Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps
Au lendemain des élections, Naftali Bennett n’a cessé de tergiverser en ne se prononçant pas pour ou contre Netanyahou, contrairement à Gideon Sa’ar qui a été ferme dans son refus de participer à un gouvernement avec le Likoud. Bennett a fait monter les enchères en offrant ses services à la fois à Netanyahou puis à Lapid. Cela lui a permis avec 7 sièges de députés de prétendre à un poste de Premier ministre après le retrait de Yaïr Lapid dans un but d’efficacité. Mais son attitude restait complexe, un pas en avant, deux pas en arrière, car fondamentalement il pouvait difficilement accepter de siéger avec un parti arabe. C’est tout à son honneur de vouloir respecter ses convictions mais son inconstance a pris le dessus.
Devant les complications de la situation avec le Hamas, il vient de décider de renoncer à son alliance avec Yesh Atid. Il craint en fait de ne pouvoir être à la hauteur de sa nouvelle tâche. Le costume de Premier ministre est trop grand pour lui, même celui de simple ministre car son ambition n’est pas à la hauteur de ses compétences. Un Premier ministre ne peut pas être inconstant, ne peut pas fuir ses responsabilités à la première occasion dramatique, au premier danger, ou à la première décision difficile.
Naftali Bennett était parti très fort au début de la campagne électorale, atteignant parfois 16 sièges dans les sondages mais il s’est progressivement effondré au fur et à mesure qu’il laissait planer le doute sur ses intentions véritables. Il semble que les électeurs l’aient sanctionné pour le manque de courage dont il a fait preuve. Il voulait garder toutes les opportunités ouvertes contrairement à Gideon Sa’ar qui, en raison de ses convictions, a annoncé très vite la couleur, à savoir son refus d’entrer dans un gouvernement sous la férule de Netanyahou. Les adversaires de Bennett l’avaient même raillé en prétendant qu’il était un cheval de Troie et que voter pour lui signifiait voter pour le Premier ministre. Ses critiques à l’égard de Netanyahou semblaient donc une figure de style car il avait choisi de ne pas décider en attendant l’évolution de la situation.
Tout laissait croire qu’il était indécis. Ainsi il a refusé de recommander Yaïr Lapid comme premier ministre, laissant ainsi la porte ouverte aux propositions de Netanyahou. Il n’a jamais eu l’intention de trahir son camp. C’est tout à son honneur ; encore fallait-il qu’il affirme sa résolution. En fait, il a utilisé la pression sur l’un ou l’autre des clans pour faire monter les enchères allant jusqu’à exiger le poste suprême avec ses seuls 7 sièges. Il sait qu’il est indispensable dans tout nouveau gouvernement parce que Netanyahou ne dispose pour l’instant que de 52 sièges, loin des 61 exigés pour une majorité. Malgré cela, son apport ne lui donnera pas de majorité encore. L’idée de Netanyahou de faire appel au vote arabe entraînera automatiquement le retrait de l’extrême-droite, donc solution inextricable. Bennett maintient son objectif de supplanter Netanyahou à droite, mais il sait que la tâche sera ardue. Alors il essaie de faire avancer le schmilblick en faisant semblant de négocier un poste de premier ministre de rotation avec Lapid.
Lapid l’a poussé dans ses retranchements en acceptant ses exigences pour le mettre devant ses responsabilités. En effet Lapid, qui a remporté 17 sièges, a accepté de renoncer au début de la législature à son poste de Premier ministre, dans un «compromis douloureux», car il s’agit avant tout d’éliminer politiquement le Likoud de la gouvernance : «Il n’y a rien que je ne veux pas considérer, aucune pierre que nous ne tournerons, et aucune option que nous ne soupèserons pas pour former un gouvernement de changement et supprimer Netanyahou». Mais la coalition de droite, du centre et de gauche que Lapid avait organisée ne serait pas suffisante sans une participation active ou passive des partis arabes. C’est une possibilité qui avait été ouverte par Netanyahou. Gideon Sa’ar et Avigdor Lieberman avaient accepté de manger leur chapeau pourvu que la voie s’éclaircisse.
Bennett rêvait de déjouer tous les pronostics en oubliant sa promesse de ne pas siéger avec les Arabes et avec Meretz et à fortiori dans un gouvernement sous la conduite de Lapid. On a cru à sa soudaine conversion dans une mise en scène peu crédible mais cela a conforté l’idée qu’il n’a utilisé sa menace que pour faire contrepoids à ses exigences à droite. Il ne peut pas renier sa famille. Mais en raison du faible résultat de son parti, il ne serait pas contre un cinquième tour d’élections, en septembre 2021, qui pourrait améliorer son résultat. Il se trompe lourdement prouvant ainsi qu’il est encore un dirigeant débutant.
Son va-et-vient a hypothéqué sa crédibilité vis-à-vis de la droite et il probable que ses électeurs se tourneront vers plus nationaliste que lui. On prédit même que la rancune de Netanyahou le poursuivra pour l’empêcher de passer le seuil électoral, comme en 2019, parce qu’il s’est fait trop d’ennemis au Likoud et au Centre. Il pourrait même hypothéquer son avenir politique dans un pays où l’on aime les dirigeants fermes. Il sera certainement très vite marginalisé. Le pays ne manque pas de grosses pointures nettement au dessus de la sienne. Probablement, Ayelet Shaked, la dame au dents longues, qui l’avait mis en garde contre une alliance avec Lapid, quittera Yamina pour rejoindre une place de choix sur la liste du Likoud, l’abandonnant ainsi à son micro-parti voué à la disparition.
Il vient de décider de retourner auprès de Netanyahou en caressant le projet de prendre rapidement à terme le contrôle du Likoud. C’est un rêve inaccessible car beaucoup d’obstacles se sont élevés contre lui, et en particulier ceux des figures médiatiques du Likoud. Un gouvernement Lapid est compromis. Mais la carrière de Bennett est aussi compromise. Il pourra enfin enlever sa kippa qui n’était que de circonstance pour accaparer le Parti National Religieux. Il lui reste ses millions de dollars pour se consoler.