L’impitoyable expulsion d’Espagne le 9 Av 5252 (1492)

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Don Isaac Abravanel s’enfuit. Il échappait de justesse aux poursuites de Juan II, le nouveau roi de Portugal. Il avait été ministre des Finances et conseiller de Ferdinand V, le père. Sa sage gestion et ses conseils pertinents avaient valu au pays un grand essor, et au trésor des profits considérables. Mais tout cela était délibérément ignoré, oublié par le jeune et implacable souverain.

Ce fut miracle qu’Abravanel ne tomba pas aux mains des sbires lancés à ses trousses, et put se réfugier en Espagne. Le roi Juan fit main basse sur tous ses biens, héritages reçus de ses aïeux et que ses efforts constants avaient accrus.

Dépouillé de tout, possédant à peine quelques effets personnels, Don Isaac Abravanel arriva en Castille, et s’y établit, n’aspirant, après tant de vicissitudes, qu’à une vie paisible. Il avait tout perdu ; il lui restait cependant le réconfort que lui donnait la Tora, et ce réconfort était grand. Avec ferveur, il se mit à rédiger les explications que lui inspirait le TaNaKh (la sainte Bible).

Son travail avançait, il était arrivé au Livre des Rois, quand un jour, un carrosse royal s’arrêta devant la porte de sa modeste maison. Deux serviteurs en descendirent et remirent à Abravanel, stupéfait, une invitation de Ferdinand, roi d’Espagne. Ce dernier le priait de lui rendre visite à son palais.

Le jour fixé, Abravanel fut reçu par le roi qui lui apprit qu’il avait suivi avec intérêt les phases de sa carrière d’ancien ministre des Finances du pays voisin, et qu’il admirait les hautes qualités dont il avait fait preuve en toute circonstance. Si ce dernier avait été obligé de quitter le Portugal, il ne pouvait en être tenu responsable. Enfin, le roi pria Abravanel d’accepter les mêmes fonctions qu’il avait occupées dans son pays, et exprima l’espoir qu’il le servirait avec le même dévouement qu’il avait mis à servir le roi du Portugal.

À cette époque-là, la vie des Juifs d’Espagne non plus n’était pas de tout repos, loin de là. Beaucoup de familles riches, soucieuses d’échapper aux persécutions systématiques des Jésuites, feignirent d’embrasser la religion chrétienne. Mais dans le secret de leurs cœurs, la plupart d’entre eux demeuraient fidèles à la foi de leurs pères. S’entourant de beaucoup de précautions, ils continuaient à observer toutes les lois et coutumes juives. On les appelait les « Marranes ». Les autorités inquisitoriales se doutaient que leur conversion et les manifestations extérieures qu’ils multipliaient pour donner le change étaient feintes. Elles surveillaient de près ces nouveaux chrétiens, les épiaient. Ils guettaient le moindre geste qui trahirait les sentiments qu’ils cachaient si bien. Et quand ces Juifs camouflés en catholiques avaient le malheur d’être pris en flagrant délit, il était rare qu’ils échappassent au bûcher.

Les persécutions battaient leur plein. La reine Isabelle, qui subissait l’influence du Grand Inquisiteur, le terrible Tomas de Torquemada, y prêtait la main.

En l’an 5250 (1490) ce dernier accusa les Juifs et les Marranes de la ville de La Guardia, proche de Tolède, du meurtre d’un enfant chrétien à des fins rituelles. En même temps, il faisait tout en son pouvoir pour persuader le roi et la reine de se débarrasser une fois pour toutes des Juifs vivant dans le pays.

Le cruel décret

Ferdinand faisait la guerre aux musulmans et il avait grand besoin de l’argent que lui avançaient les financiers juifs. Grâce à ceux-ci il allait de victoire en victoire, et ne tarda pas à devenir l’un des souverains les plus puissants de son temps, ce qui ne manqua pas d’impressionner vivement, non seulement la quasi-totalité de l’Espagne, y compris la Castille, l’Aragon et la Catalogne, mais aussi la Sicile et beaucoup d’autres royaumes insulaires de Méditerranée. Une seule forteresse résistait encore : Grenade. Mais elle tomba à son tour en l’an 5252 (1492). Cette dernière victoire faisait de Ferdinand le maître absolu d’une Espagne désormais entièrement catholique, et, hélas, fanatisée.

