour qu’un État ne peut pas imposer ses critères moraux ou religieux à un autre, ni décider qui seront les «bons» dirigeants. On voit bien que les responsables en place s’accommodent sans broncher des dirigeants les moins vertueux à leurs yeux pour ne retenir que leur intérêt supérieur, tel le sultan turc, le président iranien, Poutine avant le 24 février, et d’autres. Les lecteurs pourront utilement consulter l’indice The Economist de la démocratie dans le monde, pour constater qu’environ 50% des pays ne sont pas démocratiques, entre régimes autoritaires, démocratures, juntes militaires, absence d’élections, dictatures pures et dures. Voilà la réalité.

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