Ferdinand en conçut un immense orgueil. C’était le moment pour Torquemada d’insinuer dans l’esprit du roi que toute sa puissance n’était qu’un effet de la volonté Divine, et qui s’inscrivait dans les desseins du Très-Haut tendant à imposer la foi chrétienne aux centaines de milliers de Juifs du royaume et des îles soumises à sa souveraineté.

Torquemada poursuivit sans relâche son oeuvre destructive. Et un jour, Ferdinand et Isabelle finirent par prendre le funeste décret aux termes duquel, avant l’expiration d’un délai de trois mois, tous les Juifs d’Espagne, de Sicile, de Sardaigne, bref de tous les territoires où Ferdinand avait étendu sa domination, devaient embrasser la religion chrétienne. Faute de quoi, ils seraient impitoyablement chassés de leurs pays.

Don Isaac Abravanel se trouvait au palais quand le décret fut annoncé. Il alla trouver le roi et le supplia d’épargner les Juifs qui étaient non seulement innocents, mais de plus, ses sujets les plus loyaux. En même temps, il fit tout ce qu’il put pour gagner à sa cause certains membres de la cour royale afin qu’ils usassent de leur influence auprès du souverain et que le décret fût rapporté. Accompagnant une délégation de notables juifs, à la tête de laquelle se trouvait Don Isaac Abravanel, ils se rendirent auprès du roi pour solliciter le retrait de l’inhumaine décision. Abravanel alla jusqu’à promettre l’énorme somme de 300 000 ducats à verser au trésor royal si Ferdinand renonçait à exécuter la menace qui pesait sur tous les Juifs.

Le triste Tichea beAv

Celui-ci commençait à faiblir quand, soudain, Torquemada parut et engagea sévèrement le roi à s’en tenir aux résolutions prises. Cela suffit à balayer les hésitations de ce dernier. Tous les efforts d’Abravanel étaient désormais voués à l’échec.

Le drame atteignit son point culminant à Tichea beAv. Les lamentations des prières endeuillées de ce jour de désolations fendaient le coeur. Jeunes et vieux pleuraient non seulement sur la destruction, deux fois renouvelée en ce même jour, du Beth Hamikdach, mais aussi sur le triste sort qui les attendait. Ils allaient être impitoyablement chassés de ce pays où ils avaient vécu en paix des siècles durant, et donné naissance à des hommes aussi illustres que ‘Hasdaï ibn Chaprouth, Chemouel HaNaguide, Ibn Gabirol, Moché ibn Ezra, Yehouda Halévi, le Rambam, le Ramban, et tant d’autres.

À aucun des fidèles, cependant, ne venait la pensée qu’il pouvait se sauver au prix de l’abandon de sa foi.

Trois cent mille Juifs de tous âges, hommes et femmes, en ce jour de Tichea beAv, abandonnèrent leurs foyers et partirent sans savoir où leur destin le conduirait. Ils se dirigèrent, qui vers le Portugal, qui au-delà des mers. De ceux-ci beaucoup périrent noyés, d’autres furent capturés et vendus comme esclaves.

Parmi ces infortunés qui fuyaient la cruelle ingratitude de leur pays, marchait fièrement le ministre illustre, le grand sage, Don Isaac Abravanel qui avait renoncé à ses grandes richesses, à la gloire, à tout, pour demeurer fidèle à sa foi. Il se rendit à Naples, où le roi le reçut avec amitié et lui confia une haute charge dans son royaume.

La florissante communauté juive d’Espagne était ainsi entièrement détruite. Avec l’exil des Israélites, le pays perdit sa beauté et ses forces les plus vives. À partir de ce moment, il ne fit que péricliter, et finit par ne plus jouer sur la scène mondiale qu’un rôle fort secondaire. Plus tard, il était déchiré par une guerre civile des plus meurtrières.

Tel est le lot des grandes nations qui s’en prennent à notre peuple. Elles le persécutent, et le Tout-Puissant le leur permet pour un temps afin qu’il se repente. Tôt ou tard, les bourreaux ont leur juste châtiment. Ce fut le cas de l’Égypte, de l’Assyrie, de Babylone, de Rome et de l’Espagne ; ainsi en sera-t-il des nations qui suivent leur exemple. Le peuple juif survivra à ses ennemis et connaîtra la Rédemption finale par l’intermédiaire du juste Messie dont nous souhaitons avec impatience l’avènement. Alors la triste date de Tichea beAv sera un jour de joie et de bonheur.

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